Actualités 2011

Retour Il faut ancrer fermement les principes des droits de l’homme dans le système judiciaire de la Turquie

Strasbourg, 14/10/11 – « Le système judiciaire turc présente de longue date des dysfonctionnements systémiques qui compromettent la jouissance des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Parmi les principaux problèmes relevés, les questions relatives à l'indépendance et à l'impartialité des juges et des procureurs et la durée excessive de la détention provisoire et des procédures judiciaires requièrent une attention particulière de la part du gouvernement », a déclaré le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Thomas Hammarberg, à l'issue d'une visite de cinq jours en Turquie. Dans le même temps, il s'est dit confiant dans la bonne volonté et la détermination des autorités, qui ont déjà entrepris d'importantes réformes législatives.

La Cour européenne des droits de l'homme a rendu plus de 2 200 arrêts contre la Turquie entre 1995 et 2010. Près de 700 concernaient des violations du droit à un procès équitable et plus de 500 des atteintes au droit à la liberté et à la sûreté. « J'encourage le gouvernement à redoubler d'efforts pour mettre en application la stratégie de réforme qu'il a lancée en 2009 afin de remédier aux défauts structurels du système judiciaire de la Turquie et de le rendre pleinement conforme aux normes du Conseil de l'Europe et à la jurisprudence de la Cour ».

La lenteur des juridictions pénales, civiles et autres en Turquie pose un sérieux problème, que les mesures prises à ce jour n'ont pas suffi à régler. « Le problème de la durée excessive des procédures judiciaires est aggravé par l'absence d'une voie de recours interne effective qui permettrait aux personnes concernées d'obtenir une réparation appropriée, par exemple une indemnisation pour le préjudice subi du fait du retard ou la possibilité d'accéder à une procédure accélérée. »

Le Commissaire s'est notamment rendu dans la prison de type D de Diyarbakir. « Les autorités pénitentiaires m'ont informé que, sur les 740 détenus présents, plus de 540 étaient en détention provisoire. La durée excessive de la détention provisoire en Turquie est un autre problème chronique grave qui porte atteinte à la liberté individuelle de milliers de personnes. Cette situation exige des changements législatifs, mais surtout des changements d'attitude de la part des procureurs et des juges qui semblent s'accommoder un peu trop aisément de cette pratique. »

Le Commissaire a noté que, dans plusieurs affaires, les juridictions internes n'avaient pas envisagé d'alternative à la détention, comme la libération sous caution, pourtant prévue par la loi. « Il est urgent que les autorités réfléchissent à cette grave question et développent le recours aux modalités alternatives de restriction de la liberté individuelle tout en respectant pleinement le principe fondamental de la présomption d'innocence. »

« Un autre aspect de ce problème complexe est l'imprécision de la législation turque au sujet de certaines infractions, en particulier celles afférentes à des liens présumés avec des organisations criminelles », a indiqué le Commissaire, ajoutant qu'une attention insuffisante était portée à la qualité des preuves dès le début de la procédure. « Cette combinaison de facteurs fait que la simple ouverture de poursuites peut devenir – en elle-même – une sanction. Il en résulte un effet inhibiteur très préoccupant. »

Le Commissaire s'est félicité de l'abolition des cours de sûreté de l'Etat, mais reste extrêmement préoccupé par la mise en place et le fonctionnement des cours d'assises dotées de compétences spéciales, qui connaissent des affaires de criminalité organisée et de terrorisme. « Je suis tout à fait conscient de la gravité de ces affaires, mais je m'inquiète de certaines pratiques problématiques de ces juridictions et de leurs procureurs, liées en particulier à la législation antiterroriste, telles que la garde à vue au secret pendant 24 heures, l'impossibilité de faire appel à plusieurs avocats de la défense, la restriction de l'accès de l'inculpé au dossier d'accusation et la censure de la correspondance entre l'inculpé et son avocat. »

« Les tribunaux ont aussi un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre l'impunité des auteurs de violations graves des droits de l'homme, en particulier lorsqu'il s'agit de policiers. Plusieurs affaires alarmantes ont été portées à mon attention, comme celle concernant le décès en garde à vue d'un Nigérian, Festus Okey, en 2007. La loi et les tribunaux devraient renforcer la position de la victime et de sa famille dans le cadre des enquêtes et des poursuites.»

Le Commissaire Hammarberg va préparer et publier un rapport à la suite de cette visite