Devant le Comité Libertés civiles, justice et affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen

Bruxelles, 4 septembre 2014

Madame la Présidente,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Permettez-moi tout d'abord de vous remercier, Madame la Présidente, d'avoir convié un représentant du Conseil de l'Europe à la réunion d'aujourd'hui de votre Comité consacrée aux droits fondamentaux. Je suis particulièrement sensible au fait d'avoir été invité à cette audition avec  Madame la directrice générale Françoise Le Bail et avec  Monsieur Morten Kjaerum, directeur de l'Agence des droits fondamentaux. Cela souligne bien le fait de que votre Comité considère le Conseil de l'Europe comme un partenaire incontournable dans la protection et la promotion des droits de l'homme en Europe.

Avant de présenter le Rapport du Secrétaire général du Conseil de l’Europe, Monsieur Thorbjørn Jagland, je souhaiterais placer ce Rapport dans son contexte plus général.

Les trois Sommets des chefs d'État et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l'Europe (Vienne 1993, Strasbourg 1997 et Varsovie 2005), ont affirmé que  la mission du Conseil de l'Europe dans la nouvelle architecture européenne est celle d'assurer la sécurité et la stabilité démocratiques du continent ; ce que l’on a appelé par la suite la « soft security» ou la « deep  security ». Cette mission se fonde sur l’acquis juridique du Conseil de l’Europe, acquis juridique contraignant ou incitatif, et sur l’expertise qu’il a accumulée au cours de plus de soixante ans d’existence.

Les trois grands secteurs d'activités du Conseil de l'Europe sont tout d’abord l'élaboration de normes juridiques, principalement des conventions, ensuite le suivi – le monitoring-  de la mise en œuvre de ces normes, et, enfin, les activités de coopération ciblée avec nos Etats membres. Ainsi les 47 Etats membres ne se limitent pas à adopter de nouvelles normes juridiques, ils acceptent également que des mécanismes indépendants examinent la façon dont ils les mettent en œuvre. Le cas échéant, le Conseil de l'Europe offre sa coopération afin d'aider les Etats à mettre leur ordre juridique et leurs pratiques en conformité avec  ces normes. L’interaction entre ces trois secteurs d’activités constitue la spécificité, la véritable valeur ajoutée du Conseil de l'Europe.

C'est précisément dans la perspective de renforcer cette interaction entre ces trois grands secteurs d’activités que le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a demandé au Secrétaire général d'établir un Rapport sur la situation de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit en Europe. Ce Rapport – dont vous avez reçu un exemplaire – a été présenté au Comité des ministres du Conseil de l'Europe, réuni au niveau des ministres des affaires étrangères, le 6 mai de cette année, à Vienne. Le Rapport ne se limite pas à énumérer les défis et les lacunes relevés par nos organes de monitoring. Il formule également un certain nombre de recommandations et indique de surcroît quel type de coopération le Conseil de l'Europe pourrait proposer aux Etats membres pour relever ces défis et combler les lacunes identifiées.

Quelle a été la méthodologie utilisée?

Il est important de préciser que ce Rapport ne constitue nullement une nouvelle forme de monitoring. Il se fonde en effet uniquement sur les constats établis par les mécanismes de suivi du Conseil de l'Europe et par certains de ses organes consultatifs. Sont ainsi pris en compte les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, la surveillance de leur exécution par le Comité des ministres, les rapports du CPT (prévention de la torture), du Comité européen des droits sociaux (mise en œuvre de la Charte sociale européenne), de l'ECRI (lutte contre le racisme et l’intolérance), du Comité consultatif pour la protection des personnes appartenant à des minorités nationales, du Comité sur la Charte des langues minoritaires, du GRECO (lutte contre la corruption), de MONEYVAL (lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme) et du GRETA (lutte contre la traite des êtres humains). Sont également considérés les travaux de nos comités consultatifs, la Commission de Venise (développement de la démocratie par le droit), la CEPEJ (indépendance et efficacité de la justice), le CCJE (juges européens) et le CCPE (procureurs européens) ainsi que ceux du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.

Le Rapport n'énumère pas les défis et les problèmes pour chaque pays. Il est au contraire structuré selon des catégories thématiques. Il comporte cinq parties, divisées en dix-huit chapitres.  Chaque chapitre contient une partie descriptive de la situation actuelle qui mentionne également les activités du Conseil de l’Europe et celles des Etats membres dans le domaine concerné. Une dernière partie et un dernier chapitre ont trait à ce que peut ou pourrait faire le Conseil de l’Europe dans les zones faisant l’objet d’un conflit non résolu, telles la Transnistrie, l’Ossétie du Sud ou l’Abkasie.  Au terme de chaque chapitre, sont énumérés les principaux défis et les recommandations pour les relever.
Il n'y a donc pas de mise en accusation des Etats pris isolément. Il ne s'agit en aucun cas de faire du « naming and shaming ». Il s'agit au contraire de favoriser un dialogue constructif entre Etats membres et avec les Etats membres afin de trouver les moyens de surmonter les défis identifiés et les lacunes recensées.

Les défis et lacunes qui se retrouvent dans le plus grand nombre d’Etats sont, en ordre décroissant :

  • la discrimination envers les minorités nationales, dans 39 pays membres,
  • la surpopulation carcérale entraînant des conditions de détention inhumaines et dégradantes, au sein de 30 pays.

Mentionnons encore :

  • la corruption,
  • les mauvais traitements infligés par des agents des forces de l'ordre,
  • l'exclusion sociale et la discrimination envers les Roms,
  • les dysfonctionnements du système judiciaire (manque d'indépendance et d'efficacité, y compris la durée excessive des procédures judiciaires),
  • les lacunes dans les droits reconnus aux migrants et aux demandeurs d'asile,
  • la traite des êtres humains et
  • l'absence de liberté d'expression et de liberté des médias.

On peut ajouter à cette liste d’autres graves violations des droits fondamentaux telles l’immunité contre les poursuites pénales qui entraine l’impunité, le racisme, le discours de haine et de nombreuses formes de discriminations, notamment contre les personnes LGBT. On constate donc, Madame la Présidente, que la plupart des domaines identifiés sont directement pertinents pour les travaux de votre Comité.

Quelles suites opérationnelles vont être données à ce Rapport ?

Je relèverai d’emblée que lors d’un récent débat sur le sujet, les 47 Etats membres ont accueilli ce Rapport favorablement et se sont prononcés de manière positive et encourageante quant à la nécessité d’y donner des suites opérationnelles. Aussi, à l'automne de cette année, le Secrétaire général présentera des propositions concrètes et spécifiques concernant les recommandations contenues dans le Rapport.

Si, comme je viens de le rappeler, le Rapport est fondé sur une base thématique, son élaboration a permis d'identifier au moins trois défis majeurs pour chacun des Etats membres. Ces défis font depuis plusieurs mois l'objet d'un dialogue confidentiel et seront traités régulièrement, avec les recommandations qui les accompagnent, dans les contacts bilatéraux du Secrétaire général avec les Etats concernés. Ces défis devraient par ailleurs constituer la base des futurs plans d'action pour les activités de coopération ciblée sur le terrain. En réalité, dans l’idéal, chaque Etat devrait avoir un plan d’action pour remédier aux lacunes en matière de droits de l’homme, de respect de l’Etat de droit et de la démocratie.

L’élaboration de ce Rapport a de surcroît permis au Conseil de l’Europe de porter un regard critique et de tirer un certain nombre d’enseignements d’une part sur sa capacité à aider les Etats membres à respecter la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres instruments clés de notre Organisation, d’autre part sur le fonctionnement de nos organes de monitoring ainsi que sur nos activités de coopération.

Tout d’abord, force est de constater que certaines normes essentielles du Conseil de l’Europe ne font l’objet d’aucun suivi régulier et systématique car il n’existe pas de mécanismes spécifiques à cet effet. On peut songer en particulier aux préventions des violations du droit à la liberté d’expression ou du droit à la liberté de réunion et d’association. Il est vrai que la Cour européenne des droits de l’homme se prononce très régulièrement sur ces deux droits fondamentaux mais toujours dans des situations « ex post » et non pas « ex ante». Il s’agira donc de réfléchir à la mise en place d’un mécanisme qui pourrait réagir rapidement lors de situations urgentes survenant dans un ou plusieurs Etats, faire rapport au Comité des ministres et formuler des recommandations concrètes. Une remarque similaire peut être formulée pour de graves mises en danger de l’État de droit et de la démocratie, telles la criminalité organisée ou le terrorisme.
Il sied également de relever que plusieurs mécanismes conventionnels de suivi devraient pouvoir réagir plus rapidement et plus efficacement en situation d’urgence, en permettant des visites ad hoc, comme c’est le cas aujourd’hui pour le CPT. À titre d’exemple, le CPT a effectué une visite ad hoc en Ukraine, au plus fort des tensions sur la place Maïdan.

Des systèmes d’alertes précoces («early warning») devraient également être développés afin d’anticiper d’éventuelles violations des droits de l’homme. Nous travaillons actuellement sur la mise en place d’un tel système pour les menaces qui pèsent sur la liberté des médias, et en particulier sur la sécurité des journalistes.

Enfin, les mécanismes de suivi et autres organes devraient pouvoir opérer dans les zones faisant l’objet d’un conflit non résolu (« conflits gelés ») et où se pose le problème de l’application effective des droits garantis par nos Conventions, notamment la CEDH. Dans de telles situations, afin d’éviter de préjuger de toute question relative au statut ou à la reconnaissance des autorités de facto sur ces territoires, les rapports de suivi pourraient être soumis directement au Secrétaire général du Conseil de l’Europe, afin qu’il décide des suites les plus appropriées, avec les autorités compétentes, pour une meilleure protection des droits des individus.

L’élaboration du Rapport a également permis de mettre en évidence de nouvelles exigences normatives. Les développements de la science et des nouvelles technologies dans différents domaines et l’évolution de la société de l’information notamment nécessiteront en effet d’amender certains de nos instruments ou d’en adopter de nouveaux afin de faire face aux violations potentielles des droits de l’homme et de l’État de droit dans ces domaines.

Enfin, les travaux relatifs à l’élaboration du Rapport vont permettre de planifier et de mettre en œuvre de façon encore plus stratégique les activités de coopération et d’assistance dans nos Etats membres.

Pour terminer, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, permettez-moi quelques observations de caractère plus général.

L’expertise du Conseil de l’Europe dans les domaines couverts par le Rapport est unique. Aussi je ne puis que vous inviter à tirer davantage encore profit des conclusions et recommandations détaillées de nos organes de monitoring. Le Secrétaire général Jagland l’a également rappelé à plusieurs reprises devant les différentes instances de l’Union Européenne, et en particulier devant votre Comité, le 5 novembre dernier. Il y a encouragé l’UE à se baser davantage sur l’abondante information détenue par le Conseil de l’Europe, information objective et pertinente, concernant les lacunes de chaque État membre, y compris ceux de l’Union européenne, dans les domaines de l’État de droit et des droits de l’homme. Cette information est recueillie et analysée par des organes de suivi indépendants et selon des procédures bien établies, souvent découlant d’obligations conventionnelles.

Le 6 mai dernier, les Ministres des affaires étrangères du Conseil de l’Europe ont reconnu le caractère « stratégique » du partenariat entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe. Ils se sont félicités des initiatives prises par l’Union européenne pour consolider sa capacité à contribuer à la protection des droits de l’homme et de l’État de droit, tout en soulignant la nécessité d’éviter les doubles emplois et d’assurer une cohérence et une complémentarité entre son système de protection est celui du Conseil de l’Europe.

Le Comité des ministres a estimé que le dialogue entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne dans ce domaine devrait conduire à des synergies, dans le plein respect des principes énoncés dans le Mémorandum d’accord de 2007. Ce dernier prévoit notamment que « l’Union européenne considère le Conseil de l’Europe comme la source paneuropéenne de référence en matière de droits de l’homme, et qu’en préparant de nouvelles initiatives dans ce domaine, le Conseil de l’Europe et les institutions de l’Union européenne s’appuieront sur leur expertise respective selon le cas au travers de consultations ». Certains développements récents vont dans ce sens et nous nous en félicitons. Je mentionnerais en particulier la référence à la coopération avec la Commission de Venise du Conseil de l‘Europe dans le cadre du récent « rule of law framework » adopté par la Commission européenne, la coopération avec la CEPEJ dans le cadre du « justice Scorboard » annuel publié par la Commission ainsi que les discussions en cours sur une adhésion de l’UE au GRECO, groupe d’Etats contre la corruption.

Le Comité des ministres a par ailleurs réaffirmé sa ferme volonté de renforcer le système de protection des droits de l’homme en Europe, dont la pierre angulaire est la Convention européenne des droits de l’homme. L’adhésion de l’Union européenne à la Convention renforcera la cohérence en matière de protection paneuropéenne des droits de l’homme. Le soutien du Parlement européen et de votre Commission est, à cet égard, de la plus haute importance.

Il appartient au Conseil de l’Europe avec le plein appui de l’Union européenne de tout mettre en œuvre pour que tous nos Etats s’engagent à respecter pleinement la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres conventions essentielles de notre Organisation pour la protection des droits de l’homme et de l’Etat de droit en Europe.

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