Retour Discours devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

Strasbourg , 

Conformément au prononcé

Des temps d’incertitude

Chers amis, nous nous rencontrons en des temps d’incertitude au sein de nos nations comme sur l’ensemble de notre continent.

Un climat d’affrontement s’installe,

caractérisé par les affirmations suivantes : « j’ai raison à 100 % » et « vous avez tort à 100 % ».

La politique de compromis et de modération est mise à l’épreuve.

Ce qui nous unit, ce sont nos valeurs communes.

Elles créent une base de dialogue.

L’Etat de droit et les droits de l’homme doivent toujours guider notre action.

Cela suppose, bien sûr, de respecter la séparation des pouvoirs au sein de nos Etats membres, d’instaurer des freins et des contrepoids…

… des tribunaux indépendants…

… la liberté d’expression…

… la liberté de réunion…

… des élections libres et équitables…

Cela suppose aussi de régler les conflits de manière pacifique.

C’est écrit dans notre statut ; c’est une obligation formelle.

On ne peut pas modifier les frontières unilatéralement ou par la force.

Il faut donc que cesse la violence dans la région orientale de l’Ukraine.

Le cessez-le-feu doit être maintenu.

Le protocole de Minsk doit être appliqué dans son intégralité.

Nous devons continuer à aider l’Ukraine à construire un Etat solide et démocratique.

Ce sera, à long terme, la clé de la liberté et de l’indépendance de l’Ukraine.

Le Conseil de l’Europe a une contribution majeure à apporter en la matière.

J’ai eu un entretien avec le Président Porochenko à Auschwitz mardi dernier.

Il faut que vous sachiez combien il apprécie notre aide.

Notre Bureau de Kiev compte 35 experts.

Mon propre Représentant Spécial siège à la Verkhovna Rada.

Il prodigue quotidiennement des conseils aux parlementaires.

Nous pouvons aider l’Ukraine à élaborer une constitution qui garantisse son intégrité territoriale…

… et qui, en même temps, permette la mise en place d’un processus de décentralisation, ouvrant la voie à un règlement politique du conflit.

Notre Commission de Venise, l’organe le plus respecté au monde en matière de droit constitutionnel, peut apporter son assistance.

Notre Charte de l’autonomie locale et régionale prévoit aussi un cadre juridique pour ce processus.

La leçon à tirer de l’histoire est que les cessez-le-feu ne sont durables que lorsqu’il y a une perspective de solution politique.

Nous pouvons contribuer à la concevoir.

A Moscou aussi, nous avons des fonctionnaires sur le terrain.

Ils travaillent notamment à la mise en œuvre de réformes concernant le pouvoir judiciaire et la lutte contre la corruption.

Nous devons continuer à promouvoir l’indépendance des organisations civiles dans la Fédération de Russie.

Taxer les ONG d’agents étrangers n’est plus de mise au XXIe siècle.

Certes, le financement de ces organisations doit être pleinement transparent…

… mais, une fois que cette condition est satisfaite, ces organisations doivent être considérées comme des agents libres de la démocratie.

Je persiste à croire que d’avoir de véritables démocraties, régies par le principe de l’équilibre des pouvoirs, et des sociétés civiles dynamiques…

… est essentiel pour instaurer la confiance entre les nations.

C’est aussi vrai pour l’Ukraine et la Fédération de Russie et les relations entre les deux nations.

Ne perdons pas espoir.

Les enjeux sont trop considérables pour l’Europe.

La Liberté d’expression

Nous devons aussi continuer d’être les gardiens de la liberté d’expression, sujet qui, à l’heure actuelle, fait l’objet de nombreuses polémiques.

Cependant, nous devons toujours rester dans les limites de la loi.

Je suis de plus en plus préoccupé par la façon dont ce débat est conduit. Il devient de jour en jour plus clivant.

D’un côté, il y a ceux qui soutiennent qu’il devrait être possible de publier tout et n’importe quoi.

De l’autre côté, il y a ceux qui préféreraient que nous ne publiions rien du tout !

Or, les uns comme les autres ont tort et je souhaite que le Conseil de l’Europe soit la voix de la raison dans ce débat.

La seule façon de défendre la liberté d’expression est d’être ouvert à l’instauration de certaines limites.

Laissez-moi vous poser cette question : lorsque les Nazis obligeaient les Juifs à nettoyer les rues de Vienne avec leur brosse à dents en marchant à quatre pattes…

… et qu’ils reproduisaient ensuite leur image dans des dessins satiriques pour que tout le monde les voie…

… est-ce que ça, c’était la liberté d’expression ?

Non. Ces actes participaient de l’humiliation rituelle visant à déshumaniser les Juifs aux yeux du citoyen ordinaire.

Le citoyen ordinaire qui est ensuite devenu un exécuteur dans les camps.

Le racisme et l’incitation à la violence sont illicites. Il y a une ligne rouge à tracer.

Nous avons déjà l’Etat de droit ici, au niveau européen, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La Cour des droits de l’homme a une jurisprudence explicite qui fixe les limites.

Par conséquent, pour répondre à la menace terroriste, faites en sorte que vos nations utilisent ce cadre juridique comme guide.

Le terrorisme en Europe

C’est la question sur laquelle je veux vraiment insister aujourd’hui.

Le terrorisme et l’extrémisme violent.

Ce qui s’est produit à Paris est révoltant…

… mais ce n’est pas une première.

Il y a eu Londres, Madrid. Beslan, Utoya.

Chacun de ces événements nous rappelle que l’Europe n’est pas à l’abri de l’extrémisme violent.

Et de plus en plus, la menace vient de l’intérieur.

Vos gouvernements prennent à présent des mesures et je salue cette prise de conscience de l’urgence.

J’ai moi-même occupé des fonctions gouvernementales et je comprends la nécessité de donner des réponses à la population qui est saisie de peur.

Cependant, mon message aujourd’hui est le suivant :

Oui, nous devons agir vite mais nous devons continuer à agir ensemble.

Nous ne pouvons pas nous permettre des lacunes ou des contradictions dans notre approche sur ce continent.

En Europe, notre sécurité à tous n’est jamais que celle de l’Etat le moins sûr.

Certes, nous devons protéger les citoyens de la violence mais nous devons aussi sauvegarder leur liberté.

Lorsque le monde a riposté à Al-Qaïda et à l’attentat contre les tours jumelles…

… nous avons vu avec quelle rapidité la liberté pouvait être sacrifiée si la sécurité se trouvait menacée.

Nous devons apporter une réponse internationale déterminée…

… en conformité avec nos valeurs partagées et nos engagements aux termes de la Convention européenne des droits de l’homme…

… et je tiens à ce que le Conseil de l’Europe contribue à montrer la voie.

La Convention pour la prévention du terrorisme

Nous l’avons déjà fait par le passé.

Plusieurs des meilleurs instruments juridiques au monde conçus pour lutter contre le terrorisme moderne ont vu le jour ici.

La plupart des gens ne le savent pas.

Après le 11 septembre, cette Assemblée a été parmi les premières à affirmer : « Il faut faire davantage ».

Nous avons négocié alors notre Convention pour la prévention du terrorisme.

Pour la toute première fois ont été élaborées des normes internationales érigeant en infraction pénale le recrutement et la formation de terroristes.

Et, ce qui est capital, la provocation publique à des fins de terrorisme, en d’autres termes l’incitation indirecte au terrorisme, a aussi été érigée en infraction pénale.

C’est la mesure que personne n’avait prise jusque-là.

Car comment décider où s’arrête la liberté d’expression…

… et où commence l’incitation à faire le mal ?

Pourtant, nous sommes parvenus à définir une position juridique commune.

En quelques mois, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté une résolution s’inspirant de notre Convention.

L’OSCE a suivi.

Puis l’Organisation des Etats américains.

Un an plus tard, l’Union européenne a inclus notre énoncé dans son plan de lutte contre le terrorisme.

Face à une menace terroriste inédite, nous avons trouvé une réponse mondiale.

Par conséquent, aux Etats membres qui n’ont toujours pas ratifié notre Convention…

je demande instamment aujourd’hui de le faire.

Il ne doit y avoir aucune faille ;

aucune lacune que les terroristes pourraient exploiter.

Les Combattants étrangers

Adoptons aussi une stratégie collective face aux nouvelles menaces.

Un terrorisme indigène. Des combattants étrangers. Des touristes du terrorisme.

La Syrie a changé la donne à cet égard.

En septembre, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la Résolution 2178 condamnant à l’unanimité l’extrémisme violent…

… et soulignant la nécessité d’empêcher que les combattants terroristes étrangers se déplacent et bénéficient de soutiens.

Cependant, c’est une question extrêmement délicate, bien sûr.

Le principe fondamental du droit, c’est que toute personne est présumée innocente tant que la preuve de sa culpabilité n’a pas été apportée.

Que faire face à l’intention de commettre un acte terroriste ?

Quelles normes spécifiques les gouvernements nationaux peuvent-ils appliquer ?

Pour vous apporter une réponse à ces questions, le Conseil de l’Europe va élaborer un protocole additionnel à notre Convention…

… et, du reste, c’est une chose que Jean-Paul Laborde, éminent juge français et chef de la Direction exécutive du Comité onusien contre le terrorisme, nous a également demandé de faire. Les Nations Unies ont de nouveau besoin de notre aide.

Dans ce Protocole, nous suggérerons des moyens de coopération entre Etats pour empêcher des terroristes en puissance de voyager à l’étranger.

En outre, nous devons nous pencher sur un dilemme encore plus difficile à résoudre :

Que faire quand ils reviennent ?

Les citoyens ne peuvent pas être rendus apatrides, juste comme ça. C’est une protection importante.

Pourtant, les Etats doivent, naturellement, pouvoir traiter la question des combattants étrangers de retour au pays.

Nous travaillons aussi vite que possible pour vous apporter une solution juridique claire.

Le Comité des Ministres a fixé une échéance pour ce faire, affirmant que le Protocole additionnel devait être prêt pour la réunion ministérielle prévue en mai prochain.

Nous travaillons donc rapidement ; nous devons le faire.

La Prévention

Nous intensifions aussi notre action en matière de prévention de la radicalisation.

Les jeunes gens et jeunes filles qui se rendent en Syrie ne partent pas tous transformés en soldats aguerris.

Ils partent pour des raisons qui leur sont propres.

Parfois, ils sont recrutés sur l’Internet ou dans les prisons.

Par conséquent, le Conseil de l’Europe réunira des directeurs d’établissements pénitentiaires et de services de probation de l’ensemble du continent...

… de manière à ce que nous puissions soutenir leurs efforts pour faire pièce à la radicalisation.

Je souhaite que nous rassemblions les gouvernements et les sociétés de l’Internet…

… pour convenir de mesures destinées à s’attaquer au discours de haine en ligne tout en continuant à défendre la liberté d’expression.

Je souhaite que nous réunissions les ministres européens de l’Education…

… pour lesquels nous établirons une série de compétences en matière de citoyenneté démocratique.

Cela signifie que nous élaborerons des normes et des critères concrets pour former les jeunes à leurs responsabilités civiques,…

… leur transmettre des aptitudes interculturelles et leur dispenser un enseignement sur la religion.

Vous pourrez ensuite adapter cet enseignement dans vos établissements scolaires.

Nous rassemblerons également des personnalités de premier plan pour nourrir le débat sur l’extrémisme.

Pour expliquer comment la religion est exploitée par les extrémistes.

Je salue les nombreux groupes confessionnels qui ont condamné, de tout leur cœur, les attentats perpétrés sur le sol européen ces dernières années.

A présent, il faut que cela soit écrit noir sur blanc, en un lieu unique…

… de sorte que chaque membre de la société civile puisse dire : « regardez, c’est là : le terrorisme n’a pas de religion ». Un point c’est tout.

Le long terme : construire des sociétés démocratiques

Nous partageons ce sentiment d’urgence que vous éprouvez au sein de vos parlements.

Et nous considérons qu’à long terme, la seule réponse est de s’attaquer aux conditions sociales qui constituent le terreau de l’extrémisme.

Permettez-moi, par conséquent, de conclure mon intervention en citant un document extrêmement important dont la rédaction est, à l’heure actuelle, presque achevée.

En avril, je publierai mon deuxième rapport annuel :

« La situation des droits de l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit en Europe : Une responsabilité partagée pour la sécurité démocratique en Europe ».

Ce rapport examinera comment les nations européennes peuvent garantir au mieux la sécurité de leurs citoyens par leur engagement en faveur des normes démocratiques.

Il fournira à vos gouvernements une mesure à l’aune de laquelle procéder à une évaluation de votre action et adopter une approche cohérente.

Je peux, d’ores et déjà, vous dire que nos conclusions ne seront pas exactement celles que vous attendez.

Les tendances qui menacent notre sécurité démocratique viennent de toute l’Europe et aucun Etat ne peut faire montre d’autosatisfaction.

Par conséquent, chers amis, renouvelons notre engagement à travailler ensemble.

Les événements tragiques qui ont marqué le début de l’année nous ont lancé un défi très clair.

L’émotion est vive, les menaces sont réelles et des voix de plus en plus fortes s’élèvent pour réclamer des réponses.

Nous devons donc réagir avec rapidité et efficacité…

… mais nous devons maintenir avec fermeté nos valeurs et nos lois et rester unis.

C’est ainsi, in fine, que nous pourrons assurer la sécurité de nos concitoyens.

Je vous remercie de votre attention.