Retour Le 40e anniversaire d'une affaire clé de la Cour européenne des droits de l'homme qui a conduit à la dépénalisation de l'homosexualité - un tournant pour les personnes LGBTI

DUDGEON C. LE ROYAUME-UNI, 22 OCTOBRE 1981
Le 40e anniversaire d'une affaire clé de la Cour européenne des droits de l'homme qui a conduit à la dépénalisation de l'homosexualité - un tournant pour les personnes LGBTI

La lutte pour que les personnes LGBTI puissent jouir de leurs droits humains n'a pas été facile. Il y a 40 ans jour pour jour, Jeffrey Dudgeon a obtenu justice devant la Cour européenne des droits de l'homme, après avoir fait face à des descentes de police, des interrogatoires intrusifs sur ses activités sexuelles et la confiscation de ses lettres personnelles ainsi son journal intime, cela à une époque où les relations homosexuelles consenties étaient encore criminalisées en Irlande du Nord.

En 1981, la Cour de Strasbourg a été la première instance internationale à statuer que les lois criminalisant l'orientation sexuelle violent les droits humains, notamment le droit au respect de la vie privée et familiale. Son arrêt révolutionnaire a conduit à la dépénalisation de l'homosexualité en Irlande du Nord, au Royaume-Uni et en Europe dans son ensemble, reconnaissant les droits humains de millions de personnes.

Pour marquer le 40e anniversaire de l'affaire et célébrer l'homme qui en est à l’origine, nous avons demandé à Jeffrey Dudgeon de partager le récit de son combat pour la justice dans ce court métrage.

L'unité SOGI est reconnaissante de la participation de Jeffrey Dudgeon, de Tim Eicke (le juge au titre du Royaume-Uni, Cour européenne des droits de l'homme), d’Arpi Avetisyan (responsable du contentieux, ILGA Europe) et des défenseurs des droits des personnes LGBTI Brian Gilmore, Richard Kennedy et Douglas Sobey.

 

L'affaire - Dudgeon c. le Royaume-Uni, 1981

En 1976, Jeffrey Dudgeon a introduit une requête auprès de la Commission européenne des droits de l'homme pour se plaindre de l'interdiction totale des actes homosexuels masculins en Irlande du Nord, appliquée par le biais d’une loi réglementant tous les actes de sodomie et de grossière indécence entre hommes. Cette loi a servi de base à des descentes de police au domicile d'homosexuels, qui faisaient l'objet d’enquêtes approfondies et qui étaient menacés de poursuites. Jeffrey avait été interrogé sur ses activités sexuelles par la police, qui avait également pris et conservé des journaux intimes et de la correspondance personnelle à son domicile. En 1977, il a été informé qu'une décision avait été prise de ne pas engager de poursuites et les documents qui lui avaient été confisqués par la police lui avaient été restitués. Jeffrey s'est plaint que la loi interdisant les actes sexuels masculins avait un « effet dissuasif ou restrictif sur la libre expression de sa sexualité ».

Le 22 octobre 1981, la Cour européenne des droits de l'homme a fait droit au grief de Jeffrey selon lequel la criminalisation des actes homosexuels entre adultes consentants en Irlande du Nord constituait une ingérence injustifiée dans son droit au respect de la vie privée en vertu de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Impact de l'affaire au Royaume-Uni, en Europe et au-delà

Cet arrêt a été une avancée majeure pour les droits humains des personnes LGBTI car il s'agissait de la première affaire à être tranchée par la Cour européenne des droits de l'homme en faveur des droits des personnes LGBT.

Il a conduit le Parlement britannique à partiellement dépénaliser les actes sexuels entre hommes en Irlande du Nord en 1982. Mais elle a également ouvert la voie à la dépénalisation de l'homosexualité en Europe, car toute loi criminalisant les comportements homosexuels entre adultes consentants dans les États membres du Conseil de l'Europe serait par la suite considérée comme une violation de l'article 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention européenne des droits de l'homme.

L'affaire a étayé d'autres arrêts de la Cour de Strasbourg contre des États qui appliquaient une interdiction totale des actes homosexuels (par exemple Norris c. Irlande, 1988 et Modinos c. Chypre, 1993). Cependant, il a fallu attendre 2014 (Chypre du Nord) pour parvenir à la dépénalisation complète des actes homosexuels dans tous les Etats membres du Conseil de l'Europe.

L'affaire Dudgeon a également façonné la jurisprudence en dehors de l'Europe - par exemple, aux États-Unis, où elle a été citée dans la décision Lawrence v. Texas (2003) de la Cour suprême des États-Unis, qui a conclu que les lois anti-sodomie dans 14 États étaient inconstitutionnelles dans cette affaire.

 

Importance et pertinence de la CEDH pour la protection des droits humains des personnes LGBTI

L'arrêt Dudgeon a été le premier, mais pas le seul, où la Cour européenne des droits de l'homme a pris des décisions majeures ayant un impact positif sur les droits humains des personnes LGBTI en Europe. Au cours des années suivantes, l'arrêt de la Cour a déclenché d'autres réformes législatives européennes importantes dans le domaine de l'orientation sexuelle, de l'identité de genre et/ou de son expression et des caractéristiques de sexe (SOGIESC).

La Cour a reconnu le droit des personnes transgenres à la reconnaissance légale de leur genre sans qu'il soit nécessaire de recourir à une intervention chirurgicale ou à un traitement de stérilisation (A.P., Garçon et Nicot c. France, 2017) ; le droit à la reconnaissance juridique des relations homosexuelles (Oliari et autres c. Italie, 2015) ; le droit pour les couples de même sexe d'avoir accès à des unions civiles lorsqu'elles sont mises à la disposition de couples de sexe différent (Vallianatos et autres c. Grèce, 2013) ; la non-discrimination en matière d'adoption coparentale dans une relation entre personnes de même sexe (X. et autres c. Autriche, 2013) ; la protection de la liberté de réunion (Alekseyev c. Russie, 2010) et de la liberté d'expression (Bayev et autres c. Russie, 2017), en particulier pour les groupes vulnérables, dont les personnes LGBTI ; et la reconnaissance des discours de haine homophobes (Beizaras et Levickas c. Lituanie, 2020 et Lilliendahl c. Islande, 2020) et des crimes de haine homophobes (Identoba et autres c. Géorgie, 2015).

La Cour considère la Convention européenne des droits de l'homme comme un « instrument vivant », qui est « interprété à la lumière des conditions actuelles et des idées qui prévalent dans une société démocratique ». Elle a été jugé un pionnièr judiciaire dans son interprétation de la Convention, exigeant la reconnaissance et la protection des personnes LGBTI au cours des dernières décennies et servant de riche source d'inspiration jurisprudentielle pour d'autres tribunaux nationaux et internationaux.

Il existe des domaines dans lesquels la jurisprudence de la Cour évolue encore, tels que l'égalité d'accès au mariage, l'élimination de la discrimination fondée sur SOGIESC en matière d'immigration et d'asile, la non-discrimination fondée sur les caractéristiques de sexe et l'identité de genre, et la dépathologisation des identités transgenres.

La jurisprudence de la Cour a également été consacrée dans la Recommandation CM/Rec(2010)5 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe aux Etats membres sur les mesures de lutte contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, le premier outil juridique international conçu à cet effet. Son application garantit la dignité et l'égalité des personnes LGBTI dans toute l'Europe.

Un recours devant la Cour demeure un outil puissant. Dans certains cas, il s’agit du seul instrument pratique pour faire valoir une revendication d'égalité. Les personnes LGBTI en Europe cherchant à obtenir réparation pour des violations présumées de leurs droits et libertés garantis par la Convention ont tout intérêt à accéder à des informations sur des exemples de litiges réussis fondés sur SOGIESC.

 

La défense des droits humains, un devoir pour tous les États membres

Il reste encore un long chemin à parcourir dans la lutte pour l'égalité des droits. Le respect des droits humains de chacun, y compris ceux des personnes LGBTI, est le devoir de tous les États en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme.

Le Conseil de l'Europe continuera à fournir à ses Etats membres le soutien nécessaire pour protéger les personnes LGBTI, en droit et en pratique.

Nous comptons sur le leadership politique de nos États membres pour réaffirmer et renforcer leur engagement envers la Convention européenne des droits de l'homme, pour mettre en œuvre les recommandations du Conseil de l'Europe et montrer l'exemple en éliminant la discrimination à l'égard des personnes LGBTI.

 

Liens

Arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Dudgeon c. Royaume-Uni 1981

Résolution du Comité des Ministres dans l'affaire Dudgeon c. Royaume-Uni, | DH (83) 13

 

Autres ressources

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