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Le contact avec des langues non connues, que l’on entend utiliser, que l’on voit écrites dans des systèmes graphiques différents du sien ou que l’on est amené à utiliser soi-même à des niveaux de compétences infimes (quelques mots) suscite ordinairement des réactions diverses qui vont de la surprise ou de l’amusement au rejet. On appellera bienveillance linguistique l’attitude qui consiste à se montrer curieux des langues inconnues, admiratif devant cette création humaine, au-delà des jugements de valeur et des classifications et disposé à établir la communication avec leurs locuteurs, quels qu’ils soient.

Ethnocentrisme

Ces langues inconnues sont alors volontiers jugées exotiques ou irrationnelles, de sonorités agaçantes, voire laides ; leurs locuteurs sont facilement tenus pour bruyants ou peu discrets, surtout si ces langues sont utilisées sur son propre territoire, où elles peuvent être ressenties comme des intrusions. Des réactions de cette nature sont habituelles quand leurs locuteurs sont de condition modeste et ce qui est ainsi tenu à distance sont alors autant les personnes que les langues qu’ils utilisent. Elles sont particulièrement présentes pour les adultes migrants, qui peuvent être ainsi amenés à déprécier leur langue, à l’occulter et à ne pas la transmettre.

Elles traduisent une posture banale d’ethnocentrisme, qui peut s’attacher à bien d’autres manifestations de l’altérité comme l’habitus vestimentaire, les manières de table, les normes de la politesse… En ce sens elles sont potentiellement un terreau pour le racisme et la discrimination.

Disposition favorable pour les langues

Toute forme d’éducation interculturelle se doit de mettre à jour ces réactions et d’inviter chacun à les gérer de manière contrôlée, en prenant appui sur des données aussi objectivées que possible, au-delà des représentations sociales dominantes et des stéréotypes ethniques automatiques. Cette prise de conscience, en forme de mise à plat réflexive, est destinée à conduire à la bienveillance linguistique, c’est-à-dire à une curiosité positive pour l’inconnu et au plaisir de la découverte. Les langues sont parmi les créations les plus exceptionnelles, dans leur diversité, de l’homo sapiens sapiens et elles méritent l’admiration ou, au moins, l’intérêt. Loin d’être seulement des marques identitaires, elles témoignent aussi de la capacité humaine de créer des modes de communication infiniment variés à partir du même matériel de base : les sons humains.

Education à la bienveillance

La perspective éducative plurilingue présente d’ores et déjà des ressources didactiques pour créer des activités de classe tendant à susciter une attitude de bienveillance linguistique. Elles tournent autour de la perception de la diversité des langues, sous forme de découverte du langage et des langues : ces formes concrètes d’initiation à la linguistique sont surtout destinées à des jeunes apprenants. Mais elles ne seraient probablement pas inutiles pour des apprenants plus avancés. Ces activités d’observation et de manipulation de formes linguistiques diverses doivent permettre de faire percevoir le fonctionnement unitaire des langues et de dédramatiser le contact avec l’altérité linguistique.

En termes d’attitudes et de comportements, elle a pour rôle d’apprendre, par exemple, à :

  • ne pas se scandaliser d’entendre des sons inconnus ;
  • ne pas trouver systématiquement que les locuteurs de langues étrangères parlent trop fort, de manière inarticulée... ;
  • faire l’effort de parler de manière articulée et avec un débit plus lent pour faciliter l’interaction avec le locuteur non natif ;
  • proposer des remédiations ou des corrections des formulations de l’interlocuteur de manière discrète et non évaluative
  • […]

Elle pourrait tout aussi bien concerner les répertoires et sensibiliser au fait de :

  • ne pas se montrer fortement surpris de découvrir que tel locuteur dispose de telle langue dans son répertoire ;
  • d’assimiler étendue du répertoire et « intelligence » ;
  • d’adopter une perspective d’évaluation comparée des répertoires ;
  • d’adopter le régime des alternances codiques utilisé par l’interlocuteur (quand cela est possible) ;
  • de ne pas exhiber ostensiblement et gratuitement son répertoire mais d’en jouer avec l’interlocuteur pour créer de la connivence ;
  • […]

Cette civilité langagière fait partie, à plein titre, des objectifs de l’éducation plurilingue et interculturelle.

JCB

Ressources complémentaires

  • Document d’orientation :  Les langues dans les politiques d’intégration des migrants adultes, 2008, Jean-Claude Beacco
     FR  EN
  • Langues et répertoire de langues : le plurilinguisme comme « manière d’être » en Europe, 2004, Jean-Claude Beacco
     FR  EN
  • Diversité linguistique et nouvelles minorités en Europe, 2004, Ingrid Gogolin
     FR  EN
  • Vivre ensemble dans la diversité – L’intégration linguistique en Flandre, 2008, Reinhilde Pulinx
    FR  EN
  • Rapport du Séminaire sur L’intégration linguistique des migrants adultes, 2008, Division des Politiques Linguistiques
     FR  EN
  • Livre blanc sur le dialogue interculturel « Vivre ensemble dans l’égale dignité », 2008, Conseil de l'Europe
     FR  EN
  • Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe, 2007, Jean-Claude Beacco, Michael Byram, Council of Europe (voir chapitre 4)
     FR  EN