Profils de littératie : les défis de l’éducation linguistique des migrants

Les migrants adultes forment un groupe hétérogène au sein duquel différents profils de littératie peuvent être identifiés. Parmi ces profils, il est possible d’opérer une distinction entre plusieurs catégories sur la base du bagage éducatif des migrants. Chaque catégorie est définie par un ensemble de caractéristiques, qui s’observent généralement ensemble, même si les individus tendent à présenter des différences au sein d’une même catégorie. Quatre grands groupes d’apprenants migrants sont proposés – A, B, C, D – dans l’objectif d’aider les institutions et les enseignants à proposer des cours sur mesure et précisément axés sur les besoins des apprenants.

Les membres de ces quatre groupes sont souvent en capacité de participer pleinement à la vie sociale. Les définitions qui suivent sont toutefois destinées à faciliter leur accès à l’éducation et à réduire leur risque d’exclusion, conformément aux besoins identifiés par l’Unesco pour ces « groupes cibles spécifiques », tels que définis dans le document commandé pour le Rapport mondial de suivi sur l’EPT, 2006, L’alphabétisation, un enjeu vital.

Groupe A

Adultes n’ayant pas reçu une instruction appropriée dans leur pays d’origine, dont la langue maternelle n’est généralement pas écrite ou n’est pas le vecteur d’enseignement dans leur pays d’origine.

Dans ce groupe, quelques individus peuvent n’avoir développé aucune notion de l’écriture en tant que système sémiotique ; il peut donc être difficile pour eux de comprendre comment un texte écrit, ou un mot, peut être porteur de sens.Les membres de ce groupe sont ceux que l’on appelle des « analphabètes1 » ; ils forment le groupe le plus vulnérable sous l’angle des droits de l’homme, selon l’Assemblée parlementaire  [Recommandation 2034 (2014)].

Groupe B

Les adultes qui n’ont jamais appris à lire ou à écrire dans leur langue maternelle peuvent être qualifiés d’« illettrés », en particulier s’ils n’ont été que peu ou pas scolarisés.

Les programmes de langues destinés à ces adultes devraient viser les objectifs interdépendants ci-après : des objectifs « techniques », qui sont ceux de l’alphabétisme instrumental, des objectifs de communication, qui relèvent de l’alphabétisme fonctionnel et, enfin, l’objectif qui consiste à « apprendre à apprendre », autrement dit à acquérir les capacités nécessaires à l’apprentissage et la conscience du processus d’apprentissage.

Dans ce groupe, on pourrait établir d’autres distinctions sur la base du système scriptural de la première langue (L1) des migrants – qu’ils peuvent reconnaître mais non lire –, et la distance typologique entre L1 et la langue de la communauté d’accueil. Il est donc utile de faire la distinction entre :

  • les migrants qui parlent une langue avec un système scriptural logographique (ex., le chinois) ;
  • les migrants qui parlent une langue avec un système scriptural alphabétique sans rapport avec la langue majoritaire de la communauté d’accueil (ex. ; l’arabe en Europe occidentale) ;
  • les migrants qui parlent une langue avec un système scriptural s’apparentant à la langue majoritaire de la communauté d’accueil (ex., le vietnamien en Europe occidentale).

Le type de contacts (uniquement comme moyen de médiation ; rares ; fréquents ; quotidiens) pour lesquels les migrants utilisent la langue du pays d’accueil et les sphères (privée ; publique ; professionnelle ; éducative) dans lesquelles ces contacts sont engagés sont d’autres variables importantes qu’il convient de prendre en compte.

Groupe C

Les migrants adultes qui n’ont été que brièvement scolarisés dans leur langue maternelle (en général, moins de moins de cinq ans) peuvent être qualifiés de « semi-alphabétisés ».

Il s’agit d’apprenants qui ne sont plus en capacité de lire ou écrire dans la plupart des situations quotidiennes, même s’ils peuvent lire ou écrire certaines choses ; pour cette raison, on peut les considérer comme des « analphabètes fonctionnels ».

Il est possible d’inclure dans ce groupe une autre catégorie de migrants adultes, et notamment ceux qui ont partiellement perdu leurs compétences élémentaires par manque de pratique et de formation complémentaire et qui se trouvent de ce fait dans un état d’« illettrisme secondaire ».

La catégorie des « semi-alphabétisés » inclut les deuxième et troisième types décrits en matière d’alphabétisme et couvre un très large éventail de situations du point de vue du niveau de maîtrise de la langue maternelle, des domaines de lecture et d’écriture et du système scriptural dans lequel l’individu a acquis des compétences partielles.

Aussi les besoins des migrants « semi-alphabétisés » vont-ils varier selon que leur première langue possède : 

  • un système scriptural logographique ;
  • un système scriptural alphabétique sans rapport avec la langue majoritaire de la communauté d’accueil ;
  • un système scriptural s’apparentant à la langue majoritaire de la communauté d’accueil.

D’autres variables importantes qu’il convient de prendre en compte sont notamment le type de contacts (uniquement comme moyen de médiation ; rares ; fréquents ; quotidiens) que les migrants gèrent avec la langue du pays d’accueil  et les sphères (privée ; publique ; professionnelle ; éducative) dans lesquelles ces contacts sont engagés. Pour ce groupe, comme pour le groupe B, les objectifs éducatifs sont de nature instrumentale : renforcement des compétences fondamentales en matière de lecture et d’écriture, approche communicative de l’apprentissage de la langue, et « apprendre à apprendre ».

Groupe D

Les « migrants alphabétisés » vont également présenter des différences du point de vue de leur niveau d’instruction, de leur langue maternelle, de leur âge, de leurs motivations et d’autres facteurs personnels et sociolinguistiques.

Pour ce type d’apprenants, le processus d’apprentissage peut être axé dès le départ sur l’apprentissage de la langue à des fins de communication, et inclure la lecture et l’écriture. En ce qui concerne les compétences d’apprentissage, des programmes sont conçus pour leur permettre de procéder à des évaluations et à des tests qui les préparent aux examens de langue formels. Les objectifs sont principalement ceux établis sur la base des niveaux du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR).

Si l’on considère les quatre groupes, et plus particulièrement les migrants les plus vulnérables, les responsables de l’élaboration des politiques devraient répondre à leur obligation de proposer des programmes spécifiques pour enseigner la littératie comme élément fondamental de l’intégration. Tout migrant a le droit d’acquérir les compétences en littératie, d’autant plus si un test obligatoire est exigé. Tous les tests normalisés existants sont conçus pour des candidats alphabétisés ; il est donc inapproprié et injuste de les utiliser pour les migrants entrant dans les catégories A, B et C. C’est aussi une perte de temps et d’argent que de rédiger des spécifications pour des tests destinés à des adultes qui n’ont pas reçu l’instruction qui leur permettrait de passer des tests quels qu’ils soient.

Pour obtenir des informations concrètes sur les programmes spécifiques requis pour enseigner la littératie, voir les ressources afférentes.

Syllabus and descriptors for illiterate, semi-literate and literate users. From illiteracy to A1 level. Cet ouvrage présente des stratégies pour enseigner les langues aux quatre groupes, ainsi que des considérations relatives au temps requis. C’est un outil qui préconise la conception d’un enseignement des langues flexible et inclusif, en relation avec les profils de littératie. Le pays de référence de l’ouvrage étant l’Italie, l’italien est la deuxième langue des apprenants. Toutefois, les principes sous-jacents et les critères proposés sont valables pour toute autre langue et tout autre contexte européen. Le migrant y est considéré comme un acteur social. Le syllabus et ses descripteurs couvrent la question de la maîtrise linguistique sur des thèmes spécifiques et des tâches spécifiques dans des domaines spécifiques.

Les utilisateurs de Syllabus sont au premier chef ceux qui travaillent dans les différents secteurs de l’éducation en Italie : les autorités et les directeurs des établissements éducatifs pour le développement des programmes ; les auteurs de manuels et les enseignants pour l’élaboration de supports pédagogiques ; les enseignants et les directeurs d’études pour la planification des cours et des classes ; les organisateurs de tests de placement et d’examens de diagnostic pour des questions en lien avec l’évaluation des langues, et les concepteurs de dispositif de certification dans les cas seulement ou la littératie a été acquise.

LR

1 La distinction entre ‘analphabétisme’ et ‘illettrisme’n'existe pas en anglais (on parle d’ « illiteracy » dans les deux cas). Le premier terme renvoie à la situation des personnes qui n’ont jamais acquis de compétences en littératie (les analphabètes), tandis que le second concerne les personnes qui ont acquis de telles compétences mais les ont perdues ou oubliées au fil du temps (les illettrés). C’est cette approche qui est adoptée sur l’ensemble de ce site du Conseil de l’Europe.

En France, le Journal officiel a publié en août 2005 une définition du terme « littérisme », « capacité à lire un texte simple en le comprenant, à utiliser et à communiquer une information écrite dans la vie courante ». Le littérisme, conçu comme l’antonyme de l’illettrisme, Toutefois le site ILMA n’intègre pas cette nuance.

Ressources complémentaires

Italien L2 en contextes migratoires. Syllabus et descripteurs de l'alphabétisation jusqu'au niveau A1. Alessandro Borri, Fernanda Minuz, Lorenzo Rocca, Chiara Sola, 2014. Loescher Editore, Italie.
FR  EN  IT (orig.) [Cet extrait et sa traduction ont aimablement été fournis par l'éditeur].

Etude de cas: Apprentissage des langues dans le contexte de la migration et de l’intégration – Enjeux et options pour les apprenants adultes, 2008, Verena Plutzar, Monika Ritter.
FR  EN

Le rôle de la littératie dans le processus d’acculturation des migrants, 2008, Hervé Adami
FR  EN

Adapter l’offre et les exigences en langues aux besoins et capacités des migrants adultes, 2008 Hans-Jürgen Krumm, Verena Plutzar.
FR  EN

2014 - Tests d'intégration: aide ou entrave à l'intégration?

  • Recommandation 2034 (2014) de l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) au Comité des ministres
    FR   EN
  • Réponse du Comité des Ministres à la Recommandation
    FR   EN

UNESCO, 2006 : L’alphabétisation, un enjeu vital. Rapport mondial de suivi sur l’EPT. (sur la distinction literacy vs alphatisme voir chapitre 6, page 156)