2007 - Carnet des droits de l'homme

Retour Etre très à l’écoute du point de vue des enfants

Point de vue
La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant a rencontré un énorme succès. Outre sa ratification par l’intégralité des pays du globe, à l’exception des Etats-Unis et de la Somalie, elle a joué un rôle de catalyseur pour toute une série d’actions concrètes visant à mettre véritablement en œuvre les normes adoptées. Il reste toutefois bien des mesures supplémentaires à prendre dans plusieurs domaines pour que les enfants puissent jouir pleinement de leurs droits. Il existe un droit qui ne leur est pas garanti dans la pratique : celui de voir leur point de vue pris en compte.

Le principal enseignement de l’auteur polonais Janusz Korczak, médecin et éducateur dont les écrits ont inspiré les auteurs de la Convention des Nations Unies, soulignait l’importance du respect des enfants et de leur avis.

Au cours de la deuxième guerre mondiale, au sein d’un orphelinat du Ghetto de Varsovie, celui-ci avait véritablement mis en pratique en compagnie de ses collègues et de quelque 190 pensionnaires l’exercice des droit de l’enfant. Ils avaient ainsi instauré, au cœur de l’horreur brutale qui régnait autour d’eux, une petite démocratie. Chaque décision importante était prise par l’assemblée qu’ils formaient tous ensemble. Ils adoptaient eux-mêmes leurs règles de conduite, tandis que les auteurs d’infractions étaient jugés par un tribunal, la peine infligée se limitant la plupart du temps à demander pardon. Un panneau d’affichage permettait de porter les messages à leur connaissance et un journal leur offrait un support d’information et de débat.

Cette expérience de démocratie enfantine a connu une fin tragique le 6 août 1942, lorsque les soldats nazi les tous ont emmenés jusqu’au train qui les a conduit à la chambre à gaz de Treblinka.

L’exemple et les écrits de Korczak ne sont toutefois pas tombés dans l’oubli. Ses ouvrages sont toujours réédités en plusieurs langues et continuent à exercer une grande influence. Toutefois, certaines de ses idées sont encore jugées irréalistes ou quelque peu futuristes.

Ce jugement semble s’appliquer tout autant à la disposition de la Convention des Nations Unies qui traite du point de vue des enfants :

« Les Etats parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. »

Cette disposition est très certainement l’élément le moins mis en œuvre de la Convention. Les Etats parties ne paraissent pas pleinement conscients du fait que l’article 12 leur fait obligation de veiller à demander leur avis aux enfants et à le prendre en considération pour toutes les questions qui ont une incidence sur leur existence.

Il est temps de relever ce défi de manière plus concrète. La teneur et les conséquences du droit de l’enfant à être entendu et à participer à la prise de décision sont à l’évidence imprécises. Aussi convient-il, pour commencer, d’expliquer bien clairement, en des termes plus concrets et plus substantiels, les buts et les normes de l’exercice de ce droit.

Sa mise en œuvre exige la définition d’objectifs et de stratégies à court et long terme, qui visent à modifier les comportements sociaux et à élaborer des modèles viables de participation des enfants et des adolescents à la prise de décisions politiques et sociétales. Il est par ailleurs indispensable de mettre en place, au sein des instances politiques, des mécanismes qui garantissent la consultation systématique des enfants et une véritable prise en compte de leur point de vue.

Le but de cette démarche devrait être d’instaurer une culture dans laquelle les adultes seraient plus à l’écoute du point de vue des enfants et le respecteraient davantage. Cette perspective semble malheureusement ressentie par bien des adultes comme une menace. A leurs yeux, accorder de l’influence aux enfants ne présente aucun avantage ; ils envisagent en effet la situation selon un rapport de force où la victoire d’un camp suppose la défaite de l’autre. En d’autres termes, ces adultes considèrent que le pouvoir conféré aux enfants amoindriraient le leur et nuirait à leur autorité au sein de la famille ou au maintien de la discipline à l’école.

Dans certains pays, les adultes se sont farouchement opposés à la participation des enfants, en vertu des droits des parents ou au nom de principes religieux. Il faudra probablement du temps pour modifier une telle attitude patriarcale, profondément enracinée, à l’égard des enfants.

Comment soulever cette question de manière constructive ? Comment démontrer qu’il n’existe aucune contradiction entre, d’une part, la possibilité donnée aux enfants d’influer sur leur propre existence et sur la société et, d’autre part, la préservation du rôle dévolu aux adultes : prendre soin des enfants, les guider et les protéger ? Comment faire pour qu’apparaisse comme une évidence qu’il n’y a ici ni vainqueur ni vaincu, mais que les uns et les autres ont tout à gagner à voir les adultes apprendre à épauler les enfants dans l’exercice de leurs droits ?

Voici quelques idées de mesures à prendre dans un premier temps :

1. Le principal espace d’expression des enfants est leur foyer. Sensibiliser les parents et les personnes qui prennent soin des enfants au droit de ces derniers à être entendus, tout en leur permettant d’assumer leur rôle de parents à cet égard, doit être une priorité.

2. L’école et le jardin d’enfant représentent deux autres espaces privilégiés. L’apprentissage interactif, les programmes scolaires pertinents, ainsi que les comportements et les modes de fonctionnement démocratiques, sont déterminants. Il importe qu’ils renforcent avant tout la capacité des enfants à s’exprimer, à se familiariser avec les processus démocratiques et à mieux comprendre la société et les difficultés qu’elle rencontre. Il reste encore une énorme tâche à accomplir : donner aux enseignants et au personnel enseignant les moyens d’être à l’écoute des enfants, de renforcer le dialogue et de favoriser le règlement démocratique des conflits.

3. L’action des organisations de protection de l’enfance qui plaident en faveur de l’exercice des droits de l’enfant pourrait être favorisée, tandis que les autres ONG qui exercent une activité en rapport avec les enfants ou à leur profit, comme les clubs sportifs et les associations caritatives, seraient encouragés à être à l’écoute des enfants et à respecter leur point de vue.

4. Il convient d’inciter les partis politiques à se montrer plus à même de prendre en considération l’avis des enfants et de donner à ces derniers plus de poids en politique.

5. Il importe que la télévision et la radio offrent une présentation de l’actualité adaptée aux enfants et veillent à ce que leur point de vue y soit exprimé sur des sujets qui présentent un intérêt particulier pour eux. Il pourrait exister, à terme, des correspondants spécialisés dans les questions de l’enfance et des enfants « journalistes ».

6. Le système judiciaire doit être rendu plus abordable aux enfants. Il convient d’apporter des ajustements aux procédures des tribunaux, de façon à les adapter aux besoins des enfants, qu’ils soient auteurs de délits, victimes ou témoins. Il faudrait octroyer aux enfants une influence sur les décisions administratives ou judiciaires sur des sujets qui les touchent, tels que la garde ou l’adoption.

7. Il appartient aux gouvernements de recenser les questions recenser les questions publiques essentielles qui ont une grande incidence sur l’existence des enfants et sur lesquelles ils devraient par conséquent se prononcer (par exemple les politiques familiales, l’aménagement des équipements collectifs, les politiques scolaires, et les services de santé et de loisirs qui leur sont destinés. Il doivent répertorier systématiquement les méthodes constructives de prise en compte de l’avis des enfants, tout en veillant à ce que celui-ci soit représentatif et pertinent. Les modes et les canaux d’expression adaptés aux différents groupes d’âge, y compris aux jeunes enfants, doivent être explorés (par exemple dialogue avec les enfants d’âge préscolaire, comités des délégués de classe, sondages, représentants des jeunes et autres). Enfin, il faudrait prendre des mesures visant tout spécialement à permettre aux enfants handicapés ou aux autres groupes défavorisés d’être mieux entendus et réfléchir au moyen de surmonter d’éventuelles contraintes.

Ces mesures seraient conformes à l’esprit de Janusz Korczak. Permettre aux enfants de s’exprimer et de voir leur point de vue entendu et respecté à la maison, à l’école et au sein de la collectivité dès leur plus jeune âge renforcera leur sentiment d’appartenance à la communauté et leur empressement à prendre leurs responsabilités.

Thomas Hammarberg
Strasbourg 19/11/2007
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