Le carnet des droits humains de la Commissaire

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Le carnet des droits de l'homme
Femmes à la banque alimentaire

Femmes à la banque alimentaire

Les femmes et les hommes ne sont pas égaux face à la crise économique. La crise, et les mesures d’austérité qu’elle a entraînées, ont frappé les femmes de manière disproportionnée et compromis les progrès déjà réalisés en ce qui concerne la jouissance des droits de l’homme par les femmes. Pour enrayer cette tendance et l’inverser, il est nécessaire d’adopter des mesures qui tiennent compte de considérations de genre.

Augmentation de la pauvreté des femmes

Dans la plupart des pays touchés par la crise économique s’observe une féminisation croissante de la pauvreté. Une étude menée en 2013 sur l’accès aux banques alimentaires en France a révélé que les premiers bénéficiaires étaient les femmes de 26 à 50 ans avec au moins un enfant. Ce constat témoigne de la vulnérabilité des familles monoparentales, mais aussi de l’inégalité des femmes et des hommes face à la crise. En Europe, il y a en moyenne 7 fois plus de mères célibataires que de pères célibataires. En outre, ainsi que l’a indiqué Eurostat, les femmes seules de plus de 65 ans sont exposées à un risque de pauvreté bien plus élevé que les hommes seuls du même âge.

En Espagne, les femmes ont été touchées de manière disproportionnée par la saisie de logements hypothéqués, qui est intervenue lorsque le remboursement des emprunts est devenu une charge excessive à la suite de la crise du bâtiment, comme l’a expliqué récemment Human Rights Watch. De fait, la proportion de femmes, et notamment de femmes jeunes, parmi les sans-abri a augmenté en Europe, selon un rapport de la FEANTSA.

Ces phénomènes préoccupants ont été examinés de manière approfondie par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et par le Parlement européen, qui ont aussi souligné que les femmes en situation de pauvreté ou risquant de basculer dans la pauvreté sont plus susceptibles d’occuper un emploi mal rémunéré, précaire ou non déclaré, y compris dans le domaine des services domestiques, et sont vulnérables à l’exploitation et à la traite des êtres humains.

Effets pervers des mesures d’austérité

Malheureusement, ces avertissements sont restés largement ignorés. De nombreux gouvernements européens ont en effet appliqué des mesures d’austérité qui ont aggravé les conséquences de la crise économique pour les femmes. Par exemple, au Royaume-Uni et en Grèce, de nombreux emplois ont été supprimés et les salaires ont été réduits dans le secteur public, où les femmes sont majoritaires.

En outre, comme les femmes dépendent plus que les hommes des prestations sociales, les coupes budgétaires pratiquées dans le système de protection sociale ont compromis davantage encore la jouissance des droits sociaux et économiques par les femmes. Il ressort d’un audit indépendant réalisé par une organisation britannique, Women’s Budget Group, que les réductions cumulées des dépenses publiques portent gravement atteinte au niveau de vie et à l’indépendance financière de millions de femmes, et marquent un retour en arrière du point de vue de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce risque de régression des droits des femmes, et notamment des droits sociaux, s’observe aussi dans d’autres pays : en Grèce pour ce qui est de l’accès des femmes aux soins et en Irlande pour ce qui est des allocations familiales, par exemple.

La stagnation du montant des pensions en période d’austérité expose les femmes âgées à un risque de pauvreté plus élevé, dans la mesure où les femmes vivent plus longtemps et plus souvent seules que les hommes, comme je l’ai fait remarquer dans mon rapport sur l’Estonie.

Les droits des femmes sont aussi compromis par la réduction des budgets alloués aux programmes et aux infrastructures qui visent à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes. Ainsi, en Espagne, le ministère de l’Egalité a été supprimé en 2010.

Enfin, la lutte contre la violence fondée sur le genre est un autre domaine encore qui pâtit de la combinaison de la crise et des mesures d’austérité qu’elle a entraînées. Alors que les demandes d’assistance émanant de femmes victimes de violences sont en augmentation dans plusieurs pays européens, des foyers destinés à les accueillir ont dû fermer, faute de financement.

Protéger les droits des femmes et donner aux femmes des moyens d’agir

Il est temps que les Etats cessent de faire abstraction des questions de genre lorsqu’ils décident de réduire les dépenses publiques. Cet « aveuglement » est décrit dans un rapport de 2013 publié par la Commission européenne.

Dans leur réponse à la crise, les gouvernements européens devraient garantir l’égalité d’accès des femmes aux droits de l’homme, y compris aux droits à des conditions de vie décentes, à un travail, à des soins et à l’éducation. Ils devraient veiller à ce que toutes les femmes bénéficient de socles de protection sociale qui garantissent la réalisation du contenu fondamental minimum des droits économiques et sociaux en toutes circonstances.

Il y a des normes internationales qui peuvent contribuer à la protection des droits des femmes : par exemple, outre la Convention de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, les Conventions du Conseil de l’Europe sur la violence à l’égard des femmes et la lutte contre la traite des êtres humains, ainsi que la Convention (n° 189) de l’OIT concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques, adoptée en 2011, sont toutes utiles pour mieux protéger les droits de l’homme et faire en sorte que les femmes jouissent également de ces droits. Les Etats membres du Conseil de l’Europe qui n’ont pas encore ratifié ces instruments devraient le faire et les mettre en œuvre sans plus tarder.

Par ailleurs, les Etats européens devraient combattre la discrimination fondée sur le sexe dans tous les domaines, conformément au Protocole n° 12 de la Convention européenne des droits de l’homme et à la Charte sociale européenne révisée. En particulier, ils devraient veiller à ce qu’aucune des mesures d’austérité qu’ils adoptent n’ait d’effet discriminatoire sur les femmes, y compris les femmes migrantes, les femmes jeunes ou âgées, les femmes handicapées ou celles qui appartiennent à des minorités ethniques ou religieuses.

Il est à l’évidence nécessaire d’évaluer systématiquement l’impact de la crise économique et des mesures de relance sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines, notamment en collectant des données ventilées par sexe. Il faudrait concevoir des politiques sensibles au genre, ce qui suppose d’intégrer une perspective de genre dans le processus budgétaire (l’égalité dans les budgets), tel que souligné dans la Recommandation CM/Rec(2007)17 du Comité des Ministres sur les normes et mécanismes d’égalité entre les femmes et les hommes..

La crise ne doit pas faire renoncer aux efforts visant à donner aux femmes des moyens d’agir et à réaliser l’égalité entre les femmes et les hommes. Il faut que les Etats prennent en compte l’impact des mesures d’austérité sur les femmes et garantissent leur participation active aux politiques de relance.

Nils Muižnieks

Voir aussi : Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Protéger les droits de l’homme en temps de crise économique. Document thématique, novembre 2013.

Strasbourg 10/07/2014
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