2007 - Carnet des droits de l'homme

Retour Personne ne devrait être réduit à l'état de sans abri – disposer d'un logement décent est un droit

Point de vue
Toutes les villes de notre continent ont une population de sans abri, souvent en mauvaise santé. On peut voir ces S.D.F. passant la nuit sous un pont ou sur le banc d'un parc. Ils sont la preuve vivante de l'échec de la politique sociale. Moins visibles sont les conditions de logement extrêmement rudimentaires de nombreux migrants et demandeurs d'asile dont certains sont exploités à fond par des logeurs sans vergogne ; sont occultés aussi la tragédie des personnes âgées qui n'ont pas les moyens de rester dans leur appartement ancien à cause de l'augmentation du loyer et des impôts ou encore le désespoir des familles des ex pays communistes dont le bail précaire n'a toujours pas été transformé en droit de propriété. L'heure est venue d'avoir un débat sérieux sur le droit au logement dans toute l'Europe.

Les Roms et les Gens du voyage constituent l'un des groupes vulnérables. Ils restent surreprésentés parmi les personnes sans domicile et celles qui vivent dans des logements déplorables. Dans plusieurs pays européens, des familles roms ont été expulsées après avoir reçu un préavis très court et même, dans certains cas, sans avoir été prévenues du tout et sans se voir offrir une véritable solution de rechange ou une chance de déposer un recours contre cette décision d'expulsion.

Parmi les migrants, les personnes sans papiers sont particulièrement menacées car leur situation irrégulière vis à vis des autorités peut être exploitée sur le marché du logement.

Les membres les plus pauvres des communautés de réfugiés ont tendance à être désavantagés en matière de logement. J'ai rencontré récemment des réfugiés originaires d'Azerbaïdjan et d'Arménie qui, au bout d'une quinzaine d'années, vivent toujours dans des conditions insalubres et extrêmement rudimentaires (les gouvernements azerbaïdjanais et arménien ont promis tous deux de régler ce problème dans un proche avenir).

Les personnes handicapées ont des besoins particuliers en matière de logement. La politique de désinstitutionnalisation et, par voie de conséquence, la tendance des personnes handicapées à vivre de plus en plus au sein de la société ont renforcé la nécessité de leur offrir un logement accessible et sûr, à un prix abordable. Nombre d'entre elles, cependant, continuent de vivre dans des établissements au confort sommaire, où elles se trouvent dans l'incapacité de s'épanouir.

Les victimes de violences domestiques, notamment les femmes accompagnées de leur(s) enfant(s), ont souvent besoin d'un logement hors de leur foyer pour se mettre à l'abri d'une relation abusive.

Cependant l'accès à un logement décent n'est pas seulement une préoccupation pour les minorités et les groupes les plus vulnérables. L'insécurité sur le marché du logement peut aussi avoir de lourdes conséquences sur des catégories plus larges. L'évolution du marché peut s'avérer cruelle pour les personnes aux moyens modestes et des programmes d'embellissement urbain sont parfois mis en œuvre sans grand respect pour les locataires des habitations de la zone ciblée.

La raréfaction des logements sociaux contraint aussi de nombreuses personnes à faibles revenus à prendre une location coûteuse ou à contracter un prêt hypothécaire à taux d'intérêt élevé. Dans ces cas là, les revenus restants après déduction des dépenses de logement ne sont souvent pas suffisants pour couvrir les autres frais de subsistance indispensables.

Les mauvaises conditions de logement tendent à entraver le recours aux services de première nécessité, portant ainsi atteinte aux droits à l'éducation, aux soins de santé et à l'emploi. La situation peut créer un cercle vicieux de dénuement et perpétuer aussi un système de ségrégation spatiale et sociale, susceptible d'engendrer des inégalités durables qui sont particulièrement difficiles à corriger.

La première mesure à prendre consiste à reconnaître que de disposer d'un logement décent est bel et bien un droit de l'homme universel. Ce principe est précisé dans les traités internationaux consacrés comme la charte sociale européenne révisée et le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le fait que le logement est de plus en plus privatisé et, par conséquent, soumis aux lois du marché ne signifie pas que les gouvernements sont dispensés de leur obligation de protéger les droits des individus.

Cette obligation n'implique pas, bien sûr, que les gouvernements doivent construire des habitations pour l'ensemble de la population ou fournir gratuitement un logement à tout un chacun. Ce serait totalement irréaliste et là n'est pas la question. Ce droit de l'homme suppose de prendre des mesures concrètes pour éviter qu'il y ait des sans abri, pour interdire les expulsions arbitraires et forcées et garantir des normes minimales de conditions de vie comme l'accès à l'eau potable et aux sanitaires. Il faut empêcher toutes les formes de discrimination en matière de logement.

De telles mesures sont, à juste titre, jugées suffisamment importantes pour être définies comme des obligations contraignantes ; elles sont particulièrement exigeantes en termes de moyens financiers et peuvent être prises à condition que soit instaurée une politique précise d'amélioration progressive.

La charte sociale européenne révisée définit plus précisément le cadre des mesures qu'un gouvernement doit prendre pour garantir :
• l'accès à un logement convenable et à prix abordable ;
• la réduction du nombre de sans abri et la mise en place de politiques du logement axées sur tous les groupes défavorisés ;
• des procédures pour limiter les expulsions forcées afin de garantir la jouissance durable d'un logement ;
• l'égalité d'accès pour les migrants à un logement social et aux allocations de logement ;
• la construction de logements et le versement d'allocations de logement en fonction des besoins de la famille.

La charte souligne également que l'exercice du droit à un logement convenable doit être garanti sans discrimination pour quelque raison que ce soit.

Ces obligations soulignent la nécessité pour les gouvernements d'élaborer, en matière de logement, une stratégie précise définissant les objectifs, les priorités et le coût. Une telle stratégie doit aller de pair avec une législation nationale solide.

Les dispositions constitutionnelles doivent s'accompagner de lois et règlements ordinaires qui énoncent clairement les devoirs des autorités locales et nationales. Le droit à un logement convenable doit être opposable devant les tribunaux afin que toute personne puisse exercer un recours si elle n'a pas accès à un logement décent.

L'évolution récente de la législation en Ecosse et en France représente de bons exemples à suivre dans le domaine du droit au logement. La loi écossaise de 2003 sur l'état de sans abri oblige les pouvoirs locaux à fournir un logement permanent aux personnes qui ont des besoins prioritaires et un logement temporaire aux personnes sans besoins prioritaires. En 2012, les besoins prioritaires cesseront d'être un critère utilisé par les pouvoirs publics pour limiter le nombre de logements qu'ils sont tenus de mettre à la disposition de la population. Toute personne peut déposer plainte devant les tribunaux si ses besoins en matière de logement ne sont pas satisfaits.

La loi française de 2007 sur le droit au logement oblige l'Etat à garantir le droit au logement. Les besoins prioritaires sont définis dans la loi et un système de réclamation à deux niveaux est prévu. Les commissions régionales de médiation constituent la première instance, après quoi l'affaire est portée devant les tribunaux administratifs.

Les gouvernements devraient, en outre, reconnaître que leurs politiques économiques et sociales générales influent sur le droit au logement. Les politiques nationales en la matière peuvent être appliquées pour contrôler la spéculation foncière et immobilière lorsque celle ci empêche la jouissance du droit au logement. Il faut aussi, en matière d'habitat, donner à la population le choix entre plusieurs formules, outre la possession d'un logement, afin de répondre aux besoins de mobilité professionnelle. L'action positive en faveur des groupes vulnérables est nécessaire et justifiée lorsqu'elle est proportionnée à un but légitime.

Un programme minimum pour une stratégie du logement fondée sur les droits doit inclure les points suivants :
• les lois nationales devraient détailler les droits relatifs au logement et désigner les responsables de leur mise en œuvre aux différents échelons. Il faudrait définir clairement les normes minimales pour un logement convenable et pour l'hébergement d'urgence.
• la législation antidiscrimination devrait englober les droits afférents au logement sur le marché tant public que privé.
• il faudrait prendre des mesures positives en faveur des groupes défavorisés.
• chacun devrait pouvoir exercer un recours effectif contre toute discrimination ou violation des droits en matière de logement. Le droit à un logement convenable devrait être opposable devant les tribunaux.
• les personnes locataires d'un logement du parc immobilier privé et celles qui ont contracté un prêt hypothécaire pour un bien immobilier devraient bénéficier d'une protection juridique adéquate et effective, en qualité notamment de consommateur.
• l'exercice des droits en matière de logement devrait faire l'objet d'un suivi aux niveaux national et international. Les médiateurs et les instituts des droits de l'homme ont un rôle à jouer dans ce processus.

Thomas Hammarberg
Strasbourg 29/10/2007
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