L'auteure, Claude Vivier Le Got

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Claude Vivier Le Got est membre du Bureau du Comité directeur pour les politiques et pratiques éducatives du Conseil de l’Europe et a présidé la Commission Education et Culture de la Conférence des OING. Depuis 2015, elle est présidente de la FEDE, Fédération Européenne des Ecoles, OING rassemblant plus de 500 établissements d’enseignement supérieur sur 40 pays.

Elle a fondé et présidé durant 30 ans un établissement international d’enseignement supérieur dans les métiers du management culturel, a été membre du conseil d’administration de la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (FEEF) durant 20 ans, conseillère municipale et adjointe à la culture et à l’enseignement supérieur durant douze ans. Elle a publié des ouvrages sur les métiers du management des arts et de la culture. Claude Vivier Le Got est Chevalière de l’Ordre des Palmes Académiques, Chevalière de l’Ordre National du Mérite et Chevalière de l’Ordre des Arts et Lettres.

L’impact de la COVID : l’opinion des ONG

Des ONG mobilisées, traits d’union entre la société civile et les institutions

Les organisations de la société civile qui œuvrent « pour un accès à une éducation de qualité pour tous »[1] ont dû modifier leurs stratégies institutionnelles en réévaluant leurs priorités. Il existe une grande variété d’organisations non gouvernementales (ONG) travaillant dans l’éducation. Ces structures n’ont pas les mêmes objectifs, le même périmètre d’actions, les mêmes moyens financiers ou le même poids politique. De plus, elles ne se focalisent pas sur le même sujet et abordent des thématiques et des priorités assez différentes. Cette grande diversité est une richesse. Les ONG sont reconnues pour leur expertise et leur capacité à traiter des sujets éducatifs délaissés par les gouvernants. Cette aptitude à faire bouger les lignes et à trouver des réponses rapides à des problématiques complexes, peut être vue comme leur dénominateur commun. Les ONG jouent un rôle crucial de boussole dans l’orientation des politiques publiques éducatives.

Les exemples d’actions positives d’ONG pour la promotion d’une éducation de qualité sont innombrables. Ce sont aussi elles qui apportent des solutions concrètes en faveur des personnes les plus défavorisées et qui encouragent le plus vigoureusement la réalisation de l’Objectif de Développement Durable n°4. Si nous devions ne retenir qu’un critère, il serait celui de la réactivité : les ONG d’éducation ont été plus mobiles et plus réactives que les institutions pour mettre en place des organisations permettant de conserver le lien social et l’éducation. En maintenant leur proximité avec les jeunes et les familles, elles ont contribué à structurer les plus fragiles, à lutter contre la discrimination des filles et à protéger les enfants contre la violence familiale.

Une « catastrophe générationnelle » selon l’ONU

En 2020, la crise du coronavirus a perturbé le processus d’apprentissage de plus de 1,5 milliard d’apprenants[2]. L'UNESCO estime que plus de 337 milliards de dollars seront retirés des budgets de l'éducation du fait de la récession économique. Près de 24 millions d’enfants[3] risquent d’abandonner leur scolarité et seront privés d’un accès à l’éducation dans les années à venir. La pandémie a accentué les inégalités, touchant particulièrement les populations les plus vulnérables, auprès desquelles les ONG jouent un rôle majeur. La généralisation de l’enseignement en ligne a clivé des populations et isolé des territoires. Certaines populations subissant la double peine d’être défavorisées dans des territoires sans couverture numérique.

Isolement et impuissance

L’absence de liens sociaux avec des camarades et des professeurs a provoqué une détresse psychologique et isolé les jeunes. Les cours en ligne ont accentué le décrochage universitaire renforçant les abandons et le sentiment d’échec. On constate une forte diminution de docteurs diplômés en 2020[4]. L’intégration sur le marché du travail par un stage, un apprentissage ou un premier emploi est impossible dans certains secteurs, particulièrement ceux de l’évènementiel[5], car les entreprises ont fermé leurs bureaux et généralisé le télétravail. Le cercle l’isolement se referme doublement sur l’étudiant.

La méfiance dans les diplômés

Une petite musique négative sur la valeur des diplômes et des diplômés se propage dangereusement aussi bien au sein des milieux professionnels qu’au cœur du secteur éducatif lui-même[6]. En 2020, des réserves sont apparues sur la fiabilité des examens entraînant une certaine défiance quant à la valeur du diplôme. En 2021, c’est la qualité de l’enseignement à distance qui est attaquée, aussi bien sur les contenus diffusés que la méthodologie employée. Nous voyons se profiler des inquiétudes sur les compétences d’intégration sociale des futurs diplômés 2022. Ces derniers auront connu quasiment trois années d’enseignement solitaire chez eux, et leur capacité à travailler en équipe, à monter des projets collectifs, à intégrer un environnement socioculturel différent, est mise en doute[7]. En dix-huit mois, le coronavirus a tué les espoirs et les perspectives de toute une génération de millions de jeunes[8].

Les chefs d’établissements, véritables capitaines dans la tempête

Ils ont été en première ligne pour absorber les critiques des élèves et des professeurs face aux multiples ordres et contre-ordres donnés par les différents gouvernements. Ils ont dû gérer les nouvelles normes des locaux tout en rassurant sur le maintien des cours dans une ambiance de doute permanent alimentée par des réseaux sociaux débridés. Avec les enseignants, ils ont mis en place des rendez-vous à heure fixe, des devoirs à restituer et des examens dans un but de créer pour les élèves des opportunités de renouer avec une certaine normalité plutôt que des contraintes supplémentaires. En proposant des repères, ils ont maintenu un sentiment de continuité, un cadre structurant et ont offert à leurs élèves la possibilité de se projeter.[9]

La démocratie malmenée

La volonté des gouvernements de privilégier l’aspect sanitaire en décidant l’application de confinements territorialisés et en démultipliant les restrictions a déclenché des privations de libertés imposées aux citoyens, y compris dans les démocraties les plus solides. Le secteur de l’éducation a dû se réinventer au pas de course et souvent à tâtons. Les grands oubliés ont été et sont encore les lieux de soutien scolaire[10] et les accompagnements linguistiques qui accueillent majoritairement des populations défavorisées.

A chaque crise, son lot d’innovations

Des initiatives ont permis la poursuite d’activités d’enseignement et de formation, à la radio, à la télévision ou sous la forme de kits pédagogiques pour l’apprentissage à la maison. Des formules d’enseignement à distance ont été élaborées grâce à l’intervention des ONG déterminées à assurer la continuité pédagogique. De nombreux parents ont pris conscience de la complexité du métier d’enseignant, ce qui se traduira par une revalorisation des métiers de l’éducation dans certains pays et des politiques publiques plus adaptées pour attirer et former plus de candidats.

Les innovations récentes ont fait apparaître des perspectives prometteuses mais ces changements ne pourront être pérennes qu’à condition de ne laisser personne de côté. Pour conserver toute leur pertinence, les écoles devront réinventer leurs environnements pédagogiques de sorte que le numérique élargisse et complète, sans pour autant remplacer, les relations entre apprenants et enseignants, notamment en faisant évoluer les référentiels pédagogiques face à la place croissante du contrôle continu et des évaluations dématérialisées.[11]

La nécessité d’agir ensemble pour une éducation de qualité

Pour éviter que la crise éducative ne dégénère en catastrophe pour toute une génération, les ONG considèrent que tous les acteurs doivent agir ensemble au plus vite et lutter contre la baisse des budgets.

L’éducation n’est pas seulement un droit humain fondamental, c’est un droit dont la réalisation influe directement sur l’exercice de tous les autres droits. Quand les systèmes éducatifs ne fonctionnent pas, la paix, la prospérité et la bonne marche des sociétés ne peuvent plus être garanties.

Dans un monde où les règles contraignantes sont de plus en plus nombreuses, l’éducation et la formation représentent des vecteurs de sens et structurent les perspectives des apprenants. Cette crise a poussé les ONG à innover, à s’adapter, à se moderniser pour mettre en place des outils prenant en compte la spécificité des établissements d’enseignement et la singularité des itinéraires de chaque apprenant pour une éducation de qualité.

Dans ce contexte, les ONG s’impliquent pour atteindre les objectifs suivants[12]:

  • redéfinir le droit à l’éducation pour y inclure la connectivité;
  • favoriser l’apprentissage mixte (présentiel et distanciel) et la reconnaissance de l’éducation informelle;
  • prévenir le décrochage scolaire, notamment au sein des groupes marginalisés;
  • renforcer le soutien scolaire et l’accompagnement linguistique notamment des jeunes migrants ;
  • rendre le secteur de l’éducation plus attractif et mieux préparer les enseignants à leur métier;
  • renforcer les politiques d’’apprentissage;
  • favoriser les partenariats entre les ONG, les pouvoirs publics, les entreprises et les institutions internationales telles que le Conseil de l’Europe, l’UNESCO et la Commission européenne.

 

Claude Vivier Le Got

Présidente de la FEDE

 

Références

[1] L’Objectif de Développement Durable (ODD) n°4 de l’Agenda 2030 de l’ONU

[2] Rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) intitulé The state of school education - one year into the COVID pandemic (March 2021) (page 3, paragraphe 1)

[3] Policy Brief: Education during COVID-19 and beyond (August 2020) de l’ONU (page 2, paragraphe 2)

[4] Note flash du ministère français de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (mai 2021)

[5] Article du journal français Le Monde du 30 janvier 2021 Communication, publicité, événementiel… Les rêves brisés des jeunes diplômés

[6] Article du journal français Le Monde du 12 février 2021 Pour les « promotions Covid », la crainte de diplômes au rabais

[7] Les diverses assertions de ce paragraphe se réfèrent aux multiples discussions qui ont eu lieu entre la FEDE, les directeurs de ses écoles membres, des employeurs et ses nombreux partenaires institutionnels, depuis mars 2020 et au constat sur le terrain.

[8] Article du journal français Le Monde du 9 février 2021 L'effet cicatrice ou les carrières abîmées des jeunes diplômés de la "génération Covid " 

[9] Article du média en ligne The conversation du 7 avril 2020 Les enseignants sont essentiels dans cette crise du coronavirus. L’a-t-on oublié?

[10] Article du journal français La Voix du Nord du 8 janvier 2021 À Tourcoing, des élèves, déboussolés par le Covid, se tournent vers le soutien scolaire

[11] Article du média en ligne The conversation du 6 avril 2021 How the COVID-19 pandemic may have changed university teaching and testing for good

[12] Ces objectifs principaux sont la synthèse des réflexions sur le sujet des ONG membres de la Conférence des OING (COING) du Conseil de l’Europe, de la Conférence internationale des ONG de l’UNESCO et de la COING de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), trois structures représentant la société civile dont fait partie la FEDE