Retour Respecter les droits de la femme

« Les droits des femmes sont des droits humains », a déclaré Hillary Clinton en septembre 1995 lors de la Quatrième conférence mondiale sur les femmes. Alors que nous célébrons la Journée internationale de la femme et le vingtième anniversaire de la Déclaration et de la Plateforme d’action de Pékin, adoptés à cette conférence, je ne peux que me faire l’écho de cette déclaration et inviter l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe à faire de l’égalité des sexes et du respect des droits des femmes une réalité et non seulement une promesse.

Des progrès ont été faits au cours des dernières décennies dans un certain nombre de domaines, en particulier par l’adoption de législations et de mécanismes interdisant la discrimination pour des motifs liés au sexe. Des objectifs ambitieux, y compris en matière d’égale participation des femmes à la vie politique, ont aussi été fixés. Cependant, la pleine réalisation des droits des femmes se fait toujours attendre en Europe.

Il est particulièrement préoccupant de constater en 2015 que les droits des femmes sont clairement menacés par la réapparition de tendances réactionnaires visant les femmes qui souhaitent se libérer du rôle subalterne dans lequel elles ont été maintenues pendant des siècles. Certains aimeraient limiter le rôle des femmes à celui de mères, vouées à avoir des enfants et à rester chez elles pour les élever. Il est donc plus que nécessaire de se mobiliser pour les droits des femmes, de combattre ces stéréotypes et de sensibiliser aux questions d’égalité des sexes à la fois au sein de la famille et au sein de la société. La Stratégie 2014-2017 pour l’égalité entre les femmes et les hommes offre une feuille de route dans ce domaine, car l’un de ses objectifs stratégiques vise à combattre les stéréotypes de genre et le sexisme.

En dépit des nombreux instruments juridiques nationaux et internationaux de lutte contre la discrimination pour des motifs liés au sexe, celle-ci reste largement répandue dans l’Europe d’aujourd’hui. Ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme l’a souligné dans un arrêt récent (affaire Emel Boyraz) sur un cas de discrimination liée au sexe, « quand une différence de traitement est liée à des considérations de sexe, la marge d’appréciation reconnue à l’Etat est étroite. […] La défense de l’égalité des sexes est aujourd’hui un objectif majeur dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Seules des considérations très fortes peuvent amener à estimer une telle différence de traitement comme compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme ». Ne l’oublions pas.

J’ai constaté dans mon travail que la crise économique et les mesures d’austérités adoptées de ce fait dans certains Etats membres ont contribué à une régression des droits des femmes en Europe. Ces politiques ont exacerbé l’inégalité des sexes et la discrimination en faisant des coupes dans les postes et les salaires du secteur public (où la main-d’œuvre se compose essentiellement de femmes) et dans le système de protection sociale (auquel les femmes font appel davantage que les hommes). Il est inquiétant de constater que dans les pays concernés, la pauvreté se féminise, d’où un risque accru d’exploitation et de traite pour les femmes, qui sont déjà surreprésentées dans les emplois précaires et mal payés. Il faudrait que les Etats réagissent rapidement et qu’ils adoptent des mesures pour inverser cette tendance dangereuse.

Je suis aussi préoccupé par l’intensification du discours de haine à l’égard des femmes qui s’observe dans beaucoup de pays d’Europe, notamment sur Internet, et qui se caractérise par des menaces de meurtre, d’agression sexuelle ou de viol. Cette forme de discours de haine vise des responsables politiques en vue, des journalistes, et des défenseuses des droits de l’homme, mais aussi des femmes ordinaires au travail, dans la rue et à l’école. J’exhorte une fois de plus les Etats membres du Conseil de l’Europe à interdire dans leur droit interne toute apologie de la haine fondée sur le genre qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence.

Si nous ne combattons pas la discrimination et le discours de haine à l’égard des femmes, nous n’éliminerons jamais la violence à l’égard des femmes, qui est l’une des formes les plus extrêmes de violation de leurs droits. Bien que les cas de violences soient rarement signalés en raison de la méfiance envers les institutions étatiques et des tabous culturels et sociaux, il ne fait pas de doute que le nombre de femmes victimes de violences soit préoccupant dans la plupart des pays européens, ainsi que l’a fait ressortir une récente étude réalisée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne concernant les Etats membres de l’UE. Ce qui aggrave la situation, c’est que la réaction des autorités nationales, y compris la police, les procureurs et les juges, reste véritablement insuffisante dans un grand nombre de cas de violences envers les femmes.

Il est temps maintenant d’agir et de donner un nouvel élan à l’esprit de la Déclaration de Pékin. D’abord, les Etats membres qui ne l’ont pas encore fait, devraient ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Non seulement cela montrerait clairement que les Etats tiennent à promouvoir l’égalité des sexes, mais cela augmenterait aussi les chances de traduire dans les faits les droits des femmes.

Nils Muižnieks