Retour 20 ans du Protocole Additionnel portant interdiction du clonage d'êtres humains : Interview de Christian Byk

Pour la première fois, avec la naissance de la brebis Dolly, annoncée le 2 avril 1996 par les chercheurs Ian Wilmut et Keith Campbell, un mammifère naissait viable (Dolly vivra jusqu'à l'âge de 7 ans) d' « une manipulation génétique » à partir de cellules de glande mammaire d'une brebis adulte, dont le noyau cellulaire avait été transplanté dans l'ovule énucléé d'une autre.
20 ans du Protocole Additionnel portant interdiction du clonage d'êtres humains : Interview de Christian Byk

Christian Byk, ancien conseiller spécial du Secrétaire général du Conseil de l'Europe, Président du Comité intergouvernemental de bioéthique de l'UNESCO.

Christian BYK, né en 1955, est juge à la Cour d’appel de Paris et préside le comité d’éthique des sciences de la Commission française pour l’UNESCO. Depuis le début des années 1980, Christian BYK a acquis formation et expérience à l’égard des questions de bioéthique et d’éthique des sciences. Formé au droit international, il connait bien le fonctionnement des organisations internationales du système des Nations-Unies (UNESCO, OMS, OMPI, AIEA) ainsi que celui des organisations européennes (Conseil de l’Europe et Union Européenne). Il a été pendant plus de 10 ans chef de la délégation française au comité de bioéthique du Conseil de l’Europe puis conseiller du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et a rédigé le premier projet de Convention européenne sur la biomédecine et les droits de l’homme. Il a également participé aux activités normatives de l’Union européenne (brevetabilité des biotechnologies). Depuis la fin des années 1980, il a été associé aux activités de bioéthique de l’UNESCO et a participé aux négociations qui ont conduit à l’adoption des trois Déclarations de l’UNESCO dans ce domaine. Il participe aux activités de la CNFU depuis 2002 ainsi que de différentes organisations non gouvernementales : il dirige depuis 1989 l’Association internationale droit, éthique et science, a été vice-président du CIOMS (1994-2000) et est membre fondateur de l’International Association of Bioethics. Il préside depuis 2017 le Comité intergouvernemental de bioéthique de l’UNESCO.

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 1. Le Protocole additionnel à la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine portant interdiction du clonage d’êtres humains a été ouvert à la signature à Paris le 12 janvier 1998. 20 ans après que peut-on dire sur ce qu’a représenté l’élaboration de ce protocole ?

Pour la première fois, avec la naissance de la brebis Dolly, annoncée le 2 avril 1996 par les chercheurs Ian Wilmut et Keith Campbell, un mammifère naissait viable (Dolly vivra jusqu'à l'âge de 7 ans) d' « une manipulation génétique » à partir de cellules de glande mammaire d'une brebis adulte, dont le noyau cellulaire avait été transplanté dans l'ovule énucléé d'une autre. Si on se rappelle qu'en 1994 aux Etats-Unis , dix-sept embryons humains non viables furent clonés et cultivés jusqu'à un stade assez avancé pour certains, ce nouveau pas dans la mise en oeuvre du processus du clonage reproductif donnait une certaine réalité à l'inquiétude exprimée dès 1982 par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (Recommandation 934 (1982) relative à l'ingénierie génétique) lorsqu'elle souhaita que soit inscrit dans la Convention européenne des droits de l'homme « (le) droit à un patrimoine génétique n'ayant subi aucune manipulation ».

Fort de son expérience dans l'élaboration de règles juridiques et éthiques concernant la biomédecine, le Conseil de l'Europe, qui finalisait l'élaboration de la Convention d'Oviedo, ouverte à la signature la 4 avril 1997 et qui incitait à élaborer des protocoles dans des domaines spécifiques, sut trouver dans cet événement l'occasion de montrer une réactivité exemplaire.

Le Comité directeur sur la bioéthique du Conseil de l'Europe devait, en effet, élaborer le protocole sur le clonage humain dans le délai extrêmement bref d'une année, le texte étant ouvert à la signature le 12 janvier 1998 à Paris.

L'élaboration de ce protocole démontre ainsi la capacité que peut avoir une organisation internationale à transformer en instrument juridique la volonté des Etats ,à l'unisson de la communauté scientifique et de l'opinion publique, et ainsi à faire du droit international le garant de principes universels par la mise en place de limites significatives à l'utilisation de techniques scientifiques.

2. Que représente aujourd’hui cet instrument juridique au niveau international ?

L’actualité récente avec l’annonce de la naissance de deux singes macaque résultant d’un clonage témoigne de la pertinence des préoccupations qui ont guidé ses rédacteurs. 

Par l'interdit qu'il fixe du clonage reproductif, alors que la question du clonage thérapeutique montre des positions éthiques plus diversifiées, le protocole souligne ce qui apparaît à la communauté humaine comme un élément de son identité: un mode de reproduction qui préserve les caractéristiques imprévisibles et irréductibles de l'individu, contribuant ainsi à la reconnaissance et à la protection de sa singularité.

A un moment où d'autres avancées scientifiques (Crispr cas 9 et les nouvelles techniques de séquençage du génome, l'intelligence artificielle) laissent entrevoir la possibilité de nouvelles transgressions de « la nature humaine », il nous invite à réfléchir sur la continuité d'une logique de fixation d'interdits d'ordre « anthropologique ».

C'est, en effet, sur le plan juridique que ce texte donne un signal fort de la compréhension contemporaine que nous avons de ce qu'est et doit être l'homme: une réalité biologique et génétique qui, par certains points communs intangibles, le caractérise comme espèce. D'ores et déjà , le protocole a servi de « modèle » à d'autres textes internationaux, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (2000,art.3.2) mais aussi la Déclaration universelle sur le génome humain et les Droits de l'homme , qui lui est contemporaine (Unesco, 11 novembre 1997,art.11) et la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme (Unesco, 19 octobre 2005, « art.16:L’incidence des sciences de la vie sur les générations futures, y compris sur leur constitution génétique, devrait être dûment prise en considération »). En outre, le protocole a encouragé le développement de nombreuses lois nationales, voire la reconnaissance par certains pays d'une protection de l'espèce humaine.

En outre, l’annonce de la naissance des deux singes macaque résultant d’un clonage- pourrait conduire, à un moment où le droit international prend particulièrement en compte le respect de la biodiversité, à s’interroger sur la pertinence à adopter des règles concernant le monde animal. La proximité de ces primates avec l’homme nous invite, en effet, à bien peser les intérêts à prendre en compte: disposer, d'une part, comme cela est mis en avant par les auteurs de ce clonage, d’un modèle animal pour mieux connaître certaines maladies humaines et réfléchir, d'autre part, à donner à cette recherche une dimension éthique et juridique appropriée.

3. Les développements technologiques récents dans le domaine biomédical suscitent à la fois de grandes attentes notamment pour l’amélioration de la santé humaine, mais également des préoccupations quant aux utilisations abusives qui pourraient en être faites. Considérez-vous que le processus d’élaboration de cet instrument et plus généralement l’approche et les modalités de travail dans le domaine de la bioéthique au sein du Conseil de l’Europe peuvent être particulièrement pertinents pour répondre aux enjeux pour les droits de l’Homme soulevés par ces développements ?

Ce type d'instrument appartient à une catégorie « forte » du droit international qui impose des obligations aux Etats et qui est particulièrement appropriée lorsque la communauté internationale est en capacité de fixer des limites de principe à une activité, scientifique en l'espèce. Mais, la coopération internationale comprend aussi d'autres types d'instruments (de la Recommandation aux guide de bonnes pratiques) plus aptes à orienter de façon concrète des politiques publiques dans le domaine des sciences et des techniques parce qu'ils abordent en détail le fonctionnement de celles-ci et impliquent les acteurs de ces techniques tout en laissant aux Etats une certaine autonomie pour les réguler au plan national.

La spécificité du Conseil de l'Europe est précisément qu'il dispose d'un grand nombre de ces outils et a construit depuis les années 1970 une expérience reconnue dans l'approche éthique et normative de la biomédecine. Le fait que la plupart des Etats de la « Grande Europe » s'y retrouve aujourd'hui et que l'Organisation soit perçue comme celle des droits de l'homme, avec le rôle essentiel joué par la Cour pour rendre effectif ce « leadership », constitue un capital qui devrait permettre au Conseil d'étendre ses compétences aux domaines de préoccupations éthiques soulevées par les technologies émergentes.

Il devra ,sans doute, le faire en donnant encore plus de transversalité à ses modes de fonctionnement pour conjuguer les différents outils mis à sa disposition et valoriser avec les Etats comme avec les acteurs de la société civile les formes nouvelles de gouvernance qui sont nécessaires au caractère technoscientifique de nos sociétés.

Strasbourg 12/01/2018
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