Retour Des mesures fermes s’imposent pour mettre un terme à l’impunité policière en Ukraine, conclut le Commissaire Muižnieks

Visite en Ukraine
Conférence de presse à Ukrinform, Ukraine - Iryna Vyrtosu, HR Information Center

Conférence de presse à Ukrinform, Ukraine - Iryna Vyrtosu, HR Information Center

"Ces derniers mois, en Ukraine, les forces de l'ordre et leurs hommes de main ont eu recours contre des protestataires à une force excessive. Il est important de demander des comptes pour les graves atteintes aux droits de l'homme déjà commises et d'éviter tout nouvel acte de violence." Telle a été la conclusion du Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Nils Muižnieks, à l'issue d'une visite qu'il a effectuée en Ukraine (à Kiev, Vinnytsia, Dnipropetrovsk et Zaporizhzhya) du 5 au 10 février 2014.

Entre fin novembre 2013 et fin janvier 2014, des centaines de personnes ont été blessées, dont certaines grièvement, au cours des interventions armées de la police anti-émeute et des affrontements qui s'en sont suivis. Plusieurs personnes ont également trouvé la mort à cette occasion. Le Commissaire a relevé que bien que la majorité des manifestants se soit comportée pacifiquement, certains groupes ont recouru à la violence. Plusieurs policiers ont également été blessés, parfois sérieusement.

Le Commissaire et son équipe ont entendu des dizaines de personnes blessées et/ou arrêtées lors des manifestations et des affrontements. L'experte médicale de la délégation s'est aussi entretenue avec divers professionnels de santé qui ont soigné des personnes blessées et elle a pu consulter certains dossiers médicaux. Des tirs à balles de caoutchouc ont occasionné de très nombreuses blessures à la tête et au moins dix personnes y ont perdu un œil, voire les deux: ceci témoigne de l'ampleur et de la gravité des mauvais traitements infligés. "On n'a pas besoin de fracasser des crânes ou de briser des dents pour arrêter quelqu'un. De même, il est inutile de tenter de maîtriser une foule ou de réprimer la violence des protestataires en visant à la tête avec des balles en caoutchouc. L'emploi de canons à eau par des températures inférieures à zéro degré est également inacceptable."

Certains représentants des autorités ukrainiennes ont reconnu que la répression exercée le 30 novembre 2013 par la police spéciale anti-émeute ("Berkut") à l'encontre de manifestants pacifiques, la vidéo largement visionnée d'un manifestant dénudé et humilié par la Berkut par un froid glacial, en plein air, ainsi que l'emploi apparemment délibéré de la force contre des journalistes, n'ont fait qu'aggraver une situation déjà tendue.

Des affaires qui pourraient s'apparenter à des enlèvements, assorties de brutalités et de mauvais traitements et perpétrées par des personnes non identifiées, préoccupent grandement le Commissaire. L'une d'elles s'est soldée par la mort d'un manifestant qui aurait été abandonné dans une forêt après avoir été roué de coups.

Le Commissaire et sa délégation ont entendu des accusations et constaté d'autres preuves de la coopération de la police avec des civils communément désignés par le terme générique "titushki". Ceux-ci sont fréquemment armés de matraques, de battes ou d'armes à feu "traumatiques" (lutte anti-émeute) et masqués. A Zaporizhzhya, la police a reconnu que certaines associations cosaques contribuaient au "maintien de l'ordre" et que l'on pouvait les équiper de matériels anti-émeute. Des fonctionnaires du Bureau du Procureur général ont également signalé que plusieurs groupes de personnes auraient décidé de leur propre chef "d'assister" les forces de police en cette période agitée. A Dnipropetrovsk, on a montré à la délégation la photo d'un haut fonctionnaire de police entouré d'hommes masqués en civil, armés de bâtons et arborant des brassards jaunes. Des membres de la délégation ont interrogé un civil soigné à l'hôpital pour des blessures à la tête, lequel a déclaré qu'il travaillait pour une société de sécurité privée et assurait la sécurité de l'administration régionale dans la zone concernée.

"Avoir recours à des personnes non habilitées pour réprimer des manifestations est extrêmement dangereux : en effet, cela ébranle la confiance des citoyens dans les forces de l'ordre, empêche de rendre compte de ses actes et est totalement contre-productif pour apaiser les tensions ", déclare le Commissaire. "Il convient de mettre un terme à ces pratiques."

Les autorités de poursuite ont informé le Commissaire que des enquêtes avaient été ouvertes à l'encontre de fonctionnaires de police (4 à Kiev, 2 à Dnipropetrovsk, et 1 à Zaporizhzhya), pour avoir outrepassé leur autorité, entravé le travail des journalistes, ou procédé à des arrestations illégales. Ces autorités ont déclaré n'avoir reçu que très peu de plaintes pour bavures policières. Eu égard à la masse considérable d'informations révélant des mauvais traitements et des violences infligées à des manifestants qui est portée à l'attention du Commissaire, celui-ci a tout lieu de croire que le nombre infime de plaintes déposées auprès des autorités de poursuite pourrait traduire le manque de confiance des citoyens dans l'efficacité de cette institution à traiter leurs plaintes. Certains interlocuteurs officiels du Commissaire ont admis que jusqu'à présent, les autorités d'enquête / de poursuite s'étaient essentiellement attachées à traduire en justice des manifestants accusés d'avoir organisé des "soulèvements de masse" ou d'avoir "occupé des bâtiments".

"Les autorités ukrainiennes ont pour responsabilité de condamner sans équivoque les agissements répréhensibles de la police, pratiqués à grande échelle, de mener des enquêtes efficaces sur les violations perpétrées, et d'infliger des sanctions dissuasives", a souligné le Commissaire. "Bien entendu, tant que les dysfonctionnements structurels du système judiciaire ne seront pas résolus, le problème persistant de l'impunité de la police continuera de saper la confiance de l'opinion dans les institutions. Combattre l'impunité suppose une justice véritablement indépendante et à l'abri des pressions extérieures, ainsi qu'un plein respect du principe de l'égalité des armes. La manière dont est concrètement appliqué le nouveau Code de procédure pénale, ainsi que l'absence de garanties efficaces contre les mauvais traitements (par ex., la notification de garde à vue à un proche et l'accès à un avocat), doivent de même être traitées en priorité."

Enfin, le Commissaire a insisté sur la nécessité de combler les lacunes de la législation en matière de liberté de réunion pacifique, comme souligné dans l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme en l'affaire Vyrentsov c. Ukraine.

Lire cet article en Ukrainien

Kiev 10/02/2014
  • Diminuer la taille du texte
  • Augmenter la taille du texte
  • Imprimer la page