Le carnet des droits humains de la Commissaire

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Le carnet des droits de l'homme
Le recours excessif à la détention provisoire va à l’encontre des droits de l’homme

25 % des personnes incarcérées aujourd’hui en Europe sont placées en détention provisoire ou « détention préventive ». Elles n’ont pas été jugées ou attendent le réexamen d’une condamnation antérieure. Comme leur culpabilité n’est pas établie, elles doivent en principe être considérées comme innocentes.

Leur incarcération peut uniquement se justifier par les besoins d’une enquête effective, c'est-à-dire la volonté de préserver l’intégralité des éléments de preuve disponibles, d’empêcher toute collusion avec les témoins et toute intervention auprès d’eux, ou encore pour s’assurer que les intéressés ne prendront pas la fuite.

Sous l’angle du respect des droits de l’homme, le dilemme est évident. C’est pourquoi la détention provisoire doit être envisagée comme une mesure exceptionnelle : il convient d’y recourir uniquement lorsque les autres options s’avèrent insuffisantes. La Convention européenne des droits de l’homme précise qu’une détention provisoire prolongée doit être réexaminée régulièrement et se justifie uniquement à titre exceptionnel (article 5).

Un recours systématique et peu justifié

Le recours à la détention provisoire est cependant pratiquement systématique dans un certain nombre d’États européens. Cette pratique a pour conséquence qu’environ une personne détenue sur quatre en Europe se trouve placée en détention provisoire, c’est-à-dire sans même avoir fait l’objet d’une condamnation définitive. Il s’agit là d’une estimation moyenne, car les chiffres varient considérablement d’un pays à l’autre : ils vont en effet de 11 % en République Tchèque à 42 % en Italie.

La détention provisoire doit être ordonnée par une autorité judiciaire, à la suite d’une évaluation objective de l’absolue nécessité de cette décision, et motivée. Mais la Cour européenne des droits de l’homme a par exemple constaté que les décisions de justice rendues en Turquie ne donnaient pas suffisamment de précisions sur les motifs de cette détention.

Dans ces affaires, seule une formulation identique et stéréotypée, du type « eu égard à la nature de l’infraction, aux éléments de preuve disponibles et au contenu du dossier », a été employée par les tribunaux. En Géorgie également, les motifs personnalisés et propres à chaque affaire ont tendance à faire défaut dans les décisions de placement en détention provisoire.

Durée excessive de la détention provisoire

La durée de la détention provisoire est une autre source de préoccupation. Certains États ne définissent aucune durée maximale de détention provisoire. D’autres autorisent cette détention pendant une période excessivement longue, qui peut aller jusqu’à quatre ans.

En conséquence, il est donc possible qu’une personne soit incarcérée pendant des années sans être jugée, voire que son innocence soit au final reconnue. Il n’est pas rare que la Cour de Strasbourg soit saisie d’affaires dans lesquelles les intéressés sont restés de quatre à six ans en détention provisoire.

J’ai personnellement constaté que les conditions de détention des maisons d’arrêt ne respectaient bien souvent pas les normes applicables en la matière. La surpopulation carcérale est monnaie courante et il arrive fréquemment que le principe fondamental en vertu duquel les prévenus doivent être détenus séparément des condamnés ne soit pas respecté. La situation de ces prévenus est aggravée encore par la durée indéterminée de leur détention et les incertitudes qui entourent l’issue de la procédure.

Gravité des conséquences

Cette situation a d’autres conséquences graves pour les intéressés. Une récente étude a souligné les répercussions socio-économiques de la détention provisoire : il arrive que les prévenus perdent leur emploi, soient contraints de vendre leurs biens et soient expulsés de leur logement. Le simple fait d’avoir été incarcéré peut entraîner une stigmatisation de l’ancien prévenu, quand bien même son innocence a finalement été établie.

Il est étonnant que les gouvernements ne prennent pas davantage de mesures pour prévenir de telles conséquences, alors même que le système carcéral est à la fois coûteux et surchargé dans plusieurs pays européens. Un certain nombre de mesures alternatives à la détention, plus humaines et plus efficaces, seraient dans bien des cas parfaitement adaptées. Ainsi, les mesures de contrôle non privatives de liberté, comme l’assignation à résidence ou la mise en liberté sous caution, sont trop rarement utilisées.

Le recours à la détention provisoire devrait être limité aux situations d’absolue nécessité

Afin de favoriser la discussion sur les normes minimales applicables en la matière, la Commission européenne a récemment publié un Livre vert. La démarche consistera à examiner en détail les alternatives possibles à la détention provisoire et les initiatives qui pourraient être prises pour les promouvoir et mettre un terme à la durée excessive de la détention provisoire.

Cette réflexion pourrait s’inspirer des normes établies par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Celui-ci souligne, dans sa Recommandation (2006)13 consacrée à l’usage de la détention provisoire, l’importance des principes de la présomption d’innocence et du droit à la liberté. La détention provisoire des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction devrait par conséquent être l’exception, et non la règle.

Thomas Hammarberg

Strasbourg 18/08/2011
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