2007 - Carnet des droits de l'homme

Retour La nouvelle politique européenne des migrations devra être fondée sur les principes des droits de l’homme, et non sur la xénophobie

Point de vue

La tendance démographique en Europe donne un message précis : le continent vieillissant a besoin d’immigrés en plus grand nombre. Pourtant, les partis xénophobes ont renforcé ou maintenu la fermeté de leur position, lors des élections récentes. Parallèlement, – plutôt que d’expliquer les faits et défendre le droit des immigrants – certains des partis traditionnels ont repris les slogans des extrémistes et légitimé ainsi le jargon xénophobe. Les expressions comme « s’ils n’aiment pas notre pays, qu’ils s’en aillent » ont été répétées sur la place publique. On ne peut que le déplorer.

Une telle atmosphère est humiliante pour tous les étrangers, y compris les véritables réfugiés, voire les citoyens d’origine étrangère. Toutefois, les principales personnes visées sont les migrants irréguliers, ceux qui séjournent dans le pays sans autorisation. Des décisions sont prises pour intensifier les efforts visant à les rassembler et les expulser.

Chaque Etat a bien évidemment le droit et le devoir de garder le contrôle de ses frontières et de savoir qui est présent sur son territoire. Les migrations irrégulières peuvent poser des problèmes au pays concerné, mais également engendrer des difficultés pour les nombreux migrants qui sont exploités, notamment les victimes de la traite des êtres humains. La difficulté pour l’Etat est de trouver un équilibre approprié entre la protection des droits de ceux qui se trouvent à l’intérieur de ses frontières et le maintien du contrôle de ces dernières.

Il ne s’agit pas là d’un problème mineur. Bien que, pour des raisons évidentes, on ne dispose pas de statistiques précises, on estime à 5,5 millions le nombre de migrants irréguliers au sein de l’Union européenne, sans parler de ceux qui se trouvent dans d’autres parties de l’Europe. Pour la Fédération de Russie, leur nombre est évalué à 8 millions.

Les migrants irréguliers peuvent avoir pénétré sur le territoire du pays hôte de façon illégale, sans visa valide, en évitant les contrôles aux frontières ou en utilisant de faux documents. Il y a également ceux qui entrent légalement, mais restent au delà de l’expiration de leur visa ; il s’agit probablement du cas le plus fréquent chez les migrants irréguliers, notamment les victimes de la traite des êtres humains. Les migrants peuvent également entrer avec un visa de tourisme, puis trouver un travail.

Pour que la politique des migrations soit humaine, il nous faut mieux connaître la situation actuelle des migrants irréguliers et rechercher d’autres moyens de les protéger. Les programmes nationaux contre la traite des êtres humains prévoient certaines mesures qui vont dans ce sens. Dans de nombreux pays, les victimes, lorsqu’elles sont identifiables, sont maintenant traitées avec respect et se voient accorder une protection et parfois même un permis de séjour, du moins pour une période limitée.

Il faut absolument reconnaître le fait que les migrants irréguliers ont effectivement des droits, même si leur droit de séjour n’est pas protégé. De fait, la plupart des droits de l’homme s’appliquent indifféremment aux citoyens et aux étrangers. Les principes d’égalité et de non discrimination impliquent que les distinctions entre les groupes ne soient admissibles que lorsqu’elles sont prescrites par la loi, ont un but légitime et sont parfaitement proportionnées à ce but.

La convention des Nations Unies sur les droits des enfants s’applique également aux enfants migrants, notamment ceux qui se sont vus refuser un permis de séjour. Ainsi, par exemple, il est du devoir de l’Etat de garantir le droit des enfants aux soins de santé et à l’éducation.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a souligné la nécessité de préciser les droits applicables aux migrants irréguliers. Se fondant sur la Convention européenne des Droits de l’Homme et les autres traités pertinents, elle a mis en avant certains droits tels que le droit à l’enseignement primaire et secondaire pour les enfants, le droit aux soins d’urgence, le droit à des conditions de travail raisonnables, le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit à l’égalité, le droit de demander asile et d’être protégé du refoulement (retour forcé vers un lieu où la vie ou la liberté de l’individu concerné pourraient être menacées) et le droit à un recours effectif avant l’expulsion.(1)

Quoi qu’il en soit, même si les migrants irréguliers bénéficient officiellement de tels droits, leur statut incertain les rend plus vulnérables à la violation de ces derniers. En réalité, lorsque cette violation est le fait d’un fonctionnaire, d’un employeur ou d’un propriétaire bailleur, ils ne sont le plus souvent pas en mesure de faire valoir leurs droits. L’exploitation est chose courante. Tel est le problème auquel les gouvernements européens n’ont pas encore accordé une priorité suffisante.

Une autre vérité doit maintenant être reconnue : une grande proportion des migrants irréguliers resteront en Europe et ne seront – ou ne pourront être – renvoyés dans leur pays d’origine. Dans certains cas, ce fait tient à ce que l’expulsion constituerait un refoulement, lequel est interdit par le droit international. Dans d’autres cas, l’expulsion ne serait pas réaliste, car la nationalité ou l’identité est incertaine, ou parce que le pays d’origine présumé refuse de coopérer. Dans d’autres cas encore, il s’agit de migrants apatrides qui n’ont donc pas de pays où retourner.

Ceci soulève la question de la régularisation – décision du gouvernement de légaliser la présence de certains migrants irréguliers. Une telle mesure n’implique pas un renoncement quelconque à la souveraineté nationale de l’Etat, ni à son droit de contrôle des frontières nationales. C’est un acte volontaire, comparable à l’amnistie, par lequel l’Etat décide délibérément de fermer les yeux sur la violation des règles d’immigration dans des cas limités et spécifiques.

Il s’agit là d’une question controversée que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a néanmoins eu le mérite de soulever.(2) Je recommande aux Etats membres d’écouter ce signal et d’envisager sérieusement de tels programmes de régularisation, afin de protéger la dignité et les droits individuels de personnes qui constituent un groupe particulièrement vulnérable.

Comme dans de nombreux autres domaines, l’Union européenne devient un partenaire clé en matière de politique des migrations. Je me suis récemment entretenu de cette question avec le Vice Président de la Commission européenne, M. Franco Frattini. Celui ci propose pour l’UE une politique d’ensemble, qui prévoirait une amélioration des contrôles aux frontières, découragerait le travail clandestin dans les pays de l’Union et, parallèlement, définirait des procédures d’admission communes et renforcerait la politique d’intégration. Il propose également d’accroître l’aide au développement en direction des pays d’origine.

Des mesures en vue d’un contrôle plus strict des frontières ont déjà été prises dans le cadre du renforcement de l’Agence européenne chargée des frontières (FRONTEX) et de la mise en place des Equipes d’intervention rapide pour les frontières extérieures (RABIT). Une coopération entre l’UE et le Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés a été engagée en vue de garantir dans les opérations relatives aux frontières le plein respect des normes internationales de protection, y compris le droit de demander asile.

Il est tout particulièrement urgent que le devoir de porter secours aux personnes en mer soit respecté par toutes les parties. En outre, il est fondamental que le principe de non refoulement soit garanti de façon à ce que personne ne soit contraint à se trouver à nouveau en situation de persécution ou de torture.

Monsieur le Vice Président Frattini devrait être félicité pour avoir essayé de pousser les gouvernements à une plus grande coopération : une politique européenne commune des migrations est en effet indispensable. Il importe également que les mesures prises en ce sens soient coordonnées avec les pays concernés extérieurs à l’Union ; le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire devraient être considérés comme des partenaires importants. L’objectif est de parvenir à une politique fondée sur les faits et les droits de l’homme, et non sur la xénophobie.

Thomas Hammarberg

Strasbourg 17/12/2007
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