Le carnet des droits humains de la Commissaire

Retour Des centaines de milliers d’apatrides en Europe ont besoin d’une protection supplémentaire

Le carnet des droits de l'homme

Avoir une nationalité est un droit fondamental – si fondamental qu’il équivaut à « un droit d’avoir des droits ». La tragédie des personnes dépourvues de nationalité a attiré l’attention de la communauté internationale après la Seconde Guerre mondiale et un premier traité fut signé à l’ONU en 1954 sur le statut des apatrides suivi en 1961 par une autre convention sur la réduction des cas d’apatridie. Cependant, aujourd’hui encore, un demi-siècle après un de ces accords, de nombreuses personnes n’ont pas de nationalité. Même dans l'Europe qui vit relativement en paix, elles se comptent par centaines de milliers ; selon les estimations du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), elles seraient pas moins de 589 000.

Certains apatrides sont des réfugiés ou des migrants, qui ont quitté leur pays. D’autres vivent dans leur pays d’origine sans pour autant y être reconnus comme citoyens. Le sort des apatrides, dont le nombre est estimé à 12 millions dans le monde, a suscité peu d’intérêt ces dernières années et semble être généralement mal compris.

Pas de droits sans papiers

Les apatrides sont souvent marginalisés. Sans certificat de naissance, carte d’identité, passeport ou autres documents, ils risquent de ne pas avoir accès à l’éducation, aux soins de santé, à l’aide sociale et au droit de vote. Une personne apatride ne peut pas toujours se déplacer ou travailler légalement.

De ce fait, les apatrides se heurtent à des inégalités et à la discrimination, sans parler du risque élevé d’être pris pour des clandestins. L’organisation Equal Rights Trust (ERT) a récemment décrit cette situation dramatique dans son rapport Unravelling Anomaly: Detention, Discrimination and the Protection Needs of Stateless Persons.

Sous l’effet des changements politiques intervenus en Europe après 1989, le nombre d’apatrides a augmenté, en particulier parmi les minorités nationales. L’éclatement de l’Union soviétique, de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie a causé des difficultés inouïes à des personnes que les nouveaux gouvernements ont considérées comme venant d’ailleurs, alors même qu’elles vivaient là depuis de nombreuses années.

Un problème majeur en Europe

En Lettonie et en Estonie, beaucoup de résidents demeurent des non-citoyens, même si le nombre de personnes s’étant vu attribuer la pleine citoyenneté s’est accru ces dernières années et si d’autres ont obtenu des papiers d’identité qui leur permettent de se déplacer et de travailler plus facilement. Les non-citoyens, y compris ceux qui sont nés dans le pays, n’ont toujours pas le droit de voter aux élections nationales.

En Europe, un grand nombre des apatrides sont des Roms, notamment dans les pays de l’ex-Yougoslavie. Certains ont quitté cette région pour d’autres parties de l’Europe, mais se trouvent dans une situation d’apatridie de fait car ils n’ont pas de documents personnels, et vivent dans l’insécurité juridique. En Italie par exemple, ils sont environ 15 000 dans ce cas. L’exclusion et la marginalisation dont les Roms sont déjà victimes sont aggravées par l’absence d’une nationalité effective.

Respecter les règles en vigueur

Les enfants ne devraient pas être privés de leur droit à une nationalité au seul motif que leurs parents sont apatrides. Le pays d’accueil est tenu de ne pas laisser les enfants sans nationalité. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques disposent que les enfants ont le droit d’acquérir une nationalité. Les enfants qui, sinon, seraient apatrides devraient se voir attribuer la nationalité du pays d’accueil.

Le Conseil de l’Europe a adopté deux traités particulièrement utiles en matière de nationalité et d’apatridie, qui fixent un cadre fondé sur les droits, mais ils n’ont pas été largement ratifiés. Jusqu’à présent, seuls 20 Etats membres du Conseil de l’Europe ont ratifié la Convention européenne de 1997 sur la nationalité, et 5 la Convention de 2006 sur la prévention des cas d’apatridie en relation avec la succession d’Etats. Tous les Etats membres devraient signer et ratifier ces conventions ainsi que les deux traités de l'ONU. Il est crucial que les Etats s’engagent juridiquement à respecter ces standards.

L’importance du sentiment d’appartenance

Ne pas avoir de nationalité, c’est être marginalisé, ne pas trouver sa place. De nombreux apatrides ne peuvent guère se faire entendre et sont souvent réduits au silence par la peur de la discrimination. Il est essentiel que les gouvernements, les ombudsmans, les associations nationales de défense des droits de l’homme et les organisations non gouvernementales se mobilisent en faveur de leurs droits.

Thomas Hammarberg

Strasbourg 02/08/2011
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