Kurić et autres c. Slovénie  | 2012

Justice rendue à des milliers de personnes « radiées », privées de droits pendant vingt ans

Peu m’importe l’argent ; je veux seulement que justice soit faite et je veux prouver à mes enfants que je ne les ai pas abandonnés. 

Ana Mezga, cité par Delo - © Photo Aleš Černivec/Slovenske Novice

Contexte

Ana Mezga a quitté la Croatie et a déménagé en Slovénie lorsqu’elle avait 14 ans. Elle y a été scolarisée, a trouvé un travail et a fondé une famille, elle a eu deux enfants. Toutefois, le 26 février 1992, treize ans après son arrivée, son statut de résident lui a été automatiquement retiré, ce qui a également été le cas de 25 671 autres personnes.

Après que la Slovénie a déclaré son indépendance en 1991, un délai a été fixé aux citoyens provenant d’autres républiques d’ex-Yougoslavie et vivant dans le pays pour qu’ils acquièrent la citoyenneté slovène. Mme Mezga affirme qu’elle n’était pas au courant des démarches qui lui incombaient. Les personnes qui n’avaient pas obtenu la citoyenneté slovène ont perdu automatiquement leur statut de « résident permanent », sans notification préalable.

Les personnes « radiées » des registres sont soudainement devenues des ressortissants étrangers ou des personnes apatrides, vivant illégalement en Slovénie. Beaucoup se sont vu retirer leurs papiers, ont été expulsées de leur logement, ont été empêchées de travailler ou de voyager, ont perdu des biens personnels ou ont vécu dans la misère.

Ana Mezga affirme qu’elle a perdu son travail, que son appartement a été saisi et que ses deux enfants lui ont été retirés et placés en famille d’accueil. Elle a travaillé au marché noir, mais, en conséquence, elle ne pouvait plus avoir d’assurance maladie. Elle a par la suite donné naissance à deux enfants sans pouvoir consulter de médecin. Elle a déclaré qu’elle avait éprouvé un sentiment de culpabilité parce qu’elle avait perdu ses deux premiers enfants, si bien qu’elle a essayé de se suicider à plusieurs reprises.

Arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme

La Cour a estimé que le système juridique slovène n’avait pas règlementé convenablement le statut des personnes « radiées » avant 2010. En raison de cette incertitude juridique, et du fait que les personnes « radiées » ne pouvaient pas vivre ou travailler légalement dans le pays, ces personnes ont été exposées à des conditions extrêmement difficiles pendant près d’une vingtaine d’années, sans pouvoir remédier à leur situation. Les actions illégales et disproportionnées du gouvernement ont été discriminatoires et ont violé le droit au respect de la vie privée et familiale des requérants.

Suites

La législation a été modifiée afin de faire en sorte que les personnes « radiées » puissent acquérir le droit de vivre en Slovénie. Plus de 10 000 personnes ont obtenu la citoyenneté et un permis de séjour permanent. Le nouveau système d’indemnisation mis en place a permis de verser des réparations pour un total de plusieurs millions d’euros.

Ana Mezga avait précédemment pu rétablir des relations avec ses enfants. En 2011, elle a obtenu un permis de séjour permanent en Slovénie. En conséquence de l’arrêt de la Cour européenne, elle a obtenu 62 240 euros d’indemnisation.

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