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Retour Les organismes internationaux de défense des droits de l'homme ont besoin d’être mieux soutenus, mais aussi de pratiquer davantage l’autocritique

Point de vue
Les gouvernements ont accepté de créer des mécanismes multilatéraux chargés de superviser et de favoriser l’application des normes internationales relatives aux droits de l'homme. Cela montre qu’ils reconnaissent que le respect de ces normes est l’affaire de tous et passe par la coopération. Il leur arrive pourtant de critiquer les mécanismes qu’ils ont eux-mêmes établis. Certaines de leurs critiques sont infondées et ne font que traduire leur embarras face à des vérités qui ne sont pas agréables à entendre. Les mécanismes internationaux de défense des droits de l'homme ne sont cependant pas sans défauts. Il est donc nécessaire de lancer un débat ouvert et constructif sur les moyens d’améliorer leur efficacité.

Un certain nombre de mécanismes de défense des droits de l'homme ont été établis depuis l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme, il y a 60 ans, dans le cadre des Nations Unies mais aussi au niveau européen. Plusieurs d’entre eux ne disposent pas de ressources suffisantes, ce qui leur rend difficile de faire un travail sérieux et professionnel. Souvent, les membres des comités et les rapporteurs ne sont même pas payés mais travaillent bénévolement. Mon propre Bureau – qui est censé apporter son assistance à pas moins de 47 pays – doit fonctionner avec un budget modeste, bien qu'en augmentation.

Il est à espérer que cela changera lorsque les gouvernements auront pris pleinement conscience de l’importance de ces différents mécanismes de protection des droits de l'homme. Cette prise de conscience n’aura lieu que si les organismes en question font de leur mieux pour prouver leur valeur et tirent les leçons des expériences passées pour améliorer leur efficacité.

L’une des leçons que les gouvernements et les organisations internationales devraient retenir, c’est que les mécanismes de protection des droits de l'homme sont plus efficaces lorsque leur indépendance est reconnue et respectée, comme c’est le cas, et je m’en réjouis, pour les mécanismes établis dans le cadre du Conseil de l'Europe. Ce constat devrait influencer la définition du mandat de ces organismes et la désignation de leurs responsables. Il souligne aussi l’importance de veiller à ce que leur mode de financement ne crée pas de dépendances.

Bien entendu, les organismes de protection des droits de l'homme doivent dépasser les stéréotypes associés aux différents pays et toujours se placer au-dessus des luttes entre partis politiques. Il est essentiel que leur impartialité soit protégée. Quant aux gouvernements, ils doivent être prêts à accepter les critiques fondées, même si elles risquent d’être utilisées par l’opposition. Ils doivent aussi accepter que les représentants internationaux soient en contact avec des groupes non gouvernementaux et écoutent ce qu’ils ont à dire.

Une autre leçon à retenir, c’est que les divers organismes de protection des droits de l'homme doivent coopérer et coordonner leurs activités. En effet, certains gouvernements éprouvent de réelles difficultés à faire face à l’afflux d’inspecteurs des droits de l'homme, à s’acquitter de leurs nombreuses obligations de rendre compte des progrès accomplis, et à transformer en mesures concrètes les recommandations qui leur sont adressées par de multiples instances.

Cette situation souligne la nécessité, pour les acteurs internationaux, de mettre leurs informations en commun, de se répartir le travail de manière rationnelle et de mener des actions coordonnées. Il faudrait éviter les chevauchements, qui sèment la confusion, et établir un principe de subsidiarité. En outre, les divers mécanismes devraient absolument veiller à ne pas diffuser de messages contradictoires.

Pour le moment règne un bon climat de coopération entre les institutions européennes de protection des droits de l'homme et avec les instances compétentes des Nations Unies. J’ai moi-même consacré beaucoup de temps à cette coordination, qui me semble très utile pour maximaliser les effets de nos actions combinées. Nous essayons généralement de travailler le plus efficacement possible en apprenant les uns des autres.

La coordination s’est également améliorée entre les mécanismes de suivi et les organismes d’assistance. Par exemple, l’Unicef analyse les observations finales du Comité des droits de l’enfant avant de concevoir ses programmes et l’Union européenne a participé au financement de certains projets qui s’inscrivaient dans le prolongement des activités de mon Bureau.

Bien que de nombreux problèmes aient pu être réglés grâce à la bonne volonté et à la coopération des différents acteurs, j’ai de sérieuses réserves sur l’intérêt de créer de nouveaux mécanismes de protection des droits de l'homme, au niveau international ou européen. Beaucoup des aspects de la défense des droits de l'homme qui ont été mis en évidence récemment peuvent en effet être traités par les structures déjà en place.

Toute analyse des institutions internationales de protection des droits de l'homme doit essentiellement viser à déterminer si elles ont un impact réel et contribuent à améliorer concrètement la situation des populations. C’est là leur objectif. Pour l’atteindre, les institutions ont besoin d’un mandat clair, de ressources suffisantes et d’une vision stratégique qui ne sous-estime pas la difficulté de la tâche ni son caractère politiquement sensible.

L’efficacité des actions menées dépend beaucoup des relations entre les acteurs internationaux et les acteurs nationaux et locaux : les pouvoirs publics, mais aussi les médias et la société civile, y compris les représentants des victimes. Etablir de telles relations n’est pas chose facile. Il faut beaucoup d’expérience pour comprendre les vrais problèmes et donner des conseils utiles.

Il ne s’agit pas seulement de décrocher des rendez-vous et de dépêcher sur le terrain les émissaires compétents, mais aussi de trouver la bonne distance. Les acteurs internationaux doivent absolument éviter de donner l’impression de « prendre la place » des autorités et des institutions nationales. Le suivi international doit consister pour l’essentiel à déterminer si un pays donné est capable d’identifier les problèmes et de prendre les mesures qui s’imposent, c'est-à-dire à « superviser les organes de suivi ». Nous devons exercer nos fonctions consultatives en nous concentrant sur des domaines stratégiques, tels que les activités des médiateurs, le fonctionnement des organisations spécialisées indépendantes et, bien sûr, le fonctionnement de la justice.

Les organisations internationales peuvent donner des conseils sur l’éducation et la formation, par exemple ; mais, ce faisant, elles doivent se garder d’empiéter sur les compétences des acteurs nationaux, qui connaissent mieux les forces et les faiblesses du système en place dans leur pays et savent mieux comment résoudre les problèmes. Il faut en finir avec cette vieille idée que les institutions internationales occupent le sommet d’une hiérarchie : bien au contraire, nous sommes au service des membres de ces institutions. Les acteurs internationaux devraient aussi s’attacher à faire connaître les méthodes qui ont donné de bons résultats dans d’autres pays.

Le temps est venu d’engager une vaste réflexion sur les moyens d’améliorer et de renforcer le système international de protection des droits de l'homme. Les principales organisations devraient créer un groupe spécialement chargé de cette évaluation. Il faudrait y associer des experts indépendants, dont des personnes ayant une expérience concrète de la protection des droits de l'homme dans leur pays, c'est-à-dire des « défenseurs des droits de l'homme ».

La réflexion pourrait s’articuler autour des questions suivantes :

• Quel est le meilleur moyen de protéger et de garantir l’indépendance et l’intégrité des mécanismes de suivi ?

• Quelles mesures est-il nécessaire de prendre pour faciliter la coordination et une répartition judicieuse du travail entre les organisations, aux différents niveaux ?

• Comment mieux adapter les conseils et l’assistance pratiques apportés à un pays en fonction des problèmes qui ont été identifiés ?

• Que faire pour que des ressources humaines et financières suffisantes soient affectées aux activités internationales de protection des droits de l'homme ?

• Quel bilan tirer des expériences d’« intégration » des droits de l'homme dans les programmes axés sur le développement ou la sécurité ? Comment poursuivre dans cette voie ?

Dans le cadre de cette évaluation, il faudrait bien entendu aussi tirer les leçons de nos réussites, car il y en a eu. Je citerai simplement quelques exemples concernant les organes de suivi du Conseil de l'Europe. J’ai constaté que des prisons avaient été reconstruites à la suite de critiques formulées par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) et que de nouvelles lois contre le racisme avaient été adoptées conformément aux recommandations de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI). Des recommandations adressées par mon prédécesseur ou par moi-même ont conduit à la fermeture de locaux de détention vétustes, à l’amélioration de procédures d’asile, à la création de postes de médiateur, à la modification de lois relatives à l’internement en établissement psychiatrique et à l’adoption de lois contre la discrimination.

En avril 2007 a été publiée une étude sur l’impact réel des mécanismes du Conseil de l'Europe pour l’amélioration du respect des droits de l'homme dans les Etats membres. Elle donne de nombreux exemples de réformes politiques ou législatives qui sont liées d’une manière ou d’une autre à des arrêts de la Cour européenne des Droits de l'Homme ou à l’action de l’ECRI, du CPT ou des mécanismes de suivi de la Charte sociale européenne ou de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. Si nous sommes tous bien conscients que les changements sont généralement le résultat d’un ensemble de facteurs, l’étude est néanmoins encourageante.

Mais pas question de nous contenter de ce qui a déjà été accompli. Bien au contraire, nous devons constamment penser à toutes ces personnes qui, à travers le monde, comptent sur nous pour faire changer les choses. Nous n’avons pas le droit de trahir leur confiance.

Thomas Hammarberg
Strasbourg 14/04/2008
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