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Retour La mise en œuvre imparfaite des décisions judiciaires ébranle la confiance dans la justice des Etats

Point de vue

Les décisions judiciaires rendues dans certains pays européens ne sont souvent exécutées que partiellement ou avec un retard important, voire pas du tout. C’est l’un des problèmes les plus fréquemment relevés par la Cour européenne des droits de l’homme (Cour de Strasbourg). L’exécution imparfaite des décisions définitives rendues par les tribunaux doit être considérée comme un déni de l’état de droit et un problème grave en matière de droits de l’homme.

Le non-respect des décisions de justice peut affecter de larges franges de la population, et notamment les personnes vulnérables. Lorsque les pouvoirs publics décident d’ignorer une décision judiciaire qui les condamne à payer des prestations sociales – des pensions de retraite ou des allocations familiales, par exemple – c’est toute la famille concernée qui en subit les conséquences.

Autres exemples : les indemnités pour dommages subis lors du service militaire ou à la suite de poursuites infondées, ou encore le problème de la restitution des biens jadis nationalisés par les anciens gouvernements communistes, qui a donné lieu à de nombreuses décisions internes non exécutées dont a été saisie la Cour de Strasbourg.

De nombreuses autres affaires concernant le non-respect de décisions de justice internes sont portées devant la Cour de Strasbourg, qui a conclu et continue de conclure à de nombreuses violations dans ce domaine. Parmi les pays concernés, on compte l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Moldova, la Fédération de Russie, la Serbie et l’Ukraine.

La mise en œuvre imparfaite des décisions judiciaires nationales doit être considérée comme un problème structurel, qui devrait figurer parmi les priorités des Etats concernés.

Toute décision rendue doit être respectée, y compris celles qui sont en défaveur de l’administration : c’est là un principe important. C’est pourquoi il est particulièrement inquiétant de constater que certains responsables politiques de haut niveau invoquent parfois toutes sortes de prétextes pour ignorer une décision de justice, ou font des déclarations publiques qui traduisent un manque de respect pour le pouvoir judiciaire.

Rappelons que le mépris par les autorités des décisions rendues par les tribunaux constitue une violation du droit à un procès équitable tel que défini dans l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans l’arrêt Hornsby c. Grèce, la Cour de Strasbourg déclare que « le droit à un tribunal […] serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un Etat contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie. »1

La Cour rappelle également que les Etats, en ratifiant la Convention, se sont engagés à respecter le principe de l’état de droit. Or, le mépris de l’application des décisions de justice est incompatible avec un tel principe. Dès lors que l’administration refuse ou néglige de se plier à une décision, ou encore en retarde l’exécution, les garanties offertes par l’article 6 sont vidées de leur sens.

Selon la Cour, la complexité des procédures de mise en œuvre internes ou des mécanismes budgétaires de l’Etat ne dispense pas ce dernier de son obligation d’assurer à tous le droit de voir exécutée une décision de justice contraignante dans un délai raisonnable. Un Etat ne peut pas non plus invoquer l’absence de crédits ou de toute autre ressource pour ne pas honorer sa dette2 .

Plusieurs organes du Conseil de l’Europe, dont l’Assemblée parlementaire et certains organes spécialisés comme la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), se sont penchés sur ces problèmes structurels qui constituent aussi une priorité pour le Comité des Ministres, chargé en dernière instance du contrôle de l’exécution des arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme.

Un Service spécialisé au sein du Conseil de l’Europe assiste le Comité des Ministres dans sa mission de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne. Ce Service a organisé des discussions afin d’aborder le problème de la non–exécution ou du retard dans l’exécution de décisions de justice internes3 .

Les conclusions afférentes ont mis en évidence la nécessité d’avoir un cadre légal et réglementaire qui garantisse l’exécution des décisions de justice internes. Il importe notamment de :

  • mettre en place des procédures claires qui soient adaptées à la situation budgétaire de l’Etat et compatibles avec la nécessité d’une exécution rapide et correcte des décisions ;
  • créer un service d’huissiers efficace et indépendant ;
  • renforcer la responsabilité personnelle des agents de l’Etat concernés par le processus d’exécution des décisions de justice internes et d’exercer un contrôle plus strict sur leur travail ;
  • créer des voies de recours internes effectives qui permettent d’accélérer les procédures d’exécution et prévoient une indemnisation en cas de non-exécution.

Ce dernier point est essentiel. Dans un récent arrêt pilote, la Cour de Strasbourg détaille les critères à mettre en œuvre pour contrôler qu’il existe bien des voies de recours préventives ou indemnitaires offrant au niveau interne une réparation suffisante et appropriée.4

De fait, plusieurs pays ont déjà pris des mesures en ce sens : plans d’action, stratégies nationales, réformes des systèmes d’huissiers, nouvelles lois instaurant des voies de recours, mécanismes exécutoires mis en place par la Cour suprême et par le Conseil d’Etat.

Cependant, pour que ces efforts se révèlent efficaces, tous les acteurs concernés doivent avoir une connaissance suffisante du sujet. A cette fin, il est essentiel que les pays concernés puissent partager leur expérience, avoir des contacts avec le Conseil de l’Europe et bénéficier de conseils juridiques.

Dans cette perspective, les acteurs-clefs à l’échelon national doivent entreprendre un travail de sensibilisation et de mobilisation. Les parlementaires doivent favoriser la promulgation rapide des réformes législatives nécessaires et certaines instances indépendantes (les médiateurs par exemple) ont un rôle central à jouer du fait de leur pouvoir de contrôle sur l’administration. Ces institutions peuvent, en particulier, informer les citoyens de l’existence de nouvelles lois prévoyant des recours internes en cas de non-exécution des décisions judiciaires, et inciter l’administration à respecter la loi.

C’est la crédibilité du système judiciaire qui est en jeu. Il ne suffit pas de réformer la législation, d’augmenter les ressources des tribunaux, ni même d’encourager le public à régler ses différends en justice. Il faut aussi que toute personne qui a placé sa confiance dans le système judiciaire puisse obtenir satisfaction non seulement sur le papier mais aussi dans la réalité. La garantie d’une mise en œuvre complète et rapide des décisions de justice est l’un des signes distinctifs d’une société démocratique.

Thomas Hammarberg

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Notes:

1. Arrêt de la Cour du 19 mars 1997, par. 40.

2. Voir entre autres, Burdov c. Russie (n° 2), 15 janvier 2009, par. 70.

3. Les documents préparés par le Service de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme sont disponibles sur : https://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution/default_fr.asp

4. Burdov c. Russie (n° 2), op.cit.

Strasbourg 31/08/2009
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