2006 - Carnet des droits de l'homme

Retour La xénophobie : une face honteuse de l’Europe

Point de vue
La xénophobie est aujourd’hui un problème grave dans toutes les régions d’Europe. Les partis d’extrême droite qui prônent la haine des immigrés et des minorités sont représentés dans plusieurs parlements nationaux. Ils ont aussi une influence sur la politique de certains gouvernements. Il est par ailleurs regrettable que certains partis politiques aient revu leur position afin d’attirer des électeurs des partis extrémistes, car cela a conduit à une certaine « normalisation » des positions xénophobes, tandis que persistent les discriminations, les tensions intercommunautaires et la ségrégation.

Les immigrés, les demandeurs d’asile et les minorités sont continuellement victimes de discrimination sur le marché du logement, et notamment les familles roms, comme l’indique le rapport annuel récemment publié par l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC). Les journaux de certains pays continuent de publier des annonces rejetant explicitement les « étrangers ».

En outre, l’EUMC dénonce la ségrégation à l’école, qui touche particulièrement les enfants roms. Le taux de chômage des immigrés et des minorités est largement supérieur à celui de la population majoritaire dans les Etats membres de l’Union européenne.

D’autres éléments font état d’une intolérance largement répandue à l’égard des musulmans, tendance qui s’est accentuée depuis le 11 septembre 2001. Les musulmans et les personnes issues du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud sont en effet victimes d’abus en raison de leur religion ou de leur apparence.

Une affiche établissant un lien entre les musulmans de Grande-Bretagne et le terrorisme, et notamment l’attentat contre les tours jumelles à New York, a été au cœur d’une affaire soumise à la Cour européenne des droits de l’homme (Norwood c. Royaume-Uni, 16 novembre 2004). La décision de la Cour a été très claire : « Une attaque si globale et si véhémente à l’encontre d’un groupe religieux, établissant un lien entre celui-ci, pris dans son ensemble, et un acte grave de terrorisme, est incompatible avec les valeurs proclamées et garanties par la Convention, notamment la tolérance, la paix sociale et la non-discrimination ».

Parallèlement aux formes chroniques de xénophobie et d’intolérance, on recense des crimes haineux plus violents contre les immigrés et les minorités. Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) a récemment présenté un aperçu des incidents violents à caractère haineux survenus dans les pays de l’OSCE durant le premier semestre de 2006, parmi lesquels des faits de racisme, d’antisémitisme, d’antitsiganisme, d’islamophobie et d’homophobie.

Des Noirs africains ont été poignardés ou battus à mort ; des groupes de Roms la cible de violences collectives ; des juifs physiquement agressés ; des synagogues et des cimetières profanés ; des musulmans agressés ; des mosquées et des écoles islamiques vandalisées. Des manifestants homosexuels et des personnes handicapées ont été victimes d’agressions violentes et de crimes de haine.

Il est aujourd’hui difficile d’évaluer précisément l’ampleur en Europe de la criminalité fondée sur la haine, puisque la majorité des gouvernements n’ont pas encore adopté de système efficace pour recueillir et traiter les données en la matière. En outre, nous pouvons supposer qu’un grand nombre d’infractions n’ont jamais été signalées à la police. Toutefois, d’après les données disponibles, les crimes haineux se multiplient de façon alarmante. Nous nous devons de réagir.

Les agressions physiques de membres de groupes minoritaires sont souvent perpétrées dans les milieux où les extrémistes se sont livrés à une propagande haineuse. J’ai personnellement été témoin de situations qui montrent comment des incidents mineurs peuvent déclencher, dans un tel climat, des tendances collectives à l’encontre de la communauté rom par exemple.

C’est dans ce genre de situations que les responsables politiques et autres leaders d’opinion doivent se lever pour défendre les valeurs démocratiques et les droits fondamentaux de chacun. Mais les prises de position de ce genre, courageuses et fondées sur des principes, ont été trop rares ces derniers temps, et nous le déplorons.

Les gouvernements d’Europe n’ont pas fait le nécessaire.

Rappelons cependant que plusieurs pays ont tenté de combattre l’intolérance et les crimes de haine, par le biais de la législation, de l’action policière et de programmes de sensibilisation. La majorité des gouvernements ont également placé la lutte contre la xénophobie parmi les premières priorités des organisations paneuropéennes, comme en témoigne la campagne du Conseil de l’Europe « Tous différents – Tous égaux ».

La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) du Conseil surveille en permanence et avec efficacité la situation pays par pays. Elle adopte également des recommandations de politique générale, diffuse des exemples de bonnes pratiques et recueille des données sur les mesures juridiques que prennent les Etats membres pour lutter contre le racisme et l’intolérance.

Si l’on résume les recommandations générales du Conseil de l’Europe, du BIDDH et de l’EUMC, il apparaît que des mesures supplémentaires doivent être prises :

• On constate un « déficit de données » sur les différentes formes de discrimination et de crimes de haine. Dans un grand nombre de pays, il convient de mettre en place un meilleur système de collecte des données, y compris des méthodes pour analyser la fréquence et le type des abus.

• Il importe de renforcer la législation en tant que telle. Les mobiles racistes devraient être considérés comme des circonstances aggravantes dans les affaires de crimes de haine.

• La police doit en priorité viser à prévenir et à réprimer les crimes de haine, aux niveaux à la fois local et national. Il faut en outre mettre un terme à toute tendance raciste au sein des forces de police.

• Les médias ont également une responsabilité dans ce domaine. Tout en respectant la liberté de la presse, il faudrait encourager les journalistes et les rédacteurs en chef à éviter les stéréotypes négatifs et à promouvoir davantage les valeurs fondées sur les droits.

• Il faudrait favoriser le dialogue interreligieux pour combattre l’ignorance et promouvoir des valeurs éthiques qui soient communes aux trois religions monothéistes. Il faut espérer que ce dialogue encouragera également les chefs religieux modérés à s’attaquer au problème de l’extrémisme fanatique dans leurs propres communautés.

• Les organisations non gouvernementales peuvent avoir une influence considérable. Une société civile dynamique peut enrayer la montée de la xénophobie. Il faudrait soutenir ces groupes bénévoles, notamment ceux qui proposent une autre solution aux jeunes que les extrémistes tentent de recruter.

• Les écoles doivent être à même de gérer les tendances xénophobes parmi les élèves et de leur enseigner la tolérance et le respect de la différence. Il faudrait « investir » davantage et plus efficacement dans les générations futures.

Thomas Hammarberg

Strasbourg 18/12/2006
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