Le genre dans le travail et les organisations de jeunesse
Lorsque des jeunes sont réunis pour travailler, organiser, échanger et apprendre ensemble, les dimensions de genre, omniprésentes, ne peuvent être négligées. Selon la Recommandation du Conseil de l’Europe relative au travail de jeunesse : « Le concept de travail de jeunesse est large et couvre une vaste gamme d’activités de nature sociale, culturelle, éducative, environnementale et/ou politique, réalisées par, avec et pour les jeunes, en groupes ou à titre individuel. Le travail de jeunesse est assuré par des travailleurs de jeunesse rémunérés ou bénévoles et repose sur des processus d’apprentissage non formels et informels axés sur les jeunes et sur la participation volontaire. Le travail de jeunesse est essentiellement une pratique sociale, un travail mené avec les jeunes et la société dans laquelle ils vivent, dont le but est de faciliter leur inclusion et leur participation active à la vie de la collectivité et à la prise de décisions. Malgré les différences de tradition et de définition, il est communément admis que la fonction première du travail de jeunesse consiste à motiver les jeunes et à les aider à trouver et à suivre des voies constructives dans la vie, et à contribuer ainsi à leur développement personnel et social, et au fonctionnement de la société dans son ensemble. »
Les initiatives des jeunes peuvent jouer un rôle dans la lutte contre la violence fondée sur le genre, qu’il s’agisse de favoriser l’accès de ces derniers à une information adéquate sur cette forme de violence ou de militer en faveur d’un changement des lois et des politiques. Cependant, les organisations de jeunesse doivent également examiner leur propre travail, pour voir comment et dans quelle mesure les questions de genre sont abordées en leur sein.
La meilleure façon d’entamer ce processus de réflexion est d’analyser la manière dont le genre est pris en compte dans le travail de certaines organisations et, en général, dans les structures et institutions qui fournissent des services pour la jeunesse. L’intégration de la dimension de genre ne se résume pas au fait de compter le nombre de jeunes femmes et de jeunes hommes, ni nécessairement d’organiser des activités spéciales pour ces groupes, bien que cela puisse être important.
La section qui suit vous invite à réfléchir seul ou ensemble sur les questions de genre en relation avec votre communauté et l’organisation avec laquelle vous travaillez.
Elle devrait vous aider à faire le point et vous donner des idées sur ce que vous pourriez faire pour aborder avec plus d’efficacité le genre dans votre travail.
Au niveau de votre communauté
Réflexion
- Existe-t-il une reconnaissance sociale et politique générale du fait que la violence fondée sur le genre constitue un problème ?
- Existe-t-il dans votre pays des lois qui protègent les victimes de la violence fondée sur le genre et qui punissent ses auteur.e.s ?
- Ces lois sont-elles appliquées avec succès ? Quels sont les mécanismes d’application et qui collecte les données ?
- Comment les médias locaux et nationaux rendent-ils compte des questions de genre et de violence fondée sur le genre ?
- Qui d’autre travaille sur la violence sexiste ? Y a-t-il d’autres organisations qui travaillent sur le sujet et dont vous pourriez tirer des enseignements, ou avec lesquelles vous pourriez coopérer ?
- Les questions de la violence et de la violence fondée sur le genre sont-elles abordées dans les écoles ?
Action
Joignez-vous à des coalitions et à des réseaux d’organisations travaillant sur la violence fondée sur le genre. Il ne sert à rien de dupliquer le travail d’autres organisations et, par ailleurs, l’action est souvent plus efficace lorsque les individus et les organisations coopèrent. Si vous commencez à traiter la violence fondée sur le genre dans votre travail, rejoindre une coalition vous donnerait accès aux connaissances, à l’expertise, aux contacts, à la formation et aux travaux de recherche d’autres structures. Vous pourriez alors apporter une contribution basée sur la vision qu’ont les jeunes des questions examinées et bénéficier de l’élargissement de la coalition ou du réseau.
Au niveau de votre organisation
Réflexion
Comment votre organisation aborde-t-elle la violence fondée sur le genre ?
- Comment fonctionne-t-elle en matière de prévention (par exemple, signalement des cas de violence, mise en oeuvre de campagnes de sensibilisation, etc.) ?
- Qui est impliqué dans les structures décisionnelles de votre organisation ?
- Les hommes et les femmes sont-ils également représenté.e.s ? Les jeunes LGBT+ peuvent-il.elle.s affirmer ouvertement leur identité et participer à votre organisation ? Font-il.elle.s partie d’une structure de prise de décision ?
- Tenez-vous compte de l’impact des décisions sur différentes catégories, par exemple sur les hommes, les femmes et les personnes qui ne s’identifient à aucune de ces catégories ?
- Êtes-vous au courant de la violence fondée sur le genre subie par les jeunes dans votre organisation/groupe ? De tels cas sont-ils documentés, traités ou discutés ? Existe-t-il des mécanismes pour signaler ou aider les victimes ?
- L’égalité de genre est-elle considérée sous l’angle des droits de la personne humaine, sachant que l’égalité de genre n’est pas une question de « droits spéciaux », mais de promotion de la dignité de chaque individu et de son droit à la liberté et à l’égalité ?
- Les animateur.rice.s et les responsables de jeunesse au sein de l’organisation ont-il.elle.s été formé.e.s à reconnaître la violence fondée sur le genre et sont-il.elle.s capables d’y faire face dans leur travail, notamment en fournissant aux victimes des informations sur les droits et services auxquels elles peuvent accéder ?
- Vos activités sont-elles accessibles à toutes et tous ? Comment la dimension de genre est-elle prise en compte dans vos processus de sélection et dans la communication avec les participant.e.s ?
- Quels types de ressources utilisez-vous dans vos activités ? Reflètent-elles et reproduisent-elles les stéréotypes de genre et les rôles dans la société, ou les remettent-elles en question ?
- L’égalité des chances et de participation est-elle prévue tant pour les participant.e.s que pour les équipes ou les expert.e.s invité.e.s ?
- Disposez-vous une politique pour traiter les incidents de harcèlement ou de violence fondés sur le genre qui pourraient survenir dans le cadre du travail de jeunesse ? Les participant.e.s sont-il.elle.s au courant de cette politique, y compris concernant les personnes qu’il est possible de solliciter en cas de besoin ?
Action
Vous pouvez rédiger un document de politique générale sur l’égalité de genre contenant
- des déclarations de principe relatives à l’égalité de genre ;
- des réglementations spécifiques, y compris la manière dont elles seront suivies ; et
- des mécanismes de préservation de l’égalité de genre.
L’élaboration de stratégies et de politiques visant à promouvoir l’égalité de genre peut être un processus important en soi, avant même que toute stratégie ou politique ne soit mise en oeuvre. Dans des environnements participatifs, ces processus et documents doivent être dynamiques et ouverts à la consultation et à la révision.
Langage
Réflexion
- Utilisez-vous une approche binaire du genre dans vos formulaires de candidature ou dans la communication avec les jeunes ?
- Utilisez-vous des titres normatifs de genre tels que Mme/M. dans les documents ?
- Êtes-vous capable de détecter le langage sexiste et de réagir de façon appropriée ?
- Expliquez-vous aux participant.e.s et aux animateur.rice.s de jeunesse certains choix, comme les efforts faits pour éviter l’utilisation de pronoms genrés ?
Action
Passez en revue votre documentation et, si nécessaire, créez une série de modèles de documents pour votre organisation en supprimant tous les titres normatifs relatifs au genre et en incluant un langage sensible au genre. Cela peut être délicat dans certaines langues. Vous devrez peut-être vérifier si de telles tentatives ont déjà été faites par d’autres, et discuter des solutions possibles avec vos collègues.
Des installations et un environnement sûrs
Réflexion
- Si vous travaillez dans un centre de jeunes, le personnel, y compris le personnel impliqué dans la prestation des services, a-t-il reçu une formation sur les questions d’égalité de genre ? Si vous travaillez dans une école ou si vous organisez des interventions dans un autre établissement, avez-vous discuté de ces questions avec les responsables de l’établissement ?
- Lors de projets résidentiels, tenez-vous compte du confort des participant.e.s en termes d’hébergement, de partage des chambres, de sûreté et de sécurité des lieux et de voisinage local ?
- Répondez-vous à des besoins particuliers (par exemple, en permettant à quelqu’un d’accompagner un.e participant.e, si besoin) ?
- Avez-vous élaboré un code de conduite avec les participant.e.s ?
- Disposez-vous de personnes-ressources en cas d’urgence pour les participant.e.s ? Avez-vous connaissance de problèmes particuliers qu’il faudrait prendre en compte lorsque vous communiquez avec des personnes ressources en cas d’urgence ? Par exemple, dans le cas d’un.e participant.e LGBT+, savez-vous si les personnes en question sont informées de son identité de genre ?
- Dans le cas des mineur.e.s, savez-vous ce qu’il peut être approprié ou inapproprié de communiquer aux parents ?
- Y a-t-il dans l’équipe pédagogique une « personne de confiance » à qui les participant.e.s peuvent s’adresser pour obtenir des conseils ou faire appel en cas de discrimination ? La personne désignée est-elle au courant des cas qui pourraient nécessiter le recours à une action en justice ?
Action
La constitution de groupes « unisexes » dans le cadre du travail de jeunesse est souvent un moyen de permettre aux jeunes d’aborder les préjugés, les stéréotypes et les questions relatives aux normes de genre, et de leur fournir un espace dans lequel explorer des questions telles que la sexualité et l’identité de genre. Cette approche peut aider les participants à trouver leur place entre les attentes de la société et la réalisation de soi.
Vous pourriez envisager d’élargir ces groupes non mixtes à d’autres critères : un groupe composé uniquement de filles pourrait inclure les filles transgenres, si elles le souhaitent. Vous pourriez aussi organiser des groupes de soutien pour les jeunes intersexué.e.s ou pour les jeunes homosexuel.le.s. Le même principe devrait s’appliquer, autrement dit, fournir un espace sûr où les questions relatives à l’identité de genre et à la violence fondée sur le genre peuvent être débattues. Un groupe « efficace » devrait être tel qu’il génère parmi ses membres un sentiment d’appartenance, leur apporte des outils pour faire face aux problèmes et aux conflits qui peuvent survenir dans la vie de tous les jours, et favorise une meilleure connaissance de soi.
Techniques de domination
Dans la formation, et dans le contexte des organisations, il faut examiner comment les relations de pouvoir et les normes de genre sont maintenues. Pour mettre en évidence et analyser comment les relations entre les genres sont liées au pouvoir, la psychologue sociale norvégienne Berit Ås a développé une analyse des techniques de domination, et notamment :
- Rendre l’autre invisible :
si personne ne vous écoute, vous allez naturellement vous arrêter de parler. La marginalisation peut résulter d’actions individuelles, mais un environnement dans lequel il est difficile de se faire entendre produira le même résultat.
- Ridiculiser l’autre :
Le ridicule peut être véhiculé au moyen de commentaires, d’insultes et de plaisanteries, ou par une communication non verbale qui fait allusion au fait que l’autre n’est pas à sa place. Il est courant d’utiliser cette dynamique pour éviter d’être soi-même le sujet des moqueries.
- Faire de la rétention d’informations :
Les personnes en possession d’informations essentielles peuvent exercer pouvoir et influence. Si l’information n’est pas partagée de façon égale entre les personnes dans la même position, il y a inégalité de pouvoir. Des questions importantes peuvent être abordées au sein de groupes informels, des décisions peuvent avoir déjà été prises informellement avant que les instances officielles ne se rencontrent.
- Infliger la double punition :
La double punition signifie que, quoi que vous fassiez, vous avez tort. Une jeune fille qui participe peu aux discussions va être jugée passive, ennuyeuse et peu encline à la prise de responsabilité. En revanche, si elle participe activement et sur tous les fronts, on va dire d’elle qu’elle est envahissante et lui reprocher de vouloir être « partout ».
- Accabler l’autre de honte et de culpabilité :
Eveiller chez l’autre des sentiments de honte et de culpabilité est un puissant outil d’oppression, comme laisser entendre qu’un garçon est efféminé ou pas très masculin. Les familles qui exercent un contrôle excessif sur les habitudes ou attitudes de leurs enfants peuvent éveiller chez ces derniers la honte et la culpabilité de provoquer le désordre dans la famille s’ils n’obéissent pas ou ne se conforment pas aux valeurs établies. De la même façon, dans les environnements où les jeunes se retrouvent, certains se voient reprocher de ne pas participer, de ne pas rire à une plaisanterie, etc.
- Pratiquer l’objectification :
L’objectification fait principalement référence aux images sexistes qui circulent dans les médias populaires. Mais les personnes peuvent aussi être traitées « à la manière d’objet » dans les organisations, lorsque seule leur apparence physique semble compter et qu’elles ne sont autorisées à participer que de façon purement « symbolique » du fait de leur identité perçue.
- Faire subir des violences et menacer de violences :
La peur de faire l’objet de violences est un puissant frein à la liberté de mouvement et d’action. Par exemple, devoir prendre un chemin plus long pour rentrer à la maison pour éviter la violence ou ne pas oser sortir le soir à cause de la violence potentielle sont les réalités quotidiennes de beaucoup de jeunes.
Exemples de projets
Le Service de la Jeunesse du Conseil de l’Europe a adopté des Lignes directrices sur l’intégration des questions d’égalité entre les femmes et les hommes dans les activités interculturelles de jeunesse du Conseil de l’Europe et de ses partenaires.
L’activité « Pas de violence ici ! » peut vous aider à élaborer une politique de prévention et e lutte contre la violence fondée sur le genre à l’école. Vous pouvez aussi adapter l’activité pour lancer une discussion sur la question dans votre organisation.
L’Organisation internationale de la jeunesse et des étudiant.e.s lesbiennes, gays, bisexuel.le.s, transgenres et queer (IGLYO) a conçu une boîte à outils en anglais (Norm Criticism Toolkit) pour aider les jeunes à déconstruire les normes qui affectent leur vie et leur identité, afin qu’ils puissent s’identifier et s’exprimer indépendamment de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur expression de genre, de leurs caractéristiques sexuelles ou de leur diversité physique, sans violence ni haine.
La campagne d’Amnesty International « Mon corps, mes droits » promeut les droits sexuels et génésiques de tous dans le monde entier. Son objectif est de militer afin que les gouvernements cessent d’utiliser le droit pénal pour contrôler la sexualité et la reproduction et afin de faciliter l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive, à l’éducation et à l’information en la matière. Elle prône également l’autonomisation des individus, afin que chacun puisse prendre des décisions concernant son corps, et l’interdiction de toutes les formes de discrimination et de violence. La campagne englobe des travaux de recherche, des actions de sensibilisation en ligne et hors ligne, des pétitions et d’autres initiatives de plaidoyer.
« Giuvlipen » (féminisme en romani) est le nom d’une compagnie théâtrale rom féministe de Bucarest. Cette compagnie a produit et mis en scène des pièces de théâtre et des spectacles qui explorent l’intersection du racisme et du sexisme dans l’expérience des femmes roms, dans le but de briser les stéréotypes et les préjugés tant dans la communauté rom que dans la société en général.
« Phenja – La violence n’a pas de couleur » est un projet qui a été mis en oeuvre par l’Association pour la promotion des droits des femmes roms (E-Romnja) au cours de la période 2014-2016. Centré sur la collaboration avec les communautés roms en Roumanie, il avait pour objectif d’explorer et de dénoncer la violence fondée sur le genre à l’égard des femmes roms.
LGBT Youth Scotland offre aux jeunes un soutien en ligne par le biais d’une fonctionnalité LiveChat de son site web, leur donnant la possibilité de discuter en temps réel avec des animateur.rice.s formé.e.s sur les questions d’identité de genre, de coming out, de relations, de harcèlement et de santé sexuelle.