Première réunion conjointe du CDDH-MIG et du CJ-DAM

Nicosie, 15 février 2017
 

Monsieur le Deputy Ombudsperson,

Mesdames et Messieurs,

Au nom du Secrétaire général du Conseil de l'Europe, j'ai le privilège et le plaisir d'ouvrir cette réunion conjointe du CDCJ – DAM et du CDDH – MIG.

Je saisis cette occasion pour féliciter et remercier Chypre d'avoir donné une haute priorité au problème des migrations dans le cadre de sa présidence du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe. C'est un sujet, hélas, d'une brûlante actualité qui touche – à des degrés différents il est vrai – tous nos Etats.

Je forme le vœu que cette réunion, ici à Nicosie, dans un cadre magnifique, permettra de faire progresser de façon déterminante les travaux dans ce domaine.

Sans transition, Mesdames et Messieurs, je passe au point suivant de l'ordre du jour : « Remarques introductives ».

Durant ces trois jours, une opportunité rare s‘offre à vos deux instances. Vous avez en effet l’occasion d’apprendre les uns des autres, d’échanger des vues, de partager des idées, des expériences et de comparer des notes de travail, renforçant ainsi la coordination et les synergies entre vos deux instances.  Et cela non seulement pendant les réunions mais aussi en dehors de la salle.

Vous aurez d’ici vendredi de nombreuses occasions de vous parler librement et de manière informelle, ce qui permet souvent de faire des progrès lors des séances de travail.

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi tout d’abord de dresser la toile de fond de vos travaux.  

Vous le savez, nous faisons face, au niveau mondial, à une crise humanitaire sans précédent depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Des millions d’hommes, de femmes et d’enfants innocents fuient leurs pays pour sauver leurs vies. La situation de la Syrie, pour n’en mentionner qu’une, ne cesse de s’aggraver et la population n’a d’autre choix que de trouver refuge ailleurs. Près de 5 millions de réfugiés Syriens se répartissent dans 5 pays seulement, la Turquie, le Liban, la Jordanie, l’Iraq et l’Égypte.

La Turquie à elle seule accueille le plus grand nombre de réfugiés et probablement d’enfants réfugiés dans le monde, avec 3 millions de personnes présentes sur son territoire.

La Syrie n’est qu’un exemple dramatique parmi tant d’autres. On estime que l’Ukraine compte actuellement 1,7 million de personnes déplacées à l’intérieur du pays. 2015 a vu un nombre record de personnes déplacées de force.

Les statistiques sont bien évidemment incapables de mesurer la détresse individuelle. Elles sont néanmoins indispensables pour garder les choses en perspective. Permettez-moi donc d’en citer quelques-unes. Comme cela a été consigné dans vos travaux en cours, en 2015, plus d’un million de personnes considérées comme des migrants, demandeurs d’asile ou réfugiés sont arrivées en Europe par voies maritimes. La quasi-totalité de ces arrivants ont transité par deux pays situés en première ligne, la Grèce, qui a enregistré l’entrée de plus de 850 000 personnes, et l’Italie, qui en a compté plus de 150 000. J’ai déjà mentionné la Turquie, qui figure clairement parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe les plus touchés. Par ailleurs, en 2015, plus de 440.000 demandes d’asile ont été enregistrées en Allemagne et plus de 150.000 en Suède.

En 2016, le nombre des arrivées en Europe par voie maritime représentait plus de 360 000 personnes. Malheureusement, plus de 5 000 personnes ont tragiquement péri ou disparu en mer Méditerranée.

Il est intéressant de noter que plus de 660 000 demandes d’asile enregistrées en Europe entre janvier 2015 et septembre 2016 ont été déposées par des enfants. Beaucoup d’entre eux étaient non accompagnés ou séparés de leur famille. En Italie par exemple, en 2016,  plus de 90 % des enfants  qui sont arrivés dans ce pays au cours des neuf premiers mois étaient non accompagnés ou séparés. Ces chiffres sont stupéfiants !

Ces faits sont particulièrement pertinents pour l’un des sujets majeurs de vos réunions de cette semaine : les personnes en situation de vulnérabilité.

Mais les enfants ne sont pas les seules personnes vulnérables. Songeons aux femmes enceintes et aux mères qui allaitent ; songeons aux victimes de la traite ; aux victimes de torture et de traumatismes; songeons aux handicapés, aux personnes âgées, aux personnes LGBTI, et cette liste n’est pas exhaustive.

En effet, la vulnérabilité n’est pas une notion statique, elle est évolutive et dynamique. Il ne s’agit pas d’un quota fixe mais d’une condition humaine assujettie à un contexte spécifique. N’importe lequel d’entre nous peut devenir vulnérable lorsqu’il est placé dans un contexte particulièrement difficile. Et la détention constitue, en soi, une situation de précarité.

J’en viens à présent à vos travaux.

[Conditions de détention dans le contexte de l’immigration, alternatives à la  détention, CJ-DAM et CDDH-MIG]

Plusieurs instances du Conseil de l’Europe – à l’instar d’autres instances internationales – ont mis en évidence que les migrants, et notamment les demandeurs d’asile et les mineurs, font l’objet de détention dans des conditions déplorables. A vrai dire, il faudrait parler de rétention car détention a une connotation pénale.

La triste réalité est que, en dépit du fait qu’ils n’ont commis aucun crime ou délit, les migrants et les demandeurs d’asile en rétention bénéficient  d’un système de protection plus faible que celui accordé aux délinquants condamnés.

C’est  la raison pour laquelle il est impératif de chercher des alternatives viables à la rétention, alternatives qui garantissent à la fois les droits de l’homme des migrants et le respect des procédures d’immigration. C’est aussi la raison pour laquelle il est important de mettre en place des normes relatives aux conditions de rétention, des normes qui soient non seulement acceptées, mais appliquées.  Dans ce contexte, vos deux Comités ont une véritable opportunité d’améliorer la situation.

Pour ce faire, il est de votre responsabilité de tirer profit de manière professionnelle et engagée des normes internationales, en premier lieu la Convention européenne des droits de l’homme, mais d’autres instruments du Conseil de l’Europe et d’autres traités internationaux pertinents dans ce domaine peuvent être source d’inspiration.

Les travaux du CJ-DAM visant à codifier les normes existantes relatives aux conditions de détention administrative des migrants font l’objet d’un large soutien, tant de la part des diverses instances du Conseil de l’Europe et de l’Union Européenne - de la Commission notamment - que de nombreuses autres parties prenantes.

Pourquoi ces travaux font-ils l’objet d’un tel soutien? La raison est évidente : parce qu’ils répondent à un véritable  besoin.

Les divers instruments applicables en matière de rétention ne s’appliquent pas toujours et uniformément à toutes les situations, ni à toutes les personnes concernées ; ils ne couvrent pas de manière exhaustive les divers aspects de la rétention dans le contexte de la migration. Ils sont par ailleurs affaiblis par les incohérences qu’ils comportent. Aussi le risque est-il d’avoir des régimes divergents dans un domaine dans lequel le besoin de partager les meilleures pratiques et d’adopter une approche cohérente est patent. C’est le défi qu’il vous appartient de relever.

Il y a au moins deux aspects cruciaux que vous devriez garder à l’esprit dans vos travaux. D’une part, l’exercice a été lancé pour garantir la protection effective des droits de l’homme des migrants détenus. Vous devriez donc vous rappeler en permanence l’absence de protection à laquelle les migrants sont souvent confrontés, en évitant de retenir le plus petit dénominateur commun. D’autre part, l’exercice vise à réduire les incohérences actuelles et à promouvoir une harmonisation dans les pratiques en matière de détention.

Les travaux du CJ-DAM se sont inspirés des Règles pénitentiaires européennes. Celles-ci ont fourni des principes largement reconnus et de bonnes pratiques concernant le traitement des détenus et la gestion des équipements carcéraux. Il est évident que vos travaux ne pourront, en aucun cas, établir des normes qui iraient en deçà des Règles pénitentiaires européennes, d’autant plus que les circonstances particulières de la rétention administrative diffèrent de celles de la prison.

La codification des règles européennes applicables à la rétention administrative des migrants ne devrait évidemment pas être utilisée pour normaliser la rétention dans le contexte de la migration. Cette codification devrait plutôt être appréhendée comme un moyen pour éviter des violations des droits de l‘homme et pour favoriser la mise en place d‘une certaine cohérence. La rétention ne devrait de surcroît être envisagée qu‘en dernier recours dans le contexte des procédures applicables à l‘immigration.

A cet égard, plusieurs parties prenantes ont appelé, à maintes reprises, les Etats à examiner en profondeur et à mettre en place des mesures moins restrictives que la rétention. Il ne s‘agit en réalité pas d‘un choix, mais d‘une obligation.

Ce qui m‘amène aux travaux du CDDH-MIG.

Le mandat du CDDH-MIG est très différent de celui du CJ-DAM. Le CDDH-MIG est chargé de procéder à une analyse des alternatives efficaces à la rétention administrative et d’explorer la nécessité de travaux ultérieurs dans ce domaine. D’une certaine manière, le CDDH-MIG doit jeter les bases pour des travaux à venir, concernant notamment un éventuel instrument sur des alternatives à la rétention. Cela n’empêche cependant pas le CDDH-MIG de partager avec le CJ-DAM un certain nombre de normes bien établies qui pourraient, le cas échéant, être incluses dans le furtur instrument relatif aux conditions de rétention.

Les alternatives à la rétention constituent, en tant que telles, un domaine novateur offrant de nombreuses pistes qui doivent être explorées dans un esprit constructif. Pour que l‘exercice porte les fruits escomptés, il convient de veiller à ce que les besoins et les défis spécifiques auxquels nos Etats sont confrontés soient dûment pris en compte. Si nous parvenons à renforcer la prise de conscience générale du problème et la connaissance concrète de ce qui rend efficace une alternative, il y aura, à terme, une amélioration sensible de la situation, au bénéfice tant des individus que des Etats.

Je suis ravi de constater le grand intérêt que cette démarche suscite. Ces travaux doivent être perçus comme un développement vraiment utile et capable de générér une valeur ajoutée. Il me paraît également évident que les tâches respectives de vos deux Comités sont complémentaires. A cet égard, un dialogue constructif est essentiel et c‘est l‘un des buts de cette réunion, ici, à Nicosie.

Observations finales

Ladies and Gentlemen,

In closing, let me say that the detention of vulnerable persons, such as children, remains an issue of particularly grave concern, not only in Europe but across continents. Many instances, including the Council of Europe, have called for the abolition of child immigration detention altogether. They maintain that the detention of children for immigration purposes can never be in the best interest of the child. As for other vulnerable persons or groups, a number of international instances strongly emphasize that alternatives to detention must be the answer. Finding concrete and practical solutions in the field is, therefore, imperative.

It is most appropriate that this first joint meeting of the two committees focuses on vulnerability. I encourage you to be forward-looking and aim for doing work that thinks in years and decades, based on international standards, and not in today´s contentious whims of the day.

Article 1 of the European Convention of Human Rights maintains that the contracting States shall secure to everyone within their jurisdiction the rights and freedoms therein. It is meant to force us to uphold human dignity even when there may be popular tendencies to the contrary. It is there to protect both others and ourselves from our potential for inhumanity; perhaps most of all towards the Other, the one defined as the Stranger.

The lessons of history are with us today, and must remain so. The Council of Europe will continue to offer is guidance, support and expertise to its member States in making their answers to the crisis compatible with basic human rights. While the challenges are real, concrete and serious, and while there are no easy answers or simple solutions, we must stay faithful to our ideals and commitments even in dire straits. 

Let me impress upon you once again the importance of your task, and thank you for your commitment and dedication in this endeavour. I know you are taking the time to do this through busy schedules at home. I assure you it is worth the effort.

I also, again, extend my sincere thanks to our generous hosts, and their invaluable part in making this first joint event happen.

I wish you fruitful meetings in the beautiful island of Cyprus, so rich with tradition, hospitality and the tormented lessons of human history.

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