Retour Séminaire sur "Les aspects juridiques du rôle de l'Etat hôte d'organisations internationales"

La Haye, Pays-Bas , 

« LE CONSEIL DE L’EUROPE ET SES ETATS HOTES : ASPECTS JURIDIQUES ET PRATIQUES »

Intervention de
M. Jörg POLAKIEWICZ

Jurisconsulte et Directeur du Conseil juridique et du droit international public
(Conseil de l’Europe)

La Haye, 19 septembre 2014

 

Madame la Présidente, chère Liesbeth,

Mesdames et Messieurs,

C’est avec grand plaisir que j’interviens aujourd’hui pour vous présenter quelques aspects juridiques et pratiques de la relation entre le Conseil de l’Europe et ses Etats hôtes.

Je souhaite tout d’abord remercier les autorités néerlandaises pour l’organisation de ce séminaire mais également pour avoir choisi ce thème pour clôturer la présidence néerlandaise du CAHDI. Ce thème est d’un intérêt certain pour les Etats ainsi que pour les organisations internationales – et notamment la nôtre.

Une bonne relation avec l’Etat hôte est fondamentale pour une organisation internationale. Nous dépendons – il faut le dire – énormément de l’Etat hôte afin de garantir notre statut juridique, notre efficacité et, par conséquent, notre réputation.

Dans le cas du Conseil de l’Europe, il s’agit essentiellement de l’Etat hôte de notre siège, la France, mais également de la vingtaine d’Etats où nous avons des bureaux, qu’ils soient membres ou non membres de notre Organisation.

Dans mon intervention, je m’efforcerai de présenter brièvement les fondements juridiques définissant la relation entre le Conseil de l’Europe et la France (I) pour ensuite me concentrer sur quelques cas concrets d’interprétation et d’application de ces textes (II). J’aborderai, enfin, la question de nos « autres » Etats hôtes (III).

 

I. LES FONDEMENTS JURIDIQUES DE LA RELATION ENTRE LA FRANCE ET LE CONSEIL DE L’EUROPE

Il n’existe pas en France de lois régissant de manière spécifique le statut juridique des organisations internationales ayant leur siège en France. Cette relation a pour fondement juridique des accords internationaux accordant des privilèges et immunités à notre Organisation[1].

Il s’agit tout d’abord du Statut du Conseil de l’Europe qui pose le principe même des privilèges et immunités nécessaires à l’exercice des fonctions de l’Organisation.

Il s’agit ensuite de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe – que l’on appelle entre nous le « GAPI » – qui précise ces privilèges et immunités et accorde au Conseil la personnalité juridique, que l’Organisation exerce via son Secrétaire Général. Il a vocation à s’appliquer sur l’ensemble du territoire de nos Etats membres.

Enfin, il s’agit de l’Accord spécial relatif au Siège du Conseil de l’Europe, qui est lui un accord bilatéral entre l’Organisation et son Etat hôte. Il vient préciser des questions pratiques liées au siège (inviolabilité,  droit applicable, accès aux locaux, octroi de visas).

Je dois ajouter que certains organes du Conseil bénéficient de privilèges et immunités sur une base conventionnelle. Ainsi la Convention de Prévention de la Torture prévoit une protection spécifique pour les membres du Comité de Prévention de la Torture précisée en Annexe à la Convention.

L’Accord général sur les privilèges et immunités a vocation à s’appliquer à l’ensemble du territoire des Etats membres, mais également à l’ensemble de nos entités, y compris la Cour européenne des droits de l’homme ou encore la Direction européenne de la qualité des médicaments. Cette évidence n’a toutefois pas toujours été simple à faire reconnaitre en pratique.

Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme est quelquefois qualifiée d’« organe conventionnel »[2]. Si cette assertion est correcte, elle est captieuse, car elle néglige les liens institutionnels qui existent entre le Conseil et la Cour, depuis la création de cette dernière. La Cour a été créée dans le cadre institutionnel du Conseil de l’Europe et en fait partie intégrante, même si elle a été instituée par un traité distinct du statut du Conseil de l’Europe et que les Etats membres du Conseil n’ont pas toujours tous été parties à la Convention[3].

Ces considérations sont loin d’être théoriques ; ils ont joué un certain rôle dans l’affaire que Monsieur Michael S. Morgan a introduite devant la Cour de District de New York. Après avoir été débouté de sa requête[4] contre la Finlande devant la Cour européenne des droits de l’homme, ce requérant a poursuivi la Cour elle-même et le Conseil de l’Europe pour agression, discrimination et incitation à la haine raciale. En juin 2002, il nous a fallu invoquer et, surtout, justifier l’immunité de juridiction devant des juridictions d’un pays non membre, en l’occurrence les Etats Unis. Aucun accord avec les Etats-Unis d’Amérique ne reconnaît l’immunité de juridiction au Conseil ; néanmoins, en vertu de la législation nationale relative à l’immunité souveraine (le « Foreign Sovereign Immunities Act » de 1976), le Conseil de l’Europe a pu être considéré comme un « instrument de l’Etat, directement contrôlé par les Etats membres ».

Finalement, nous avons gagné cette affaire ; le juge américain ayant estimé que, dans la mesure où la Cour avait été instituée par une Convention conclue dans le cadre du Conseil de l’Europe, que ses juges étaient élus par l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe et qu’un protocole additionnel au GAPI (instrument de l’Organisation) reconnaissait l’immunité aux juges de la Cour, la Cour faisait partie intégrante du Conseil et bénéficiait de ce fait de l’immunité de juridiction[5]. Seul bémol : les frais d’avocat qui sont élevés aux États-Unis (presque 20 000 € pour une affaire qui était d’emblée manifestement mal fondée). Il serait en effet très avantageux pour le Conseil de l’Europe d'être inscrite sur la liste des organisations internationales auxquelles s’applique le « International Organizations Immunities Act », une loi fédérale de 1945.

D’autres cas plus simples font également notre quotidien. Ainsi, les juges de l’un de nos Etats membres convoquent parfois les juges de la Cour européenne des droits de l’homme devant leurs juridictions internes pour y répondre de leurs décisions. Dans ces cas, il nous faut écrire à l’ambassadeur concerné pour rappeler les privilèges et immunités du Conseil, et par suite de la Cour et de ses juges, a fortiori lorsqu’ils rendent des décisions à Strasbourg.

Les relations avec l’Etat hôte passent aussi par l’application du droit national. Nous sommes soumis, de manière tout à fait légitime, à de multiples dispositions du droit français, telles celles liées à la sécurité des bâtiments ou au stockage de certains produits. Ainsi, la Direction européenne de la qualité des médicaments stocke des produits soumis à déclaration (comme des OGM) avec l’autorisation et un certain contrôle de l’Etat hôte. Nos bâtiments contiennent aussi une dose d’amiante qui nous oblige à respecter des normes bien établies. Ces procédures sont respectées avec le plus grand sérieux et la collaboration avec les autorités est optimale sur ces questions.

Enfin, certaines de nos structures ont des prolongations dans la société civile et donc des bases institutionnelles dans le droit national. Ainsi, certaines de nos activités sont mises en œuvre par des associations de droit local d’Alsace-Moselle. A titre d’exemple, on peut mentionner des associations telles que le Forum européen des Roms et des gens du voyages (2004), ou encore l’Association européenne des écoles d’études politiques (2008). Ces structures permettent un travail direct avec la société civile.

 

II. QUESTIONS PRATIQUES POSEES PAR L’APPLICATION DES TEXTES

J’aimerais me focaliser sur deux questions pratiques qui ont posé des problèmes d’interprétation, c’est-à-dire l’étendue des exonérations fiscales et l’accès au siège.

À l’instar d’autres organisations internationales, le Conseil de l’Europe bénéficie d’exonérations fiscales. L’Accord Général sur les Privilèges et Immunités du Conseil de l’Europe prévoit explicitement l’exonération de « tout impôt direct ». Toutefois, contrairement à la Convention sur les Privilèges et Immunités des Nations Unies dont il est pourtant largement inspiré, la possibilité pour l’Organisation d’être exemptée des taxes à la vente n’y est pas consacrée.

Il s’agit vraisemblablement d’un oubli, que l’étude des travaux préparatoires ne nous a pas permis de clarifier. Cet oubli a rapidement été constaté et partiellement réparé par la signature d’un autre accord bilatéral avec la France, contenant une unique clause sur l’exonération des taxes indirectes.

Toutefois, le fait d’avoir fondé notre exonération des taxes indirectes sur un accord bilatéral a eu de lourdes conséquences.

L’exonération fiscale a pour fondement l’indépendance de l’organisation, mais également l’idée qu’il serait illégitime, et contraire au principe d’égalité entre les Etats, qu’un Etat en particulier ne tire un bénéfice indu, par la voix du prélèvement fiscal, des activités d’une organisation internationale.

L’exonération des taxes indirectes sur une base bilatérale a rapidement posé problème. En effet, elle n’a plus permis à l’Organisation de bénéficier du marché commun qui s’ouvrait à elle. Le dilemme est, et reste dans une certaine mesure : acheter en France et être exempté ou acheter à l’étranger et être confronté à un certain vide juridique.

Certes, le droit de l’Union est venu compenser en partie cette lacune : grâce à  des directives européennes, chaque Etat membre de l’Union a reconnu l’accord bilatéral entre la France et le Conseil et a reconnu à l’Organisation son droit à l’exonération des taxes indirectes.[6]

En pratique, la question est toutefois plus complexe. Lorsque le Conseil de l’Europe achète en France des biens ou services à destination du siège, l’organisation est remboursée a posteriori. C’est-à-dire qu’on paie la taxe, puis on se fait rembourser quelques mois plus tard. Par contre, lorsque le Conseil achète dans un autre Etat de l’Union, il doit obtenir, a priori, des autorités françaises un certificat d’exonération, pour chaque achat, pour être autorisé à payer le bien ou le service hors taxes. La procédure est lourde, chronophage et peu incitative.

La réactivité des services a pu ainsi être lourdement impactée. Il arrive ainsi d’ailleurs qu’ils décident de payer la TVA, renonçant ainsi aux immunités et aux privilèges de l’organisation, alors même qu’une voie d’exonération est théoriquement ouverte.

Conscients des préjudices pour l’efficacité de l’organisation, les autorités françaises et le Conseil sont récemment parvenus à réduire les délais d’obtention des certificats d’exonération de 6 à 8 semaines à 1 à 3 semaines. Il reste que cette procédure est plus lourde que certaines procédures mises en place dans d’autres Etats membres de l’Union où nous avons des bureaux et où nous recevons un seul certificat par an, auquel s’ajoute des contrôles ponctuels auxquels nous nous plions volontiers.

L’autre question pratique soulevée par l’exemption de la TVA concerne la définition, retenue par l’administration fiscale, des « dépenses officielles » ouvrant droit à un remboursement de la TVA. L’exemple de la Direction européenne de la qualité du médicament illustre bien cette problématique.

La Pharmacopée européenne qui fête ses 50 ans cette année est un accord partiel du Conseil de l’Europe, c’est-à-dire une activité à laquelle seule une partie de nos Etats participe. Il est basé sur la Convention relative à l’élaboration d’une Pharmacopée européenne de 1964. Sa mission consiste pour l’essentiel à garantir la qualité des médicaments et de leurs constituants mis sur le marché en Europe.

Le fonctionnement de la Pharmacopée pose une autre question intéressante. Cette Direction met en effet à la disposition de ses utilisateurs, le plus souvent des laboratoires et des autorités réglementaires, des publications papiers, des certificats de conformité ainsi que des étalons – c’est-à-dire des substances et des préparations – de référence. Ces étalons de référence sont vendus aux laboratoires concernés. La question s’est donc posée de savoir si ces ventes pouvaient être considérées comme des activités commerciales, par analogie aux actes jure gestionis connus en matière d’immunité de l’Etat.

Certes, il s’agit de ventes. Toutefois, ces ventes sont effectuées uniquement dans le cadre de la mission statutaire de l’Organisation. Si l’Organisation est exonérée de la TVA lorsqu’elle achète les matériaux pour établir et produire ces étalons de référence, il incombe à l’acheteur – lorsque ces étalons sont revendus – de contacter les autorités fiscales ou douanières nationales pour le paiement des droits et taxes, qui ne seront en aucun cas pris en charge par le Conseil de l’Europe ni déductibles du montant à payer. Cette pratique, désormais bien établie, a un intérêt financier direct pour les Etats membres, dans la mesure où elle permet à ces activités de s’autofinancer. Il nous faut toutefois régulièrement le rappeler aux auditeurs externes, qui sont souvent intéressés à l’idée de nous imposer de collecter une taxe au profit de notre Etat hôte. En effet, l’Accord général ne parle pas d’exonération sur les ventes, mais seulement sur les achats.

Cet exemple montre bien que le Conseil de l’Europe bénéficie d’une immunité couvrant l’ensemble des opérations administratives, scientifiques et techniques de l’organisation, y compris de ses accords partiels. Si la distinction faite en matière d’immunités d’Etat entre les actes jure gestionis et les actes jure imperii a pu avoir un sens pour les organisations internationales, elle n'en a certainement plus dans le contexte actuel, où les organisations internationales cherchent à diversifier leurs sources de financement, à la demande même de leurs Etats membres. Les exonérations fiscales dont bénéficie le Conseil permettent, comme je l’ai souligné auparavant, d’assurer son indépendance vis-à-vis de ses Etats membres, y compris l’Etat hôte, et d’assurer, in fine, une stricte égalité entre eux.

Notre quotidien est ainsi rempli de cas à la limite de la lettre de nos textes statutaires, mais appliqués par notre Etat hôte sur la base d’un pragmatisme certain, d’un dialogue permanent et d’une politique de siège respectueuse.

Plus accessoirement, permettez-moi d’évoquer la question de l’accès au siège du Conseil de l’Europe.

La France s’est engagée via l’accord de siège à ne mettre aucun obstacle physique à l’accès aux bâtiments à Strasbourg et doit autant que possible accorder des visas aux personnes venant au siège. Ces procédures sont parfois lourdes pour l’Etat hôte. À cet égard, je dois mentionner l’excellente initiative de la France qui a décidé de rendre les visas gratuits pour toutes les personnes se rendant au Forum Mondial de la Démocratie, qui se tiendra en novembre prochain.

D’autres questions d’application de l’article 5 de l’Accord spécial sont moins évidentes, par exemple celle de savoir si les personnes ainsi invitées par le Conseil bénéficient d’une quelconque immunité. Ou plus particulièrement, que se passe-t-il lorsqu’une personne invitée est visée par un mandat d’arrêt ou visée par des sanctions applicables sur le territoire de l’Etat hôte ?

Il appartient bien évidemment en premier lieu aux autorités de l’Etat hôte d’interpréter et d’appliquer le droit. Permettez-moi de signaler simplement que notre Etat hôte se montre régulièrement proactif en la matière et nous permet d’inviter, y compris pour des réunions très sensibles, certaines de ces personnes. Nous y voyons une distinction claire entre la politique extérieure de l’Etat hôte et sa politique de siège et nous sommes extrêmement reconnaissants envers les autorités françaises des efforts déployés pour respecter cette distinction. Dans la situation géopolitique actuelle, il nous serait fortement préjudiciable de ne pas pouvoir jouer notre rôle de conciliateur dans les difficultés que traverse notre continent. J’en veux pour exemple la participation du président de la Douma d’Etat à de récentes réunions de l’Assemblée parlementaire. M. Sergueï Narychkine figure sur la liste des personnalités visées par des sanctions adoptées par l'Union européenne dans le contexte de la crise en Ukraine. La décision applicable prévoit toutefois des exceptions pour les Etats hôtes d’organisations internationales[7]. En revanche, accorder une quelconque immunité aux personnes ainsi invitée ne trouve aucune base dans le libellé de l’accord de siège et dépasserait vraisemblablement la portée de son but et objet.

Comme vous le voyez, ces arrangements pratiques, qu’ils soient fiscaux ou politiques, vont au-delà de la lettre des accords multilatéraux et bilatéraux applicables et il faut reconnaitre que la pratique de nos privilèges et immunités repose souvent bien davantage sur le bon sens de l’Etat hôte que sur une base juridique solide.

 

III. LES RELATIONS ENTRE LE CONSEIL DE L’EUROPE ET SES « AUTRES ETATS HOTES »

Le Conseil de l’Europe est de plus en plus présent dans ses Etats membres et dans des Etats non membres. L’ouverture de bureaux dits « extérieurs » correspond à plusieurs objectifs de la réforme en cours, à savoir renforcer les relations entre l’organisation et les Etats où le Conseil de l’Europe met en œuvre d’importants programmes de coopération et renforcer le lien avec d’autres institutions ou organisations internationales (à Bruxelles, Genève,  Vienne ou Varsovie).

Les textes applicables (notamment l’Accord Général sur les privilèges immunités) ne limitent aucunement l’application des privilèges et immunités de l’organisation au territoire français. Au contraire, il a été ratifié par l’ensemble des Etats membres et a vocation à s’appliquer sur l’ensemble de leurs territoires. Toutefois, dans la mesure où notre présence s’est étendue au-delà du siège de Strasbourg après la date d’entrée en vigueur de cet Accord, il est de coutume de formaliser notre présence par un accord bilatéral avec l’Etat concerné quand nous ouvrons un bureau extérieur. C’est évidemment inévitable lorsqu’il s’agit d’un bureau dans un Etat non membre où l’Accord Général ne s’applique pas.

Ces accords bilatéraux reprennent, pour l’essentiel, les dispositions contenues dans l’Accord Général. Elles vont aussi parfois au-delà en appliquant mutatis mutandis des dispositions reprises de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, telle que l’obligation pour le Conseil d’informer l’Etat hôte de la nomination du Chef du Bureau et le statut particulier du chef de mission. Une clause sur l’exonération des taxes indirectes est en général introduite, en particulier avec les Etats membres qui ne sont pas membres de l’Union européenne et qui n’ont pas reconnu formellement notre accord bilatéral avec la France nous exonérant de taxes indirectes. Certains Etats n’ont toutefois pas accepté cette disposition et l’organisation y paie des taxes indirectes, quand bien même les activités qu’elle y mène relève de ces activités officielles. On peut à cet égard s’interroger sur le fait de savoir si l’égalité entre les Etats membres est ici respectée.

Un autre aspect généralement problématique est la question de la reconnaissance des privilèges et immunités de nos employés recrutés localement. Ils figurent parmi ceux qui ont le plus besoin de protection. D’après nos règles statutaires, il revient au Secrétaire Général de désigner les agents qui bénéficient des privilèges et immunités. Les agents recrutés localement font partie de cette catégorie. Or, il est parfois difficile de faire reconnaitre cet état du droit à nos interlocuteurs, quand bien même ils auraient ratifié l’Accord général. Je me permets de souligner, pour écarter certaines craintes, que l’Organisation tient à sa réputation de garante de l’Etat de droit. Si un agent devait être poursuivi sur la base d’indices graves et concordants, il serait de notre responsabilité d’appliquer les règles permettant de lever l’immunité dont il bénéficie, dans le seul exercice de ses fonctions.

Je ne peux me permettre d’aborder la question des accords bilatéraux sans évoquer l’exemple belge. Nous avons un bureau à Bruxelles, comme nombre d’organisations internationales. Nous avons donc un accord avec les autorités belges, qui a de temps à autre besoin d’une mise à jour. Nous négocions actuellement un deuxième protocole à l’accord, avec le Comité interministériel pour la politique de siège, organe composé des différents ministères impliqués dans la vie de notre représentation (finances, sécurité sociale et bien sûr affaires étrangères). Cette structure permet un dialogue direct avec l’ensemble des protagonistes. La politique de siège y est clairement définie et expliquée. Une telle structure rend les négociations constructives et claires, ce qui n’empêche pas que le temps de la négociation s’étende parfois, ce qui reste inhérent à toute négociation de ce type.

Notre expérience avec ces Bureaux est donc dans l’ensemble positive, même si elle répond à une problématique récurrente : comment faciliter les relations entre les Etats hôtes et les organisations internationales afin de concilier l’efficacité du travail des organisations internationales, qui font face à d’importantes contraintes administratives, et l’exercice des prérogatives légitimes de l’Etat hôte, dans la limite des privilèges et immunités, le tout, en se basant sur des textes souvent anciens et lacunaires.

 

CONCLUSIONS

Le fait d’être des créations de droit, sans territoire ou population propres, donne aux organisations internationales une certaine fragilité. En plus, il faut signaler une faiblesse structurelle, déjà évoquée par la résolution (69) 29 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe :

« le principe de réciprocité ne [peut] pas trouver à s’appliquer pour définir les privilèges et immunités accordées par un État à une organisation internationale et son personnel, étant donné que la nature différente des parties ne permet pas aux organisations d’offrir des avantages équivalents en retour des privilèges et immunités qui leur sont accordées » [8].

Les privilèges et immunités accordées aux organisations internationales sont donc indispensables pour leur bon fonctionnement.

Les quelques exemples tirés de la pratique du Conseil de l’Europe illustrent le fait que nous sommes confrontés de plus en plus souvent à des situations non-prévues par les textes applicables et auxquelles nous devons trouver des solutions à la fois pratiques et pragmatique, mais toujours conformes à notre statut d’organisation internationale, afin de garantir son efficacité dans l’intérêt de tous ses Etats membres.

Je dois aussi ajouter que la mise en œuvre des privilèges et immunités de l’Organisation ne relève pas en premier lieu de ma Direction du conseil juridique et droit international public, mais du Protocole du Conseil de l’Europe. C’est parfois la même chose en ce qui vous concerne. Je dois admettre qu’en pratique, dans les relations de notre Service du Protocole avec le Protocole du ministère des Affaires étrangères français, les arguments juridiques ne jouent souvent qu’un rôle secondaire et les textes, souvent trop anciens, sont vite oubliés ou ne sont pas lus à la lumière des activités que nous faisons aujourd’hui.

L’expérience du Conseil de l’Europe montre donc, du fait de ce cadre juridique ancien et quelquefois lacunaire, qu’on ne maintient les bonnes relations avec son Etat hôte qu’au prix d’un pragmatisme quotidien, qui coûte nécessairement en ressources. Nous avons toutefois la chance d’avoir un Etat hôte respectueux de notre statut.

Je vous remercie de votre attention.

 

[1] Voir Edwige BELLIARD « Le cadre général : questions juridiques liées à l’implantation des organisations internationales » dans Gérard CAHIN, Florence POIRAT et Sandra SZUREK (dir.) La France et les organisations internationales, Pedone 2014.

[2]Voir, par exemple, G. Ress 'Die Organisationsstruktur internationaler Gerichte, insbesondere des neuen Europäischen Gerichtshofs für Menschenrechte' in Hafner et al. (ed) Liber amicorum für Ignaz Seidl-Hohenveldern (1998) 541 ff.

[3] Voir déjà la décision de la Court of Appeal du Royaume-Uni dans l’affaire Zoernsch c. Waldock et McNulty (1964) I WLR 675.

[4] Requête no 41947/98, A.M. c. Finlande. Le requérant alléguait une violation des articles 5, 6 et 14 de la Convention, du fait qu’il aurait été suspecté de trafic de drogue et condamné sans preuve.

[5] Morgan v. Council of Europe et al., 02-CV-0891 (CBA) (E.D.N.Y. Dec. 31, 2002). Son appel fut rejeté.

[6] Voir notamment la Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe la valeur ajoutée.

[7] Voir Article 1, paragraphe 3 (a) de Décision 2014/145/CFSP du 17 mars 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

[8] ‘Privilèges et immunités des organisations internationales’, résolution (69) 29, adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe le 26 septembre 1969.

 

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