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Retour Le contrôle au faciès, une pratique inefficace

Point de vue

Par rapport au reste de la population, les membres de minorités font l’objet de contrôles d’identité plus fréquents et sont plus souvent interpellés par la police, interrogés et fouillés. Ils sont victimes du profilage ethnique, plus communément appelé « contrôle au faciès », une forme de discrimination qui s’est généralisée en Europe. Ces méthodes sont contraires aux normes des droits de l’homme. Elles sont par ailleurs plutôt contre-productives, car elles dissuadent les gens de coopérer avec la police dans la lutte contre la véritable criminalité.

Une grande étude menée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne fait apparaître que les personnes appartenant à des minorités ont l’impression que la police les contrôle prioritairement. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que beaucoup d’entre elles voient là une suspicion à leur égard et se sentent indésirables et mal vues par l’ensemble de la société.

D’après le récent rapport de l’Agence des droits fondamentaux sur les musulmans (élaboré à partir d’une enquête réalisée dans 14 pays européens), un quart des musulmans interrogés ont subi des contrôles de police au cours de l’année écoulée. Parmi eux, 40 % pensent que leur appartenance à une minorité ou leur statut d’immigré est à l’origine de l’interpellation. Beaucoup ont été interpellés plus d’une fois au cours des 12 derniers mois (trois fois en moyenne)1.

Un rapport précédent de l’Agence des droits fondamentaux sur la situation des Roms avait montré qu’ils étaient aussi en butte aux contrôles et que beaucoup mettaient cet état de fait sur le compte de leur appartenance communautaire.

Les contrôles, qui se sont multipliés depuis les attentats du 11 septembre 2001, sont un problème grave dans plusieurs pays d’Europe. Les minorités ne sont pas les seules visées. Lors d’une audience récente, la Cour européenne des droits de l’homme a examiné une affaire impliquant la police britannique, accusée d’interpeller et de fouiller des personnes dans le cadre de la législation antiterroriste sans avoir de motifs raisonnables de les soupçonner2. Même si, en l’occurrence, les requérants ne prétendent pas avoir été contrôlés en raison de leur origine ethnique, ils considèrent que l’utilisation qui a été faite des pouvoirs de police pour les contrôler porte atteinte à plusieurs des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme.

Le contrôle au faciès est une pratique trop répandue en Europe. L’ONG Open Society Justice Initiative a réalisé, il y a peu, une analyse du profilage ethnique dans l’Union européenne. Elle constate dans son dernier rapport que l’utilisation des stéréotypes ethniques et religieux par les services répressifs s’est généralisée partout en Europe. Dans les faits, ces pratiques entravent la véritable lutte contre la criminalité et le terrorisme3 .

D’après le rapport, le profilage ethnique produit l’effet inverse de celui recherché, laissant certains criminels passer entre les mailles du filet simplement parce qu’ils ne correspondent pas au profil « type ». De plus, cette pratique porte atteinte à l’état de droit et, par le sentiment d’injustice qu’elle provoque, nuit à l’image de la police. Elle stigmatise aussi des groupes de population entiers et écarte des personnes qui pourraient collaborer avec la police dans la lutte contre la criminalité et la prévention du terrorisme. Le rapport recommande donc de remplacer le profilage ethnique par d’autres solutions telles que le profilage fondé sur le comportement individuel.

L’interpellation et la fouille d’une personne doivent obéir à des raisons objectives, mais se limiter aux cas où il existe un soupçon – raisonnable et individualisé – d’activité criminelle. La couleur de peau, la manière de s’habiller et le port apparent de signes religieux ne sont pas des raisons objectives.

En 2007, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a publié une recommandation fort pertinente intitulée « La lutte contre le racisme et la discrimination raciale dans les activités de la police »4 , dans laquelle elle recommande aux gouvernements de définir et d’interdire clairement le profilage racial dans la loi. Ces derniers devraient aussi introduire un « standard de soupçon raisonnable » selon lequel les activités de contrôle, de surveillance ou d’investigation ne peuvent être menées que sur la base d’une suspicion fondée sur des critères objectifs.

De plus, l’ECRI insiste sur la nécessité de former la police à l’utilisation de ces critères de soupçon raisonnable et propose l’idée d’un suivi des activités de police dans ce domaine, suivi qui pourrait notamment être assuré par la collecte de données ventilées en fonction de critères tels que l’origine nationale ou ethnique, la langue, la religion et la nationalité.

Ces mesures seront d’autant plus efficaces qu’elles s’inscriront dans une approche globale fondée sur une législation claire, des règles de responsabilisation, des mécanismes de recours accessibles et une mobilisation des hauts fonctionnaires de police en faveur de la mise en œuvre de procédures respectueuses des droits individuels.

Dans plusieurs pays, une action positive dans ce sens s’impose. D’ailleurs, un autre projet d’Open Society Justice Initiative, mené en 2005, a visé non seulement à mettre en évidence les problèmes pratiques mais aussi à améliorer les relations entre la police et les minorités grâce à une utilisation des pouvoirs de police plus responsable et plus efficace. De bonnes mesures pouvant servir de modèle ont été prises pour améliorer la formation des policiers ainsi que l’encadrement et le suivi des contrôles d’identité, des interpellations et des fouilles5 .

L’évaluation des méthodes utilisées lors des interpellations et des contrôles d’identité faisait partie de ce projet, qui cherchait aussi à établir si les membres de minorités subissaient des contrôles disproportionnés par rapport à l’ensemble de la population. Les données recueillies ont permis de faire un double constat : premièrement, la police se livre vraiment à des contrôles au faciès - au détriment des membres de minorités ; deuxièmement, ces derniers ne commettent pas plus d’infractions que le reste de la population.

Ce constat est important parce qu’il dément la théorie des défenseurs du profilage ethnique ou religieux qui ont affirmé à de maintes reprises que la probabilité d’être impliqué dans des affaires criminelles est plus importante chez les membres de groupes minoritaires que dans la population générale, ce qui justifierait que la police soit plus interventionniste à leur égard.

Il est évident que les contrôles disproportionnés nuisent globalement à la collectivité. Tous les groupes de la société devraient avoir de bonnes raisons de faire confiance à la police. Surtout ceux qui pourraient être la cible d’actes xénophobes, voire d’agressions motivées par la haine.

Malheureusement, lorsque les minorités ont l’impression que la police est au service de l’Etat et non de la collectivité, la méfiance s’installe.

La police devrait au contraire être la première à promouvoir l’égalité et à prévenir la discrimination raciale, à bénéficier de formations la préparant à intervenir dans une société plurielle et à recruter des agents issus de minorités.

Par les fonctions qu’il assume, un policier n’est-il pas aussi un défenseur des droits de l’homme ?

Thomas Hammarberg

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Notes:

1. Http://fra.europa.eu/eu-midis. L’enquête a été menée dans les pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Slovénie et Suède.

2. Gillan et Quinton c. Royaume-Uni (requête n° 4158/05), audience du 12 mai 2009

3. Ethnic Profiling in the European Union: Pervasive, Ineffective and Discriminatory, OSI, mai 2009

4. Recommandation de politique générale n° 11 de l’ECRI, adoptée le 29 juin 2007

5. Addressing Ethnic Profiling by Police, rapport élaboré dans le cadre du projet Strategies for Effective Police Stop and Search, soutenu par le programme AGIS 2006 et mené par l’Open Society Institute (www.justiceinitiative.org).

Strasbourg 20/07/2009
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