Avant d’entreprendre l’étude du genre et de la socialisation, quelques remarques s’imposent sur la façon d’aborder ces questions dans votre environnement et sur leur lien avec le travail de jeunesse.


Le genre est une question délicate

Les perceptions et les sentiments liés au genre et aux problématiques associées sont souvent très intimes. Les aborder peut réveiller des souvenirs et des sentiments générés par des expériences passées ou actuelles. Or, pour celui ou celle qui veut travailler sur l’identité, il n’est pas toujours possible de savoir « qui est dans la salle ». Avant de démarrer, vous devez donc vous demander comment conduire les discussions de manière diplomatique et responsable avec votre groupe de jeunes.
 

Le genre est une question politiquement sensible

Les discussions sur le genre sont souvent très animées, car elles soulèvent des questions politiques souvent sujettes à de profonds désaccords du fait de croyances fermement ancrées, idéologiques et religieuses, notamment. Encadrer de telles discussions est un véritable défi qui exige d’être pleinement conscient.e de ses propres attitudes et croyances, mais aussi de savoir apporter le soutien nécessaire pour favoriser une discussion fructueuse.
 

Dans ce domaine, les termes essentiels sont souvent mal compris

Malgré les définitions et les tentatives de différenciation proposées ci-dessus, il arrive que les termes de « genre » et de « sexe » soient utilisés de façon interchangeable. Par exemple, certains questionnaires ou formulaires vous invitent à préciser votre « genre/sexe » en vous offrant en guise d’unique alternative « masculin » ou « féminin », et négligeant toute autre option. L’utilisation en alternance de l’un et l’autre terme indique parfois une certaine confusion en la matière.
 

Le genre est une question qui concerne tout le monde

Or, la prise de conscience généralisée du genre est d’abord le fruit des mouvements de femmes et des politiques féministes, et donc d’un travail en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la remise en question du statut et des rôles des femmes et des hommes dans la société et de la lutte contre la création de stéréotypes liés au genre. C’est la raison pour laquelle on observe une tendance à associer au genre uniquement les femmes et les questions les concernant. Cependant, il est important de noter que tout le monde a une identité de genre, et discuter du genre ne se résume pas à parler des problèmes des femmes.
 

Les relations entre les femmes et les hommes sont des relations de pouvoir

Pour comprendre la construction des identités masculines et féminines en relation réciproque, il faut analyser la formation des relations entre les femmes et les hommes dans le contexte de différences en termes de pouvoir et d’égalité – différences que ces relations vont d’ailleurs reproduire. Généralement, ces relations tendent à privilégier les hommes au détriment des femmes. Les sections qui suivent exposent quelques-unes des façons dont les rôles et les comportements associés au genre perpétuent les inégalités entre les femmes et les hommes. Par ailleurs, il est également important de reconnaître que « …les normes de genre actuelles marginalisent de nombreux hommes et que les constructions culturelles du genre excluent et aliènent ceux qui ne collent pas parfaitement aux catégories masculine et féminine».22

Genre et socialisation

Les humains apprennent les normes de la société en vivant en son sein et en interagissant socialement. Cependant, nous ne sommes pas toujours nécessairement conscient.e.s de la teneur de cette expérience et du comment de cet apprentissage. Autrement dit, nous sommes parfaitement familiarisé.e.s aux signes de genre dans notre environnement sans pour autant nous interroger sur l’origine de leur connotation « genrée ».

Notre connaissance du quotidien englobe des valeurs, des normes, des rôles et des moyens pour évaluer les comportements, et cette connaissance, en perpétuelle expansion, subit des réglages minutieux : « profondément immergé.e.s dans notre routine et éclairés par des connaissances pratiques sur le contexte social de nos relations, il est rare que nous prenions le temps de réfléchir à la signification de notre vécu et encore moins de comparer nos expériences personnelles à celles des autres… »23. Car, réfléchir à notre apprentissage au sujet du genre est une entreprise difficile, qui exige énormément de recul par rapport à nous-mêmes et à nos façons habituelles de voir et d’interagir pour réfléchir à la signification du genre et nous demander : comment pouvons-nous acquérir un sens commun aussi vaste, une connaissance apparemment « naturelle » des rôles, valeurs et identités de genre ?

 

En tant qu’humains, nous naissons dans un environnement de conditions et de significations socioculturelles qui nous sont antérieures. La « socialisation » est le terme souvent employé pour désigner ce que nous apprenons, dès le plus jeune âge, pour satisfaire et négocier les attentes normatives qui vont nous permettre de savoir comment nous comporter et nous intégrer dans la société, en particulier par rapport à des ensembles de codes, rôles et comportements masculins et féminins. Naître « il » ou « elle » n’indique pas seulement l’appartenance à telle ou telle catégorie biologique de sexe, mais fait de nous les héritier.ère.s d’attributs que nous devons avoir, en tant qu’homme ou femme – des conceptions préformées concernant la façon dont les individus doivent se comporter, comment ils doivent jouer, réagir et exprimer leurs émotions.

Comme l’expliquent Jane Pilcher et Imelda Whelehan :

Le concept de socialisation intervient dans les explications des différences de genre qui mettent l’accent sur le processus par lequel les individus apprennent à devenir masculins ou féminins dans leurs identités, apparences, valeurs et comportements. Le premier stade de la socialisation se déroule durant la petite enfance et l’enfance, par le biais de l’interaction entre les adultes (les parents, en particulier) et les enfants. Mais la socialisation est un processus qui se poursuit tout au long de la vie. Tandis que les individus grandissent et vieillissent, ils sont sans cesse confrontés à de nouvelles situations et expériences, apprenant ainsi progressivement de nouveaux aspects de la féminité et de la masculinité.24

Toutefois, savoir que se déroule un processus que l’on appelle la « socialisation » est une chose, analyser la façon dont il se déroule en est une autre ; cela peut être un sujet de discussion intéressant, compte tenu de la diversité des contextes dans lesquels une ressource telle que ce manuel peut être utilisée. Les anthropologues
qui étudient le genre s’intéressent en particulier aux fortes variations, selon le lieu, de la façon dont femmes et hommes établissent des rapports et interagissent, et du sens social dans lequel les sexes eux-mêmes sont conceptualisés.
 

Cela étant, nous pouvons donner de la socialisation deux définitions :

C'est :

  • une idée générale des mécanismes qui nous façonnent progressivement et nous guident à travers nos relations avec les autres, pour aboutir à l’acquisition d’une identité « genrée »,
  • un concept qui possède une histoire plus spécifique dans la sociologie.
     

Par socialisation, on entend généralement l’apprentissage des principaux rôles, différences et valeurs propres au genre par l’intermédiaire d’agents majeurs, dont la famille, les enseignant.e.s et les groupes de pairs, mais aussi les images et les informations véhiculées par les médias. Mais cette idée générale se complique si l’on tient compte de la divergence de vues sur la façon dont s’effectue la socialisation.
 

Voici quelques-unes des questions qui se posent :

  • Quelle importance donner aux différents agents de socialisation dans notre réflexion ?
  • Dans quelle mesure et comment les individus sont-ils capables de négocier activement ces influences et de modeler leurs propres concepts d’identité de genre ?
     

Les théories de l’apprentissage des rôles, très influentes dans les années 70 au point d’être largement acceptées, affirment que les enfants apprennent et intériorisent des rôles et des comportements de genre appropriés grâce à l’interaction avec les adultes, en particulier les parents. Dans les situations du quotidien, bien souvent, les parents sanctionnent et mettent des limites pour obtenir des enfants un comportement de genre approprié, concernant les jeux et les jouets autorisés, par exemple. De plus, ils se proposent comme modèles par le biais de leur propre comportement. Les enfants apprennent à voyager à la manière de garçons ou de filles, avec des cartes qui portent les directions importantes tracées par des adultes en position d’influence. Ainsi, dans les théories de la socialisation qui mettent l’accent sur l’acquisition des rôles, il est souvent affirmé que les limites au comportement – dont la rigidité va dépendre du contexte – sont renforcées par des logiques de réaction positive et négative, qui se traduisent par l’intériorisation des normes pour les rôles et les comportements féminins et masculins.

 

22 Alsop, R., Fitzsimons, A. & Lennon, K. (2002). Theorising Gender, Oxford: Polity, p. 5. (en anglais uniquement)

23 Ibid, p.7 (en anglais uniquement)

24 Pilcher, J. & Whelehan, I. (2004). 50 Key Concepts in Gender Studies. London: Sage, p. 7. (en anglais uniquement)

Capacité d’action personnelle (rôle individuel) dans la construction du genre

Même si certaines des subtilités des théories de l’apprentissage des rôles nous échappent, il n’est pas inutile d’en signaler les limites. Ces théories peuvent servir à montrer à quel point les rôles de genre ainsi construits sont « dominants » ou « hégémoniques », mais elles ne peuvent expliquer pourquoi des femmes et des hommes s’opposent au sexisme et à l’hétérosexisme (sexisme visant les individus sur la base de leur orientation sexuelle). Elles ne peuvent pas non plus expliquer à quel point, à maints égards, les rôles de genre sont devenus complexes et confus. Pourquoi, par exemple, certaines personnes semblent-elles accepter ces rôles et vivre avec, tandis que d’autres les rejettent et tentent de les changer du tout au tout ?

Par exemple, un rôle de genre stéréotypé fait d’un homme un père qui travaille à l’extérieur et, historiquement, associe l’homme au soldat. Or, dans quelques pays européens, il est de plus en plus courant que des pères ayant fait leur service militaire prennent un congé parental pour s’occuper de leur enfant. De la même façon, dans bien des cas, l’image d’une école véhiculant de tels stéréotypes ne résiste plus à l’analyse. La preuve en est les changements intervenus au niveau des supports pédagogiques et des programmes scolaires qui, aujourd’hui, témoignent d’une sensibilité croissante au genre. Cela étant, il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine.

Un autre point mérite d’être souligné : accorder trop d’importance à la socialisation comme moyen de garantir la conformité est probablement aussi restrictif que nier l’influence de la société sur l’individu. Après tout, la logique éducative de ressources tel ce manuel repose sur la croyance que nos conceptions du genre peuvent évoluer et que les individus peuvent adapter, et adaptent, les normes de genre à leurs propres vies. Pour cette raison, beaucoup de théories contemporaines soulignent le pouvoir qu’a chacun.e de réfléchir à sa propre identité de genre, de la modeler et de la construire. Les jeunes en particulier, par leur utilisation de la mode, de la culture populaire et des réseaux, sont devenus plus autonomes dans leur mise en représentation et leur façon de vivre avec leurs corps. Par conséquent, on s’accorde à opter pour un équilibre entre l’importance de la socialisation et l’autonomie de l’individu.