Les principaux acteurs du processus décisionnel : le rôle des enfants, des parents et des professionnels
Dans le domaine des soins de santé prodigués à l'enfant, la relation thérapeutique est typiquement triangulaire, avec les professionnels de santé, le jeune patient et ses parents ou son représentant légal.
Pour appliquer le droit de l'enfant de participer à la prise de décision en matière de soins de santé, il faut donc oublier les pratiques fondées sur le postulat que « les parents sont les mieux placés pour savoir » (d’après leur âge et leur expérience de vie) et/ou que « le médecin est le mieux placé pour savoir » (d’après son expertise professionnelle). Il faut ainsi passer à un modèle de prise de décision partagée qui respecte 1) les opinions et la capacité émergente de l'enfant patient, 2) l'autorité parentale et 3) les connaissances et l'expertise des professionnels de santé. Dans ce nouveau paradigme, les adultes et les enfants collaborent pour parvenir à des décisions.
Comme cela est précisé tout au long de ce guide, une bonne décision doit prendre en compte et examiner, en vue de trouver un équilibre, ce que veut l'enfant, ce qui est nécessaire pour garantir sa santé (notamment sa survie, sa vie et son développement), ce que veulent les autres parties prenantes (parents et professionnels de santé) et ce qui est véritablement dans l'intérêt supérieur de chaque enfant.

Les enfants
L'opinion des enfants doit être recherchée, obtenue et dûment prise en compte. L'âge ou le degré de maturité d'un enfant ne détermine pas l'existence de son droit de participer, mais plutôt le poids qu'il convient d'accorder à son opinion. Les enfants doivent être considérés comme des individus, avec des caractéristiques et des besoins spécifiques qui doivent être pris en compte.
Le niveau de participation d'un enfant varie en fonction de ses capacités, de son expérience de vie et de sa situation individuelle, mais il dépend également beaucoup de l'attitude des adultes, qui doivent promouvoir et encourager la participation et créer un environnement et des conditions favorables. Alors que certains enfants prennent facilement part au processus, d'autres ne se sentent pas toujours autorisés à participer ou à l'aise pour le faire. Il faut alors les y inviter, parfois à plusieurs reprises, et les y encourager, en ayant recours à des méthodes adaptées. Certains enfants, en particulier ceux qui n'ont pas l'habitude d'être consultés, peuvent être enclins à une forme d’"autocensure".
De nombreux enfants veulent que leurs parents soient associés aux décisions. Si certains veulent être entendus et considérés, ils sont gênés d’avoir le dernier mot et préfèrent laisser leurs parents décider. Ces souhaits doivent également être respectés et constituent une forme tout aussi valable de participation de l'enfant. Bien que la participation aux processus décisionnels soit extrêmement importante et qu’il faille tout faire pour la rendre possible – y compris pour les enfants qui n'ont pas été encouragés en ce sens dans leur vie -, les enfants ne devraient pas être amenés à porter seul le poids des décisions si cela les met mal à l’aise.
En tout état de cause, les enfants devraient être guidés par les adultes. À cette fin, ceux-ci devraient s’appuyer sur leur expérience et leur expertise, témoigner respect et considération aux enfants et s'assurer que les enfants ont l'espace nécessaire pour interagir.

Les parents
Les parents et les autres titulaires de la responsabilité parentale sont des acteurs essentiels dans ce modèle de prise de décision partagée. Comme dans d'autres domaines de la vie, les parents sont légalement tenus de donner à leurs enfants « l'orientation et les conseils appropriés » et ont un rôle fondamental à jouer pour les protéger et faire prévaloir leur intérêt supérieur. Dans de nombreuses législations, ils sont les décideurs de facto (ou suppléants), car ils sont tenus d'autoriser les actes médicaux au nom de leurs enfants, tant que ceux-ci n'ont pas atteint un certain âge ou un certain degré de maturité.
Mais les devoirs et responsabilités des parents doivent être considérés comme limités dans le temps (selon l'évolution des capacités de leur enfant), limités dans leur portée (selon l’intérêt supérieur de l’enfant) et de nature fonctionnelle, puisque les parents doivent assurer les soins, la protection et le bien-être de l'enfant . Les devoirs et responsabilités des parents évoluent (et en général diminuent) au fil du temps : alors que les parents et les tuteurs sont les décideurs de facto dans la petite enfance, leur rôle se modifie par la suite, car « plus les connaissances et la compréhension de l’enfant sont étendues, plus l’orientation et les conseils donnés par les parents doivent se transformer en rappels et, progressivement, en échange sur un pied d’égalité » .
Pour que les parents puissent participer activement au processus décisionnel et soutenir et guider leur enfant, il est essentiel qu'ils aient suffisamment de moyens d’action et d’appuis. Il est donc très important d'aider les parents à soutenir leurs enfants. En premier lieu, ils doivent être correctement informés, d'une manière qu'ils comprennent, sur l'état de santé de leur enfant et sur les différentes possibilités de traitement , . Une bonne partie des conseils concernant le type d'informations à donner à un enfant (voir plus bas, section III.b.1) s'applique aussi aux parents. Ce qui diffère, c'est la manière dont les informations seront communiquées.
Sur ce point au moins, les parents dépendent en partie des professionnels de santé, qui décident si, comment et quand ils souhaitent les associer à la prise de décision relative à la santé de l’enfant. Le degré de participation des parents varie aussi selon leur vécu, leur milieu culturel, leur culture de la parentalité (la manière dont ils associent leurs enfants aux questions de la vie quotidienne) et leur niveau d’éducation ou littératie en santé. La littératie en santé fait partie des savoirs de base. Elle englobe les connaissances, la motivation et les compétences nécessaires à chacun pour accéder aux informations sur la santé, les comprendre, les évaluer et les appliquer, en vue de se forger une opinion et de prendre au quotidien des décisions sur les soins, la prévention des maladies et la promotion de la santé, pour soi-même ou pour son entourage. Par exemple, certains parents qui ne sont pas associés au processus ni écoutés risquent de se sentir impuissants et dans l’incertitude quant aux soins à prodiguer à leur enfant – ce qui limitera leur capacité à soutenir leur enfant , . Leur participation est aussi fonction du type d'acte médical envisagé ; dans certaines circonstances, la famille peut avoir l’impression que les protocoles normalisés ne lui laissent guère la possibilité de choisir .
En général, plus un parent est informé, plus il peut guider l'enfant. Cela ne supprime toutefois pas l'obligation d'informer directement l'enfant ou de l'associer aux discussions, et il ne faut pas partir du principe que les informations données à un parent seront correctement transmises à l’enfant et discutées avec lui. La participation des parents est certes cruciale, mais il est important que l'enfant reste au centre du processus. D’après les recherches menées sur les interactions lors des consultations pédiatriques, la contribution des enfants aux interactions avec le médecin tend à être inversement proportionnelle à celle du ou des parents .

Professionnels de la santé
Sans être des décideurs à proprement parler, les professionnels de la santé jouent un rôle important dans la prise de décisions médicales tout au long de l'enfance. Ils et elles ont la responsabilité légale et l’obligation professionnelle de veiller à ce que les droits, la dignité et la sécurité des enfants soient respectés, et occupent donc une place centrale pour promouvoir et faciliter la participation des enfants dans la pratique.
Dans ce cadre, ils doivent notamment fournir aux patients et aux autres personnes concernées les informations nécessaires et adéquates. Cela suppose d’y consacrer du temps et d’instaurer une relation de confiance afin que l'enfant se sente à l'aise et en sécurité tout au long du processus et puisse effectivement co-construire la décision le concernant. La participation de l'enfant dépendra beaucoup de la manière dont le ou les professionnels ou l'équipe médicale l'encourageront et le soutiendront dans cette démarche.
La plupart du temps, les personnels de santé collaborent avec les parents/représentants légaux, par exemple pour simplifier autant que possible les protocoles de traitement complexes et apprendre à la famille à éviter les comportements qui mettent l'enfant en danger. Cependant, ils doivent parfois plaider et argumenter, et contester l'opinion des parents lorsque celle-ci ne semble pas refléter l'intérêt supérieur de l'enfant . Compte tenu de la grande responsabilité qui leur incombe, les professionnels de santé doivent savoir comment agir dans l'intérêt supérieur de l'enfant et en son nom dans le cadre du processus décisionnel. Le guide propose quelques pistes pour traiter les conflits qui peuvent survenir au cours de ce processus entre les parties prenantes.
De la théorie à la pratique
S'il est de plus en plus reconnu que la participation des enfants est souhaitable, que les enfants peuvent être en capacité de comprendre et d’agir et que la communication directe entre le professionnel de santé et l'enfant est bénéfique, en pratique les adultes ont encore souvent tendance à ne pas associer les enfants aux décisions relatives à leur santé (ou à ne pas tenir compte de leur point de vue).
Il a par exemple été observé que, lors des consultations pédiatriques, les professionnels de santé font souvent participer les enfants en leur posant des questions dans le but d’obtenir des informations, mais se tournent ensuite vers les parents lorsqu'ils expliquent le diagnostic ; lors de ces consultations, les enfants participent rarement à la planification du traitement et à la discussion portant sur celui-ci, et ce quel que soit leur âge . Si le professionnel de santé est en train de parler avec l’enfant et qu'il est interrompu par le parent, la consultation peut se transformer en conversation entre adultes. Par conséquent, les adultes occupent souvent une place prépondérante et exercent un contrôle dans ce processus .
Les professionnels se justifient parfois en invoquant un manque de temps, une mauvaise organisation ou d’autres raisons. Mais cette situation peut également traduire une difficulté à partager le pouvoir de décision et/ou du contrôle, un doute sur les capacités de l'enfant, un réflexe de protection ou un manque de compétences de communication .
Les professionnels de la santé peuvent encore faire davantage pour pour que les enfants soient en mesure de participer véritablement et activement aux décisions relatives à leur santé. Les professionnels de santé, à tous les niveaux, doivent être régulièrement formés et supervisés sur la manière de répondre aux besoins, aux capacités, aux préférences et aux attentes des enfants (et de leur famille) en matière de participation ; l’objectif est également de les aider à mieux répondre à ces besoins et à développer leurs compétences de communication avec les enfants de tous âges et stades de développement.
Le chapitre suivant s’attache à détailler de quelle manière les professionnels de la santé peuvent favoriser la participation de l'enfant tout au long du processus de prise de décision.
La participation des enfants au processus décisionnel concernant leur prise en charge devrait être considérée comme un processus progressif et continu.
Chaque visite ou hospitalisation constitue pour l’enfant une occasion de développer ses compétences, d’acquérir des connaissances sur sa santé, de comprendre les processus à l’œuvre et d’être plus impliqué dans la prise de décision concernant sa propre vie.
Par rapport aux enfants atteints de maladies aiguës, les enfants qui sont en contact régulier avec les services de santé, y compris les enfants atteints de maladies chroniques, ont souvent plus de pouvoir de négociation, plus d'espace de participation et davantage d'autonomie vis-à-vis de leurs parents et des professionnels de santé .
Pour garantir une véritable participation des enfants, les professionnels doivent veiller à leur fournir des informations appropriées, à les écouter et à prendre sérieusement en compte leurs opinions. Ils doivent également savoir comment gérer les conflits, tout en respectant les droits des enfants.
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