Intervention de Christos Giakoumopoulos
Directeur Général Droits de l'Homme et de l'État de droit 

La crise de la COVID-19 a eu et continue d’avoir des conséquences dramatiques à la fois pour les individus, les familles et la société sur l’ensemble de la planète et oblige nos Etats membres à prendre des mesures qui portent inévitablement atteinte à certains droits et libertés qui font partie intégrante de toute société démocratique régie par l'État de droit.

Nos États sont confrontés à un défi social, politique et juridique majeur: comment répondre efficacement à cette crise, dans les limites autorisées par les exigences de l’état de droit et le respect des droits et des libertés ?

Le Conseil de l'Europe a tenu à  répondre à cette question en se penchant, en premier lieu, sur les restrictions aux droits et libertés fondamentaux et le fonctionnement des institutions démocratiques en temps de crise ; ensuite sur la portée des droits à la vie et à la santé, dans ce contexte, et sur certains défis particuliers concernant les personnes détenues, la liberté de la presse, la protection des données personnelles ; et enfin, sur les défis sociaux que la pandémie pose et posera à  court et moyen terme. 

 L'impact de la COVID-19 sur les droits de l'Homme et l'État de droit - Notre action


 

Restrictions aux droits de l’Homme et fonctionnement des institutions

 Dès avril 2020, la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe a publié des lignes directrices à l'intention des gouvernements européens sur le respect de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'homme pendant la crise sanitaire.

La Secrétaire Générale rappelle que les droits et libertés ne peuvent être restreints que si les restrictions sont prévues par la loi et proportionnées au but légitime poursuivi, en ce cas, la protection de la santé publique. Il convient de faire en sorte que les restrictions mises en place, qu'elles soient basées ou non sur une dérogation à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), soient clairement prévues par la loi, conformément aux garanties constitutionnelles applicables et proportionnées aux buts pour lesquelles elles ont été imposées.

L'Etat de droit doit prévaloir quoi qu’il en soit. Ainsi, le régime d'urgence doit être considéré, malgré son caractère extraordinaire, comme une institution juridique, soumise à une réglementation juridique.

  La Commission de Venise a ainsi élaboré les principes généraux qui devraient guider la réponse apportée par les États face à une situation d'urgence : 1. prévisibilité de la législation d'urgence. 2. Temporalité. 3. Contrôle des décisions prises. Ainsi, la déclaration et l'éventuelle prolongation de l'état d'urgence doivent être soumises à un contrôle parlementaire et, le cas échéant, à un contrôle de constitutionalité.

  S’assurer du bon fonctionnement de la justice a également été au cœur des préoccupations du Conseil de l’Europe. Ainsi, la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) a adopté en juin 2020 une "Déclaration sur les leçons et défis pour le système judiciaire pendant et après la pandémie du COVID-19" dans laquelle elle appelle les Etats membres à renforcer et pérenniser les pratiques innovantes qui ont pu être mises en place pour assurer la continuité et l’efficacité du service public de la justice tout en garantissant le respect des droits des justiciables et du principe du procès équitable.

Droit à la vie et droit à la santé

 La situation créée par la pandémie a montré l’importance fondamentale du droit de toute personne à la protection de la santé. Elle a également renforcé la nécessité d’une gestion de la crise sanitaire respectueuse de la dignité humaine et des droits de l’Homme pour en assurer l‘efficacité et la durabilité et contribuer à construire la confiance du public.

La Convention européenne des droits de l’Homme et la Charte Sociale européenne ont une pertinence particulière à cet égard. En vertu de leurs dispositions, les Etats membres ont une obligation positive de protéger la vie et la santé des personnes dont ils ont la charge contre les maladies et les souffrances qui en découlent.

 Ainsi, sur la base de l’Article 11 de la Charte sociale européenne, le Comité européen des droits sociaux a notamment souligné que les États parties doivent prendre toutes les mesures possibles pour garantir le droit à la santé dans les plus brefs délais, en utilisant au maximum les ressources financières, techniques et humaines disponibles.

Une attention accrue doit être portée aux personnes en situation de vulnérabilité, notamment en matière d’équité d’accès aux soins de santé – principe établi à l’article 3 de la Convention sur les droits de l’Homme et la biomédecine (Convention d'Oviedo).

 La question de l’équité d’accès aux soins, y compris à la vaccination, fait l’objet de travaux spécifiques de la part du Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe qui vient notamment d’adopter une Déclaration sur « Covid-19- et vaccins : Assurer l’équité d’accès à la vaccination pendant les pandémies actuelles et futures ».

 Dans un document rendu public en septembre 2020, la Secrétaire générale du Conseil de l’Europe a rappelé les instruments de référence en matière de protection des droits de l’Homme et les réseaux d’experts nationaux étendus dont dispose le Conseil de l’Europe pour « [permettre] aux gouvernements et aux citoyens de trouver les réponses les mieux adaptées et les plus pérennes pour protéger la santé publique, préserver le tissu démocratique de nos sociétés et atténuer les conséquences sociales de la crise. » Elle a annoncé un « projet de coopération multilatéral et pluridimensionnel ouvert à l’ensemble des Etats membres pour répondre aux problèmes qui se posent dans le secteur de la santé et pour concevoir des solutions efficaces et « sur mesure », à mettre en œuvre au niveau national » .

Personnes détenues

 Une catégorie de personnes particulièrement vulnérables sont les personnes privées de liberté. Il n’est donc pas étonnant que Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) ait publié deux déclarations, en mars et en juillet 2020. Me CPT a souligné que les restrictions temporaires imposées pour contenir la propagation du virus dans les prisons doivent être levées dès qu'elles ne sont plus nécessaires. D'autre part, certaines mesures d'urgence mises en place temporairement dans les prisons doivent être rendues durables. Il s'agit notamment du recours accru aux alternatives à la privation de liberté, en vue de mettre fin au phénomène de surpopulation.

Il est important de se féliciter que depuis le début de la pandémie COVID-19, le CPT a effectué au total 15 visites au cours desquelles une attention particulière a également été portée à l'impact de la pandémie et des mesures de sécurité connexes sur les personnes privées de liberté.

Liberté d’expression

 Dans un contexte volatile d’incertitudes, il est important de rappeler que la liberté d'expression, la libre circulation de l'information, y compris l’accès aux informations officielles, ainsi que la liberté des médias, sont cruciales pour le fonctionnement d'une société démocratique et continuent de l'être en temps de crise. Notamment, en temps de crise, les médias et les journalistes professionnels, plus particulièrement les organes de presse publics ont un rôle clé, associé à une responsabilité accrue, pour fournir des informations précises et fiables au public, mais aussi pour prévenir la panique et favoriser la compréhension et la coopération de la population.

C’est pour cette raison que, dans certains pays (Pays-Bas, Royaume-Uni), les journalistes ont été désignés comme des « travailleurs clé ». Ils doivent avoir la liberté de recueillir et de publier toutes les informations pertinentes, tout en respectant les normes et l’éthique professionnelles les plus élevées.

 Comme l’ont réaffirmé les Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur la protection de la liberté d’expression et d’information en temps de crise (2007), l'article 10 de la CEDH et la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l'homme restent les normes fondamentales à appliquer et les États ne devraient pas introduire de restrictions à la liberté des médias au-delà des limites autorisées par l'article 10. Les situations de crise ne doivent pas servir de prétexte pour restreindre l'accès du public à l'information.

 De ce point de vue, les restrictions à la liberté d'expression dans certains États en lien avec la crise sanitaire ont soulevé des préoccupations. La pandémie a exacerbé les faiblesses préexistantes dans la protection de la liberté d’expression dans les États membres. Le Rapport de la Secrétaire général publié en juillet 2020 ("boîte à outils") sur "L'impact de la crise sanitaire sur la liberté d'expression et la liberté des médias" a mis en évidence les domaines dans lesquels la liberté d'expression peut être mise à mal dans les circonstances de la pandémie, tout en rappelant les normes et outils qui devraient servir comme référence aux Etats membres pour trouver des moyens de contenir la pandémie de COVID-19 sans porter atteinte à la liberté d'expression et aux autres droits de l'homme.

Protection des données personnelles

 Il convient de rappeler avant toute chose que le droit à la protection des données personnelles ne peut être un obstacle à l’impératif de la protection de la vie et de la sante. La Convention 108+ énonce des normes élevées de protection qui sont compatibles et conciliables avec d’autres droits fondamentaux et intérêts public, comme c’est par exemple le cas de la santé publique. Les principes de protection des données permettent de trouver un équilibre entre les intérêts en jeu, comme l’ont souligné la Présidente du Comité de la Convention 108 et le Commissaire à la protection des données du Conseil de l’Europe dans leurs déclarations conjointes.

 Le Conseil de l’Europe reste vigilant aux nouvelles questions se posent : Il s’agit par exemple d’assurer la conformité des systèmes d’information nationaux mis en place dans le cadre des campagnes de vaccination et de veiller au respect du droit des personnes dans le cadre de l’utilisation d’une information relative à la santé aux fins de passeports d’immunité ou autre dispositifs relatif à notre état vaccinal.

Transparence

 L'épidémie de coronavirus a également soulevé des risques non négligeables de corruption. De grandes sommes d'argent sont injectées dans l'économie pour atténuer la crise, tandis que les mécanismes de prévention et de répression de la corruption peuvent être suspendus en raison de l'urgence. Cela est particulièrement vrai, par exemple, en ce qui concerne les marchés publics de la santé.

 Dans ses Lignes Directrices à l’intention des États pour prévenir la corruption dans le contexte du COVID-19, le Group of States against Corruption (GRECO) a attiré l’attention sur les normes juridiques et les bonnes pratiques permettant de s'assurer que les décisions et les procédures dans la période de réponse à la pandémie et de rétablissement sont conçues avec des garanties appropriées de transparence, d'intégrité et de responsabilité.

Défis sociaux

 Enfin, la pandémie a eu et continue d'avoir de profondes répercussions sur un large éventail de droits sociaux.  La Charte sociale européenne, avec son vaste champ d'application matériel fournit un cadre essentiel pour le redressement social et économique post-pandémique ainsi que pour la préparation et les réponses à d'éventuelles crises futures de cette nature. Ainsi, la Charte sociale européenne peut et doit servir de feuille de route en matière de droits de l'homme pour les décisions difficiles qui devront être prises dans les années à venir concernant la législation, les politiques et l'allocation des ressources.

 L'idée que l'action sur le front des droits sociaux ne doit pas être interprétée comme signifiant des niveaux de dépenses publiques démesurées. Elle implique avant tout une réflexion continue sur les politiques mises en place pour faire face à la pandémie, mais aussi des conditions sociales, et économiques qui ont précédé la pandémie et qui ont exacerbé la vulnérabilité face à celle-ci.

Le Conseil de l’Europe, grâce aux instruments juridiques et méthodes de travail que ses Etats Membres ont adoptés et mis en œuvre, peut fournir les réponses aux défis posés par la pandémie, sans sacrifier les principes qui nous unissent, les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit.

C’est une preuve de la vitalité et de la nécessité du multilatéralisme.