Apprentissage et créativité

Qu’est-ce qu’apprendre au XXIème siècle ?

Internet permet aux citoyens d’apprendre à tout moment de leur vie, mais il a aussi accéléré le renouvellement des connaissances. En 1900, on estimait que les connaissances humaines doublaient à peu près tous les siècles (c’est ce que l’on appelle «la courbe de doublement des connaissances ») ; aujourd’hui, le volume moyen de connaissances double tous les 13 mois.. D’après les prévisions d’IBM, l’internet des objets fera doubler les connaissances toutes les 12 heures.

S’il devient impossible d’acquérir à l’école tous les savoirs dont on aura besoin pour le restant de sa vie, alors la manière d’apprendre devient plus importante que ce qu’on apprend, d’autant que les technologies numériques s’accompagnent d’évolutions très rapides dans notre façon de vivre. Ces technologies numériques ont modifié à la fois les outils et les lieux d’apprentissage et de savoir, remplacé la craie, le tableau et l’estrade par des outils d’information et de communication interactifs combinant sites internet, échanges de courriels, salles de chat, vidéoconférences, webinaires, applications, robots, drones, réalité virtuelle et plus encore. Les livres sur papier cèdent du terrain devant les e-books, les encyclopédies devant Wikipédia et bien d’autres encore.

L’apprentissage mobile, les réseaux sociaux et les jeux en ligne font basculer la transmission du savoir et de certaines aptitudes des enseignants vers les apprenants. Les formations à distance (comme les MOOC, massive online open courses) permettent aux citoyens d’acquérir de nouvelles qualifications professionnelles par-delà les anciennes barrières sociales ou matérielles. En partie grâce à un meilleur accès aux outils d’apprentissage (voir la fiche d’information  « Accès et inclusion »), seuls 10 % des habitants du monde sont aujourd’hui incapables de lire ou d’écrire la moindre phrase, contre 25 % il y a un demi-siècle.
 

Repenser les programmes, actualiser les pédagogies

Outre la difficulté croissante à filtrer la surabondance d’informations et à départager le vrai du faux (voir la fiche d’information « Éducation aux médias et à l’information »), ces nouvelles façons d’apprendre et le renouvellement rapide des connaissances ont fortement modifié le quoi et le quand des apprentissages. Dès les années 1990, Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, proposait de restructurer l’éducation autour de quatre piliers essentiels afin de préparer les jeunes à notre monde de plus en plus numérique.

Figure 7 – Quatre piliers de l’éducation et compétences nécessaires à la citoyenneté numériqueCes quatre piliers sont : apprendre à connaître, à faire, à être et à vivre ensemble1. D’autres éducateurs ont exprimé cette idée avant et après Jacques Delors, et internet offre une multitude d’outils et de forums qui concrétisent indéniablement la possibilité d’apprendre partout et à tout moment – bien que, le plus souvent, ces outils et ces forums cohabitent avec les systèmes éducatifs classiques sans s’y intégrer. Les quatre piliers s’appuient sur les quatre domaines de compétences identifiés dans le modèle conceptuel du Conseil de l’Europe (figure 7).

Figure 7 – Quatre piliers de l’éducation et compétences nécessaires à la citoyenneté numérique

Tout récemment, l’Institut de prospective technologique de la Commission européenne (IPTS) a avancé l’idée que, pour s’adapter aux besoins réels des futurs citoyens, les programmes devaient reposer sur cinq concepts : l’information, la communication, la créativité, la résolution des problèmes et la responsabilité. Et pendant que le débat sur les programmes scolaires faisait rage, un bouleversement majeur s’est installé tranquillement et a transformé les apprentissages : il s’agit des technologies. Ces dernières se sont frayé un chemin jusqu’à nos tout-petits qui, déjà internautes lorsqu’ils entrent à l’école maternelle, manquent des phases importantes de leur développement, ce qui pourrait peser lourdement sur leur avenir..

À l’heure où les enfants et les jeunes, tablette ou téléphones mobiles en main, naviguent dans un entre-deux en ligne/hors-ligne, apportant leurs disputes et leurs amitiés en classe et partant se coucher avec les jeux et les conflits de la cour de récréation, « apprendre à être » et « vivre ensemble » (c’est-à-dire les valeurs et les attitudes) deviennent de plus en plus nécessaires. De plus, l’enseignement formel commence à faire une place à des compétences d’ « intelligence émotionnelle », comme la conscience de soi, la conscience sociale ou la gestion des relations. À l’autre bout du spectre, on s’aperçoit que les enfants qui apprennent à coder comprennent mieux les limites de la technologie et la place qu’elle occupe dans leur vie. Le code informatique, sorti de l’ombre, fait désormais figure de compétence incontournable pour les citoyens du XXIème siècle.
 

Quelle place pour la créativité ?

Être un citoyen actif, que ce soit à l’école, avec ses amis ou sur les communautés en ligne et hors ligne, c’est être capable de formuler dans tous les débats des points de vue originaux, des idées et des opinions. Il faut pour cela maîtriser une série d’aptitudes cognitives complexes, allant de l’analyse des sources au tri et à l’interprétation des informations. Toutes ces aptitudes se développent par l’expérience et l’exploration plutôt que par la transmission de savoirs; elles demandent un certain degré de créativité, ingrédient essentiel de la résolution des problèmes. Elles supposent aussi que les jeunes sachent s’exprimer de façon cohérente et écouter les avis des autres.

Comment, cependant, favoriser la créativité, l’expression de soi et l’apprentissage par l’expérience dans des écoles qui suivent des programmes d’apprentissage standard, des grilles d’évaluation obscures, et imposent aux élèves d’atteindre des objectifs extérieurs plutôt que ceux qu’ils se sont fixés ? La créativité et l’expression artistique ont toujours été d’importants vecteurs de progrès social, mais comment inciter les enfants à exercer leur imagination quand leurs écrans leur offrent, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, à portée de main par simple clic d’une souris, une palette de divertissements infinie ?

Comment ça marche ?

Apprentissage et créativité sont intrinsèquement liés. L’apprentissage, tout comme la création, commence par l’apport d’informations, d’idées, d’émotions et/ou de sensations que l’apprenant traite à travers une activité pouvant aller de la réflexion à l’action individuelle ou collaborative. Comme la création, l’apprentissage est plus efficace lorsque l’apprenant est motivé et non contraint par le temps, l’espace, les pressions ou la crainte. L’apprentissage par le jeu et l’autoapprentissage fondé sur les technologies répondent généralement à ces critères, et peuvent donc aboutir à des résultats créatifs. Atteindre des buts immédiats encourage les apprenants à se fixer des buts plus ambitieux, et donc à définir leur propre programme d’apprentissage

Selon une publication du Centre commun de recherche de la Commission européenne (JRC), « Apprendre à apprendre » consiste à « persister dans l’apprentissage et s’organiser soi-même, notamment à travers une bonne gestion du temps et des informations, à la fois seul et en groupe 3». Aujourd’hui, les éducateurs comme les décideurs estiment qu’il s’agit d’une aptitude de base pour réussir dans la société de l’information. Apprendre à apprendre est un élément essentiel de l’apprentissage tout au long de la vie, pour lequel le comportement de l’apprenant est déterminant. C’est pourquoi l’apprentissage doit devenir une expérience positive pour tous les enfants. Il est difficile d’évaluer la capacité à apprendre à apprendre car elle englobe des aspects cognitifs, psychologiques et socioculturels.
 

Dimensions éducatives et citoyennes

Outre le rôle important de l’apprentissage dans la connaissance et la compréhension critique du monde, des activités pédagogiques inscrites dans un environnement bienveillant aident les élèves, en cas d’échec comme de réussite, à mieux se connaître et à mieux connaître leurs qualités et leurs limites. L’apprentissage coopératif, consistant par exemple à planifier et à réaliser des projets et des modèles lors d’activités manuelles, est particulièrement intéressant pour les très jeunes enfants. En partageant les outils, en confrontant leurs idées et en utilisant le matériel à tour de rôle, ils mettent en pratique des valeurs démocratiques comme la justice et l’équité, et des attitudes telles que le respect des autres et de leurs idées.

Figure  8  –  Apprentissage  et  créativité  –  Compétences  clés  de  la  citoyenneté numériqueDans notre monde de plus en plus complexe et imprévisible, la créativité aide à s’adapter à de nouveaux environnements, à répondre aux besoins sociétaux émergents et à résoudre les nombreux défis qui accompagnent la technologie. Par conséquent, la créativité crée des emplois, favorise la croissance économique et pousse la société à optimiser son potentiel humain. Des recherches fondées sur le «test de la pensée créative » de Torrance, qui fait autorité depuis les années 1960 pour mesurer la créativité, indiquent que les réalisations créatives au cours de la vie sont trois fois plus corrélées à la créativité pendant l’enfance qu’au QI pendant l’enfance.4

Figure 8 – Apprentissage et créativité – Compétences clés de la citoyenneté numérique

3. B. Hoskins et U. Fredriksson, Learning to Learn: What is it and can it be measured? JRC, Commission européenne, 2008.

4. M. A. Runco, G. Millar, S. Acar et B. Cramond, « Torrance Tests of Creative Thinking as Predictors of Personal and Public Achievement: A Fifty-Year Follow-Up », Creativity Research Journal, 22 (4), 2010. DOI: 10.1080/10400419.2010.523393.