Le carnet des droits humains de la Commissaire

Retour Protéger les droits humains des travailleuses et travailleurs du sexe

Carnet des droits de l'homme
Parapluies lors d’une manifestation de travailleuses du sexe avec le slogan : « Only rights can stop the wrongs » (seuls les droits peuvent arrêter les torts). ©Juno Mac

Parapluies lors d’une manifestation de travailleuses du sexe avec le slogan : « Only rights can stop the wrongs » (seuls les droits peuvent arrêter les torts). ©Juno Mac

Les réalités vécues par les travailleuses et travailleurs du sexe en Europe suscitent de graves préoccupations en matière de droits humains. Traiter de cette question complexe et importante passe par une pleine compréhension des conséquences sur les droits humains de ces personnes de plusieurs facteurs : leur expérience de niveaux élevés de violence et de protection insuffisante de la part des forces de l’ordre et du système judiciaire ;la stigmatisation dont ces personnes font l’objet ; et les discriminations multiples à leur encontre qui entraînent leur isolement et leur marginalisation et qui entravent leur accès aux services essentiels, notamment au logement et aux soins de santé. Tous ces facteurs contribuent à la persistance d’une culture de l’impunité pour les crimes commis contre les travailleuses et travailleurs du sexe, qui à son tour conduit à toujours plus de violence.

Après avoir consulté des travailleuses et travailleurs du sexe de plusieurs pays européens, leurs organisations représentatives, les organisations internationales compétentes et des experts, j’appelle donc à appliquer au travail du sexe[1] une approche résolument fondée sur les droits humains, qui se concentre sur la protection effective des droits des travailleuses et travailleurs du sexe, qui donne la priorité à leur sécurité, à leur capacité de décision et d'action et à leur autonomie corporelle, et qui batte en brèche les stéréotypes et les idées fausses. Les travailleuses et travailleurs du sexe, comme toutes les personnes, ont droit à la protection contre la discrimination fondée sur leur occupation et doivent avoir un accès égal aux droits humains, aux services et aux protections juridiques de base, indépendamment de leurs choix professionnels.

Exposition à la violence et protection insuffisante de la part des forces de l’ordre et du système judiciaire

Les travailleuses et travailleurs du sexe sont confrontés à un haut niveau de violence et d’abus sur l'ensemble du continent. Cela est principalement imputable à des conditions de travail dangereuses, ainsi qu'à la persistance d'attitudes préjudiciables dans la société. La violence peut prendre différentes formes, qui vont des insultes et des menaces aux infractions motivées par la haine, voire au meurtre, en passant par la traque et le harcèlement (y compris en ligne), les vols, les agressions physiques, le viol et les violences sexuelles. Pour les mêmes raisons, les travailleuses et travailleurs du sexe sont également exposés à un risque élevé de subir d’autres violations graves des droits humains, telles que la traite des êtres humains et l’exploitation.

Dans de nombreux États membres, faute de données officielles et ventilées, il est impossible de savoir combien d'infractions violentes sont commises contre des travailleuses et travailleurs du sexe et à quelles catégories appartiennent ces infractions. Les données disponibles reposent en grande partie sur des informations communiquées par des ONG auxquelles les personnes concernées signalent anonymement des cas de violences pour éviter à d'autres d’en devenir victimes. Selon les informations disponibles, les auteurs de violences ont des profils variés. Dans de nombreux pays, les travailleuses et travailleurs du sexe expliquent qu'il arrive que des policiers et d'autres représentants de la loi soient à l'origine des violences ou les perpétuent. Les cas de harcèlement et de répression brutale y seraient si courants que la police est davantage considérée comme une menace que comme la garante de leur sécurité, doutant ainsi largement de la capacité et la volonté de la police de les protéger. En outre, les travailleuses et travailleurs du sexe sont souvent réticents à signaler les violences et les autres formes de violations des droits humains dont ils ont été victimes ou témoins, par crainte d’être stigmatisés, poursuivis, sanctionnés ou expulsés, même dans les pays où la vente de services sexuels n’est pas illégale. Les autorités devraient donc faire de la protection des travailleuses et travailleurs du sexe une priorité en leur garantissant la possibilité de rapporter un crime sans crainte des conséquences juridiques et en faisant en sorte que les auteurs des violences soient tenus pour responsables de leurs actes.

Ainsi que l’a constaté le GREVIO, l’organe de suivi de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (la Convention d’Istanbul), des attitudes préjudiciables fondées sur des stéréotypes selon lesquels « seules les femmes et les filles irrépréhensibles peuvent être victimes de viol » persistent aussi dans les parquets et les tribunaux, ce qui risque d’influer négativement sur les décisions judiciaires rendues dans des affaires concernant des travailleuses et travailleurs du sexe.

Stigmatisation et formes de discrimination multiples ou intersectionnelles

Les travailleuses et travailleurs du sexe souffrent de la stigmatisation persistante du travail du sexe qui revient à le considérer comme une activité honteuse et déshonorante. Il en résulte un haut niveau d’acceptation sociale pour le fait de leur manquer de respect et de les soumettre à des intimidations et à des discriminations, sous prétexte que leur comportement sexuel ne serait pas conforme aux normes sociales et fondées sur le genre. Dans ces conditions, il leur est très difficile de faire librement des choix de vie. La stigmatisation conduit souvent les travailleuses et travailleurs du sexe à cacher leur activité et à craindre en permanence qu’elle ne soit découverte, ce qui jetterait l’opprobre sur eux et sur leur famille. En outre, elle les empêche de bénéficier de soins adéquats et peut entraver leur accès au logement, à l'éducation ou aux services de garde d'enfants.

Une situation particulièrement préoccupante sur le plan des droits humains est celle que connaissent les travailleuses et travailleurs du sexe appartenant à des groupes confrontés à des formes de discrimination multiples ou intersectionnelles y compris les personnes migrantes, les personnes confrontées à la discrimination raciale, les personnes transgenres (trans) ou celles ayant un handicap ou une maladie de longue durée. En effet, la manière dont leurs identités ou leur statut sont perçus aggrave encore leur isolement et réduit encore leur capacité d’agir. Les membres de ces groupes sont souvent déjà marginalisés dans la société et ont des difficultés d'insertion professionnelle.

Criminalisation du travail du sexe

De nombreux pays confèrent – ou envisagent de conférer – le caractère d’infraction pénale au travail du sexe ou à l’implication de tiers dans cette activité. Cette implication peut prendre différentes formes telles que l’achat de services sexuels, le proxénétisme, l’exploitation de maisons closes, la location d’appartements à des travailleuses et travailleurs du sexe, publicité pour des services sexuels. Or, les constats faits par les organisations internationales de défense des droits humains et par les organes compétents de l’ONU, ainsi que les témoignages de travailleuses et travailleurs du sexe, montrent clairement que la protection des travailleuses et travailleurs du sexe et de leurs droits ne peut pas être assurée au moyen de la criminalisation du travail du sexe.

En 2016, le Groupe de travail de l’ONU chargé de la question de la discrimination à l’égard des femmes, dans la législation et dans la pratique (« le Groupe de travail de l’ONU »), considérait que l’imposition de sanctions pénales aux travailleuses du sexe « les place dans une situation d’injustice, de vulnérabilité et de stigmatisation et va à l’encontre du droit international des droits de l’homme ». Il soulignait que l’utilisation de dispositions punitives pour réglementer la maîtrise des femmes sur leur propre corps telle que l’utilisation de dispositions régissant le travail du sexe est une forme grave et injustifiée de contrôle exercé par les États et porte atteinte à leur dignité et à leur intégrité corporelle en limitant leur autonomie, les empêchant de prendre des décisions concernant leur propre vie et leur propre santé.

Selon les organisations de travailleuses et travailleurs du sexe et les défenseurs des droits de ces personnes, l’incrimination de tiers – même en l’absence d’incrimination du travail du sexe – affecte automatiquement et directement les travailleuses et travailleurs du sexe car le lieu d’exercice de leur activité est alors globalement soumis au droit pénal, ce qui ternit davantage encore l’image de leur activité et les expose à des risques accrus de violence. À cet égard, la Cour européenne des droits de l'homme (« la Cour »), dans la décision sur la recevabilité qu’elle a rendue en l’affaire M.A. et autres c. France, a considéré que les requérants – 261 personnes de diverses nationalités qui exerçaient l’activité de prostitution de façon licite en France – pouvaient se dire victimes de violations de leurs droits au titre de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans cette affaire, les requérants soutiennent que la loi française de 2016 qui érige en infraction pénale l’achat de relations de nature sexuelle entre adultes consentants les pousse à la clandestinité et à l’isolement, ce qui les expose à des risques accrus pour leur intégrité physique et leur vie. Ils soutiennent aussi que cela affecte leur liberté de définir les modalités de leur vie privée et porte en conséquence atteinte à leurs droits au titre des articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention. La Cour doit encore se prononcer sur la question de savoir s’il y a eu violation de ces droits.

Selon les résultats d’une enquête réalisée en 2019 et 2020 en Angleterre, auprès de 185 personnes effectuant un travail du sexe, l’incrimination des tiers a aussi un impact sur les membres de la famille, les amis et les collègues qui souhaitent aider les travailleuses et travailleurs du sexe. En outre, l’organisation Front Line Defenders a constaté que les lois prévoyant l’incrimination des tiers nuisent aux activités des défenseurs des droits humains, y compris dans le domaine de la lutte contre la traite des êtres humains. En effet, les militants qui organisent des séances d’information sur la santé et les droits humains dans des maisons closes ou qui prennent contact avec des victimes de la traite, par exemple, risquent d’être arrêtés et accusés de mener des activités illégales.

En 2023, le Groupe de travail de l'ONU a conclu qu’il y a aujourd’hui suffisamment de preuves des préjudices que causent toutes les formes d’incrimination du travail du sexe, y compris les dispositions pénales visant les clients et les activités menées par des tierces parties.

Travail du sexe en rapport avec l’exploitation sexuelle et la traite des êtres humains

Ainsi que le Groupe de travail de l'ONU l’a souligné récemment, du fait des opinions fortement clivées qui sont exprimées concernant les liens entre le travail du sexe, le féminisme et les droits humains, il n’y a pas eu de progrès réels sur le plan de la protection des droits humains des travailleuses du sexe.

Un argument souvent avancé en faveur de l’incrimination et de l’élimination du travail du sexe (ou de certains de ses aspects) consiste à considérer que le travail du sexe impliquant des adultes consentants relève de la violence à l’égard des femmes. Or, cet argument ne  prend en compte ni la distinction entre le travail du sexe et la violence dans le travail du sexe ni le fait que la violence fondée sur le genre est déjà érigée en infraction pénale en tant que violation grave des droits humains. Au titre de leurs obligations en matière de droits humains, il incombe aux États membres de prévenir et de combattre cette forme de violence, que ses victimes effectuent un travail du sexe ou non. L’argument avancé omet aussi de prendre en compte la diversité des personnes qui travaillent dans ce domaine et la diversité de leurs situations et des réalités qu’elles vivent. Enfin, il ne respecte ni leur autonomie ni leur capacité de faire des choix concernant leur corps et leur vie.

Le GREVIO a fait remarquer que la Convention d’Istanbul ne définit pas le travail du sexe (la prostitution) en tant que tel comme une forme de violence à l’égard des femmes, mais qu’elle met l’accent sur la protection et le soutien à offrir aux femmes et aux filles en situation de prostitution, dans tous les cas où celles-ci peuvent subir des violences fondées sur le genre. Dans cette optique, le GREVIO appelle les États à prendre en compte, dans leurs politiques et mesures concernant la violence à l’égard des femmes, le risque spécifique de discrimination multiple ou intersectionnelle auquel sont exposées les travailleuses du sexe, ainsi que les obstacles qui entravent leur accès aux services généraux ou spécialisés, y compris aux services d’hébergement. Dans la même optique, Amnesty International et Human Rights Watch ont souligné que l’amalgame entre la traite des êtres humains et le travail du sexe peut déboucher sur de vastes projets excessifs pouvant exposer davantage ces personnes, ainsi que les victimes de la traite, à la violence et aux préjudices. En outre, rien ne prouve que ce genre d’approche permette réellement de lutter contre la traite (c'est-à-dire qu’elle favorise, d’une part, la prévention, le repérage et la protection des victimes, et d’autre part, la poursuite des responsables).

Les partisans d’une incrimination des tiers soutiennent qu’elle réduit la demande, contribue à diminuer le volume global du travail du sexe et permet de lutter contre la violence fondée sur le genre et contre la traite des êtres humains pratiquée aux fins d’exploitation sexuelle. Or, des rapports concordants montrent que, dans certains pays, non seulement les services sexuels commerciaux n’ont pas diminué, mais qu’ils ont peut-être même augmenté dans la période qui a suivi l’incrimination. En outre, plusieurs organisations anti-traite, dont l’Alliance mondiale contre la traite des femmes (Global Alliance Against Traffic in Women) et La Strada International, estiment que l’incrimination de l’achat de services sexuels n’a pas d’impact avéré sur la prévention et la lutte contre la traite et risque même de nuire à l’identification des victimes de la traite parmi les travailleuses et travailleurs du sexe et à leur protection.

Ces débats conflictuels et ces idées fausses sont également imputables à l'absence de consultation des principales parties prenantes. Les travailleuses et travailleurs du sexe et leurs représentants avec qui je me suis entretenue m’ont expliqué qu’ils n’étaient pas consultés du tout avant la prise de décisions concernant leur travail et leur vie et que, lorsqu’ils étaient consultés, leurs points de vue n’étaient pas pris en compte.

Obstacles multiples à l'accès aux droits

Appliquer au travail du sexe une approche fondée sur les droits humains suppose aussi de prendre des initiatives pour que les travailleuses et travailleurs du sexe aient plus facilement accès aux droits, qu’il s’agisse de l’accès à un centre d’hébergement pour les victimes de violences ou les victimes de la traite, conformément aux normes pertinentes du Conseil de l'Europe, ou de l’accès aux droits sociaux, dont la santé, le logement, l’éducation et les droits liés au travail.

Ainsi que cela a déjà été souligné dans les documents thématiques sur le droit à la santé et sur la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes en Europe, les travailleuses et travailleurs du sexe se heurtent à d’importants obstacles pour garantir la réalisation de leur droit à la santé, malgré leurs besoins médicaux accrus. Cela diminue considérablement leurs chances de rester en bonne santé. Il est préoccupant de constater que, dans toute l’Europe, les travailleuses et les travailleurs du sexe sont aussi confrontées à une série de pratique coercitives et d’atteintes à la confidentialité qui sont préjudiciables à leur santé et à leurs droits sexuels et reproductifs ; pourtant, nombreux sont les États membres qui ne prennent toujours pas de mesures effectives pour leur assurer un accès égal et sans entraves à ces droits.

Même lorsque le travail du sexe ne constitue pas une infraction pénale, il est soumis, dans certains pays, à des dispositions si restrictives que l’accès aux droits s’en trouve compromis pour les travailleuses et travailleurs du sexe et que leurs activités finissent par se dérouler pour l’essentiel hors du cadre juridique. Ces personnes risquent donc de se voir infliger des amendes ou d’autres sanctions, comme dans les pays où le travail du sexe tombe sous le coup du droit pénal. En Grèce, par exemple, pour qu’une personne puisse travailler dans une des quelques maisons closes agréées, elle doit être célibataire, divorcée ou veuve et doit passer régulièrement une visite médicale ; l’imposition de ces obligations aurait eu pour conséquence de créer une situation où la plupart des activités de travail du sexe sont exercées illégalement. D’après les défenseurs des droits des travailleuses et travailleurs du sexe, les examens de santé obligatoires prévus par ces cadres réglementaires sont souvent perçus par les personnes concernées comme une violation de leurs droits humains. Le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes s’est déclaré préoccupé par l’obligation imposée aux travailleuses et travailleurs du sexe en Autriche de se soumettre à des tests de dépistage, qui sont réalisés par des fonctionnaires de santé publique et qui sont payants dans certaines provinces. En Allemagne, les réglementations étendues et complexes qui ont été mises en place conduiraient à la répression et à l’exclusion de beaucoup, en particulier de personnes migrantes, de personnes trans et d'autres personnes particulièrement marginalisées.

En ce qui concerne l’emploi et les droits liés au travail, la forte proportion de personnes migrantes, de personnes trans ou ayant un handicap ou une maladie de longue durée parmi les travailleuses et travailleurs du sexe semble refléter les difficultés considérables que rencontrent les personnes ayant des besoins particuliers pour trouver un autre emploi rémunéré qui soit adapté à leur situation. Certains États membres ont établi des dispositifs pour accompagner les travailleuses et travailleurs du sexe qui souhaitent changer d’emploi, mais des études montrent que ces dispositifs sont souvent difficiles d’accès, notamment pour les personnes les plus marginalisées, parce qu’il faut remplir toute une série de conditions. Afin de faciliter l’accès des travailleuses et travailleurs du sexe aux systèmes de protection sociale et aux droits liés au travail, il faudrait adapter toutes les mesures de soutien à la situation et aux besoins spécifiques de ces personnes, leur allouer des aides financières suffisantes et leur permettre de suivre des formations.

En adoptant une loi marquante élaborée en concertation avec les travailleuses et travailleurs du sexe, la Belgique est devenue en 2022 le premier pays européen à décriminaliser la le travail du sexe. Par conséquent, ces personnes peuvent désormais exercer leur activité légalement en tant que travailleurs indépendants et acquérir des droits sociaux. Depuis l’été 2023, les droits liés au travail s’appliquent aussi aux travailleuses et travailleurs du sexe sous contrat de travail, en vertu d’une nouvelle loi qui comporte des dispositions sur le temps de travail et la rémunération, qui consacre le droit de refuser des clients et qui impose l’obligation d’équiper d’un bouton d’urgence chaque pièce de l’établissement où le travail est effectué. Cette loi concerne aussi les tiers, qui ne pourront plus être sanctionnés pour avoir ouvert un compte bancaire au nom d’une travailleuse ou d’un travailleur du sexe ou pour lui avoir loué un appartement. En outre, elle autorise les travailleuses et travailleurs du sexe à faire de la publicité pour leurs services.

La voie à suivre : une approche fondée sur les droits humains

Les États membres du Conseil de l’Europe doivent adopter une approche du travail du sexe qui soit fondée sur les droits humains. Une telle approche doit garantir aux travailleuses et travailleurs du sexe la protection contre la violence et les abus, l’égalité d’accès à la santé et aux autres droits sociaux, ainsi que le droit au respect de la vie privée et le droit de participer à la vie publique et politique.

Toutes les mesures gouvernementales doivent tenir compte de l'exposition particulière des travailleuses et travailleurs du sexe à la discrimination, y compris pour des motifs multiples et croisés : origine ethnique, sexe, genre, orientation sexuelle, identité de genre, expression du genre et caractéristiques sexuelles, migration ou handicap, par exemple.

Les États membres devraient faire en sorte que toute personne bénéficie d'un niveau de vie décent, ait accès aux soins et à l'éducation, et puisse travailler en sécurité et sans être exploitée. Ils devraient aussi garantir l'égalité d'accès à la protection sociale et à l'ensemble des autres droits sociaux.

En outre, afin de garantir l’égalité d’accès aux services, les États membres devraient renforcer les programmes de formation destinés aux personnels de la police, de la justice, de la santé publique et des services sociaux, de manière à sensibiliser ces personnels à la nécessité de lutter contre la stigmatisation des travailleuses et travailleurs du sexe et de protéger leurs droits. Il faudrait parallèlement promouvoir la mise en œuvre de programmes visant à éliminer les préjugés contre les travailleuses et travailleurs du sexe qui prévalent dans la société.

Adopter une approche fondée sur les droits humains implique également de ne pas conférer le caractère d’infraction pénale à des relations sexuelles consenties entre adultes contre rémunération. L’incrimination et l’application de sanctions aux travailleuses et travailleurs du sexe, à leurs clients ou à des tiers ont réduit considérablement l’accès des travailleuses et travailleurs du sexe aux droits et aux services essentiels et les ont conduits à vivre et à travailler dans la clandestinité et l’isolement, par crainte du système judiciaire. À l'inverse, la dépénalisation du travail du sexe entre adultes consentants a eu des effets positifs sur la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe et sur leur accès à la protection sociale et aux soins, ce qui s'est traduit par une amélioration de leur état de santé. Le Groupe de travail de l’ONU a également noté qu’un cadre juridique dépénalisé crée l’environnement le plus propice à la protection du droit de ces personnes de participer à la vie publique et politique.

Il s’agit de ne pas faire d’amalgame entre le travail du sexe entre adultes consentants et la violence à l’égard des femmes ou la traite des êtres humains. A contraire, les travailleuses et travailleurs du sexe doivent être protégés contre la violence, la traite et l’exploitation. Ainsi que l’a souligné Amnesty International, la dépénalisation du travail du sexe n’est pas la suppression des lois qui érigent en infraction pénale l’exploitation, la traite et la violence contre les travailleuses et travailleurs du sexe. A l’inverse, ces lois doivent être maintenues et devraient même être renforcées. Afin de mieux répondre aux besoins de protection des victimes de la traite pratiquée aux fins d’exploitation sexuelle et des victimes de la violence fondée sur le genre, qu’elles effectuent ou non un travail du sexe, les États membres doivent veiller à ce que les lois nationales soient conformes à la Convention européenne des droits de l'homme (notamment à son article 2 sur le droit à la vie, à son article 3 sur l’interdiction de la torture et à son article 4 sur l’interdiction de l’esclavage), telle qu’elle est interprétée par la Cour, ainsi qu’à la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains et à la Convention d’Istanbul, et doivent mettre en œuvre ces conventions en suivant les recommandations formulées par les organes de suivi respectifs.

Enfin, personne ne peut mieux parler pour les travailleuses et travailleurs du sexe que les intéressés eux-mêmes ; personne ne connaît mieux la situation et les raisons qui poussent à s'engager dans le travail du sexe. Si l’on veut élaborer et appliquer des politiques fondées sur les droits humains qui soient efficaces et qui permettent véritablement de protéger les travailleuses et travailleurs du sexe et de renforcer leur autonomie, il est indispensable de mieux écouter leurs voix et d’accorder davantage d’attention à leurs droits. Cela suppose de consulter dûment les travailleuses et travailleurs du sexe, dans toute leur diversité, et leurs organisations représentatives, et de les associer à chaque étape du processus décisionnel car leurs expériences et leurs perspectives sont essentielles pour développer des politiques et des interventions efficaces qui soutiennent leurs droits humains et leur dignité.

 

[1] Au sens du présent article du Carnet des droits humains, le travail du sexe s’entend comme l’échange consensuel de services sexuels contre rémunération entre adultes.

Strasbourg 15/02/2024
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