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Retour Le profilage racial et religieux n’a pas sa place dans la lutte antiterroriste

Point de vue

Depuis les événements du 11 septembre 2001, la pratique du profilage est de plus en plus courante dans la lutte antiterroriste, qu’il s’agisse des initiatives d’extraction de données pour identifier les supposés terroristes « dormants » en Allemagne, des interpellations en vertu de la Loi relative au terrorisme de 2000 en Grande-Bretagne ou de la politique de l’Union européenne. La crainte de nouveaux attentats crée une nouvelle forme de profilage « terroriste » – des musulmans ou des personnes d’origine moyen-orientale sont victimes de discrimination au nom de la sécurité nationale. Cette approche n’est pas acceptable.

Avant de poursuivre, il convient de faire la distinction entre les différents types de profilage. Dans les enquêtes criminelles, il est nécessaire de déterminer des indicateurs physiques, psychologiques ou comportementaux qui seront susceptibles de relier un certain type de personne à un crime donné. Ils sont utiles pour les forces de l’ordre, étant donné qu’ils peuvent leur permettre de circonscrire les recherches. En principe, le profilage doit donc être considéré comme un outil légitime de la répression.

Or cette technique a été appliquée de façon très problématique dans la lutte contre le terrorisme. Les indicateurs utilisés comportaient des caractéristiques aussi générales que larges, comme la race, l’appartenance ethnique, l’origine nationale ou la religion.

Le risque de discrimination associé à la pratique du profilage est assurément élevé : une action répressive qui s’appuie sur des motifs comme la race ou la couleur de la peau peut enfreindre le principe de la non discrimination, tel qu’il est consacré par l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a fait part de ses préoccupations concernant les conséquences des méthodes utilisées dans la lutte contre le terrorisme dans une recommandation. Certains groupes de personnes, notamment des minorités visibles, sont devenus particulièrement vulnérables au racisme et/ou à la discrimination raciale dans de nombreux domaines de la vie publique, en particulier lorsqu’ils font l’objet de contrôles par des agents des forces de l’ordre.

L’Open Society Justice Initiative, qui a observé cette tendance en Europe depuis trois ans, a conclu dans une récente publication que le profilage ethnique est désormais largement répandu. Cette technique peut comprendre des interpellations policières, l’extraction de données, ou des contrôles d’identité massifs sur les lieux de travail, dans les entreprises ou les habitations.

Cette question fera l’objet de la prochaine recommandation (n° 11) de l’ECRI, qui portera sur le thème de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale dans les activités de la police, et qui préconisera notamment l’interdiction des contrôles au faciès.

L’hypothèse sous-jacente du profilage terroriste est dangereuse, dans la mesure où elle tend à associer les jeunes gens de confession musulmane ou d’apparence moyen-orientale aux activités terroristes. Le résultat de ce préjugé est qu’un grand nombre de personnes totalement innocentes sont harcelées et traitées comme des suspects, sans raison valable.

En raison de la complexité du terrorisme dans le monde et de l’évolution constante des buts et des méthodes des terroristes, il est difficile de mettre au point des profils précis. Les groupes terroristes eux-mêmes sont sans aucun doute avertis de l’existence de ces profils et cherchent à recruter des personnes qui ne correspondent pas aux profils types.

En outre, rien ne prouve que le profilage ait été efficace dans la lutte contre le terrorisme jusqu’à présent. Les profils étant trop généraux, la police procède à des opérations de trop grande envergure, d’où une perte de temps et un gaspillage des ressources.

Le profilage terroriste peut aussi être contreproductif. Il a tendance à rendre hostile et humilier de larges franges de population. Dans le même temps, il « légitime » la discrimination aux yeux du grand public de la façon la plus fâcheuse qui soit. Le résultat est qu’il divise la société et dresse le groupe stigmatisé contre les forces de l’ordre.

Ceci est dangereux en soi, car la police a besoin de la confiance de la communauté pour obtenir des renseignements avec efficacité. Le Haut Commissaire de l’OSCE pour les minorités nationales a rappelé l’importance de la police de proximité dans sa Recommandation de 2006 sur la police dans les sociétés multiethniques.

Que devraient faire les agents de la force publique pour être efficaces sans, parallèlement, faire du tort aux innocents ?

La surveillance, les enquêtes et toute autre activité de répression similaire devraient être fondées strictement sur le comportement individuel et/ou des renseignements collectés, plutôt que sur des généralisations à l’emporte-pièce. Ainsi, des interpellations peuvent être légitimes lorsque le profil utilisé est fondé sur la description précise et ponctuelle d’un suspect donné.

Il serait naïf de sous-estimer le niveau de la menace terroriste à laquelle l’Europe d’aujourd’hui est confrontée et il est évident que les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent prendre des mesures appropriées pour contrer les menaces terroristes et protéger la vie de leurs citoyens. Des méthodes policières effectives, notamment dans le domaine de la collecte de renseignements, devraient être développées pour remplacer le profilage actuel.

La lutte contre le terrorisme implique également des mesures à long terme visant à prévenir les causes du terrorisme, et non pas uniquement des réponses à court terme, d’où la nécessité de promouvoir la cohésion sociale et le dialogue multiculturel et inter-religieux.

Thomas Hammarberg

Notes

- Le Rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, Martin Scheinin, a abordé la question du profilage terroriste dans son rapport du 29 janvier 2007.
- L’Open Society Justice Initiative a publié un nouvel ouvrage le 27 avril 2007, consacré au profilage ethnique pratiqué par la police en Europe. « I Can Stop and Search Whoever I Want » – Les interpellations policières de minorités ethniques en Bulgarie, en Hongrie et en Espagne.

Strasbourg 29/05/2007
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