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Retour Les États doivent protéger le droit des particuliers de saisir la Cour de Strasbourg

Point de vue

Le droit des individus de saisir la Cour européenne des Droits de l’Homme doit être protégé. Les gouvernements ne doivent pas empêcher quiconque de déposer une requête ; au contraire, ils doivent coopérer à tous égards avec la Cour lorsqu’elle examine une affaire – et notamment, transmettre de bon gré la documentation nationale pertinente.

Selon la Convention européenne des Droits de l’Homme, « La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. » (Article 34).

Tout individu relevant de la juridiction des États parties – qu’il soit réfugié, apatride ou migrant en situation irrégulière – doit jouir de ce droit qui est l’une des pierres angulaires du système européen des droits de l’homme.

Il importe tout particulièrement que les gouvernements n’entravent pas l’exercice de ce droit de recours. La Cour de Strasbourg a elle-même affirmé que les requérants, déclarés ou potentiels, doivent être libres de communiquer avec elle, sans que les autorités ne les pressent en aucune manière de retirer ou de modifier leurs griefs.

La Cour a décrit ce type de pression comme suit : « il faut entendre non seulement la coercition directe et les actes flagrants d'intimidation des requérants déclarés ou potentiels, de leur famille ou de leurs représentants en justice, mais aussi les actes ou contacts indirects et de mauvais aloi tendant à dissuader ceux-ci ou à les décourager de se prévaloir du recours qu'offre la Convention ».(1)

Un rapport préparé récemment au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe donne des exemples d’intimidations alléguées subies par des requérants, déclarés ou potentiels, par leurs avocats et par les membres de leur famille les empêchant de saisir la Cour.

Selon ce rapport, des individus auraient été dissuadés de saisir des tribunaux nationaux, ce qui va à l’encontre du principe d’épuisement des voies de recours internes – condition normalement requise pour qu’une requête devant la Cour de Strasbourg soit déclarée recevable.

Ces allégations sont à prendre très au sérieux. Ce n’est pas parce que certaines sont impossibles à corroborer qu’il faut minimiser l’ensemble du problème. Il importe que toute allégation de ce type fasse l’objet d’une enquête approfondie et que tout soit mis en œuvre pour éviter ce genre de dérive.

En effet, les responsables, politiques ou autres, doivent montrer qu’ils ne s’opposent pas au dépôt de plaintes, et que le fait d’« aller à Strasbourg » n’est en aucune façon considéré comme un acte antipatriotique ou d’opposition politique.

Diverses personnes que j’ai rencontrées au cours de mes déplacements m’ont fait part de leur intention de saisir la Cour européenne des Droits de l’Homme mais craignaient d’être stigmatisées et considérées comme des fauteurs de troubles. Ce climat de méfiance porte atteinte à l’esprit de la Convention.

En outre, le rapport de l’Assemblée parlementaire contient un grand nombre d’exemples où l’État défendeur n’a pas pleinement coopéré avec la Cour, par exemple, en omettant de transmettre les éléments d’information nécessaires. Les documents pertinents, comme les dossiers médicaux, n’ont pas été communiqués et les témoins n’ont pas pu témoigner.

Cette absence de coopération enfreint une disposition spéciale de la Convention européenne selon laquelle les États parties sont tenus de fournir toutes les informations nécessaires à la conduite efficace de l’enquête par la Cour (article 38).(2)

Par ailleurs, il arrive que les États ne respectent pas les mesures provisoires obligatoires imposées par la Cour dans le but d’éviter une situation irréversible – par exemple une extradition vers un pays où le risque de torture est encouru.(3) Dans ce cas, la Cour n’est plus en position d’examiner correctement la requête, ni de s’assurer que le requérant bénéficie d’une protection efficace.

La Cour a été confrontée à cette question et a considéré que les États parties doivent s’abstenir de « tout acte ou omission qui, en détruisant ou faisant disparaître l'objet d'une requête, rendrait celle-ci inutile ou empêcherait la Cour de toute autre manière de l'examiner selon sa méthode habituelle ».(4)

Les actes visant à décourager le dépôt de requêtes, de même que le fait de ne pas coopérer pleinement avec la Cour, sont des questions sérieuses qui méritent un débat ouvert. Le Comité des Ministres de Strasbourg a déjà été confronté à ces problèmes et il le sera à nouveau.(5)

Il est grand temps que tous les États membres du Conseil de l’Europe signent et ratifient l’Accord européen concernant les personnes participant aux procédures devant la Cour européenne des Droits de l'Homme – traité important adopté en 1996 pour garantir l’exercice effectif du droit de recours individuel.(6)

L’Assemblée parlementaire a raison de placer ce point parmi ses priorités. Les pressions des parlementaires sont nécessaires pour veiller à ce que tous les gouvernements membres coopèrent avec la Cour et la soutiennent.

Est-il nécessaire de rappeler que cette institution est unique en son genre ? Sa création est une avancée historique considérable pour la protection de la liberté et la sécurité des personnes en Europe. Qui plus est, la Cour sert d’exemple au reste du monde.

La Convention européenne fait désormais partie intégrante de l’ordre juridique national des 47 États membres du Conseil de l’Europe. Les arrêts de la Cour font donc autorité pour l’interprétation des dispositions majeures du droit interne des pays européens.

Cette évolution devrait aider à ce que les recours internes protègent véritablement les droits de l’homme, afin qu’à l’avenir il ne soit plus nécessaire « d’aller à Strasbourg ». Nous ne pourrons progresser dans ce sens que si les gouvernements coopèrent pleinement avec la Cour et protègent le droit de recours individuel.

Thomas Hammarberg

Notes

1. Arrêt de la Cour : Mamatkoulov et Askarov c. Turquie, 4 février 2005, paragraphe 102
2. Voir également l’article 44a du Règlement de la Cour
3. Ce type de décisions de la Cour est conforme à l’Article 39 de son règlement.
4. Jugement de la Cour : Mamatkoulov et Askarov c. Turquie, 4 février 2005, paragraphe 102
5. Résolution ResDH(2006)45 sur l’Obligation des États membres de coopérer avec la Cour européenne des Droits de l'Homme, adoptée par le Comité des Ministres le 4 juillet 2006
6. Le traité STE n° 161 est entré en vigueur le 01/01/1999. A la date du 29/08/2007, le traité n’a pas été signé par l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, « l’ex-République yougoslave de Macédoine », la Fédération de Russie, le Monténégro, la Pologne et la Serbie ; ni ratifié par l’Estonie, Malte, le Portugal et Saint-Marin.

Strasbourg 03/09/2007
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