Prix Raoul Wallenberg 2016

1. La question relative aux migrations a toujours été très importante pour le Conseil de l’Europe et elle l’est encore davantage dans le contexte actuel, lorsque le défi du flux des réfugiés devient particulièrement difficile à relever. A quel égard l’approche du Conseil de l’Europe est spécifique et différente par rapport à d’autres organisations internationales ?

Le Conseil de l’Europe n’a ni le rôle ni la compétence de gérer les flux migratoires. La vocation de notre Organisation est plutôt d’assurer que la gestion des flux migratoires soit conforme aux engagements des Etats membres en matière de droits de l’homme. Le souci principal du Conseil de l’Europe est de s’assurer que les politiques adoptées sont conformes aux normes de protection des droits de l’homme et que les engagements pris par les Etats membres en vertu de certains traités tels que la Convention européenne des droits de l’homme ou la Charte sociale européenne sont respectés dans le domaine de la gestion des flux migratoires. 

Le rôle du Conseil de l’Europe en période de crise est de rappeler aux Etats membres quelles sont leurs obligations, notamment en vertu de la CEDH. Le Secrétaire général a très tôt adressé un appel aux autorités des Etats membres les encourageant à respecter les obligations souscrites. L’Organisation dispose d’un impressionnant arsenal d’organes de suivi des obligations des Etats membres, comme par exemple la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité pour la prévention de la torture, le Comité européen des droits sociaux, etc., qui examinent la situation sur le terrain et identifient les points sur lesquels le comportement des autorités des Etats est déficitaire par rapport à leurs engagements. Dans les cas où des dysfonctionnements sont constatés par les organes de suivi du Conseil, on s’attend à ce que les gouvernements prennent des mesures correctrices.

2. On peut présumer que c’est un défi encore plus sérieux dans le contexte d’une crise, comme la crise actuelle des réfugiés ?

Tout à fait, car dans des situations pareilles les Etats membres sont sensés réagir rapidement, sous pression. C’est dans ce domaine que le Conseil de l’Europe peut apporter aux Etats membres qui le souhaitent une assistance précieuse - non seulement en identifiant les problèmes à résoudre, mais aussi en apportant des solutions par la mise à disposition d’expériences comparables, de bonnes pratiques en la matière.

La crise actuelle liée au flux sans précédent de migrants ne révèle pas seulement l’attitude des Etats face au problème des réfugiés, mais aussi projette un éclairage particulier sur les valeurs morales de notre société. Ce qui est en jeu dans le contexte de cette crise ce n’est pas seulement le respect des engagements juridiques, mais aussi la capacité de nos sociétés d’agir conformément aux valeurs propres à notre civilisation, telles que le respect des libertés, la solidarité, la non-discrimination. Le risque majeur que nos sociétés courent maintenant est de trahir leurs propres valeurs, en subissant un échec à la fois sur le plan politique et moral.

Voilà pourquoi aujourd’hui il est important de remarquer et d’encourager la réaction de la société civile dans nos Etats, de voir comment elle a pris les devants face à une réaction parfois lente ou mal coordonnée des autorités. La société civile a assumé le rôle de gardienne de nos valeurs essentielles et s’est engagée à fournir aux personnes qui sont dans le besoin – dans le cas d’espèce les réfugiés - le soutien auquel elles ont droit, selon les traités internationaux et les engagements des Etats.

C’est dans ce contexte qu’il est important que le Conseil de l’Europe reconnaisse l’action de la société civile. Comme exemple, on peut citer le fait que le Conseil de l’Europe a attribué cette année le Prix Raoul Wallenberg à Agkalia, une petite ONG grecque qui a fourni son soutien efficace et exemplaire aux réfugiés qui arrivaient sur l’île de Lesbos, devenue un des points d’entrée des réfugiés et des demandeurs d’asile vers l’Europe.

3. Au-delà de l’exercice de suivi des engagements des Etats membres, quelles actions concrètes le Conseil de l’Europe propose-t-il en matière d’assistance, afin d’aider et d’encourager ses membres à respecter leurs propres engagements ?

Ce que le Conseil de l’Europe peut faire, c’est d’assister les Etats membres à prendre des mesures qui sont conformes à leurs engagements. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Premièrement : Veiller à ce que l’arsenal législatif, réglementaire, administratif, institutionnel et autre qui est mis en place pour faire face à la crise des réfugiés corresponde aux engagements des Etats membres. Il s’agit surtout d’expertises législatives qui doivent assurer le respect de la CEDH, de la Charte sociale européenne et d’autres instruments. Deuxièmement : Mettre à disposition des Etats membres l’expérience de « bonnes pratiques » mais aussi de « leçons apprises », afin d’éviter les erreurs commises dans le passé. Et troisièmement : Aider les autorités à mettre en œuvre des politiques adéquates facilitant le respect de leurs engagements, c’est-à-dire, le respect des droits de l’homme, en prodiguant à ces autorités la formation nécessaire.

Cette formation est particulièrement cruciale aujourd’hui, dans le contexte de la crise des réfugiés, car on constate qu’il y a un nombre important de personnel de service public qui s’engage dans la gestion de cette crise alors qu’il n’est pas du tout formé pour cela. Ce n’est pas seulement l’autorité d’asile qui s’occupe de ce problème spécifique, mais aussi de plus en plus les garde-côtes, les garde-frontières, la police et parfois même l’armée. Afin d’éviter autant que possible les risques que courent les demandeurs d’asile, il faut accorder à toutes ces catégories d’employés de l’Etat un minimum nécessaire de formation, ou au moins d’assister les autorités publiques à fournir une formation adéquate.

Je saisis cette occasion pour exprimer mes meilleurs vœux pour une excellente Nouvelle Année 2016 à tout le public internaute qui visite nos pages web, en espérant que la défense des droits de l’homme deviendra une priorité absolue dans tous nos Etats membres, à la fois pour les autorités publiques et pour la société civile.