2006 - Carnet des droits de l'homme

Retour La violence domestique ne concerne pas seulement les femmes

Point de vue
 Malgré toutes les belles déclarations sur l’égalité des sexes, beaucoup de femmes sont encore aujourd’hui privées de leurs droits fondamentaux. Elles sont non seulement sous-représentées en politique et victimes de discrimination au travail, mais aussi menacées dans leur intégrité physique. La nouvelle campagne du Conseil de l’Europe se concentre sur la protection des femmes contre les violences.

Même s’il est malheureux qu’un telle campagne soit nécessaire, il faut saluer le fait que la question de la violence contre les femmes figure aujourd’hui parmi les priorités politiques. Une stratégie concrète à ce sujet a été définie par le Comité des Ministres dans une recommandation adoptée en 2002. L’Assemblée parlementaire et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe s’engagent également dans cette campagne.


La situation appelle un changement radical des esprits. Bien que nous manquions de chiffres précis, il est clair que les violences domestiques atteignent des proportions alarmantes, et les sociétés européennes ne sont pas épargnées.

Les esprits et les comportements n’évoluent pas facilement. Il a fallu longtemps avant que la loi reconnaisse comme un viol les rapports sexuels imposés à l’épouse sans son consentement. Auparavant, on partait du principe que lorsqu’une femme était mariée, elle devait se plier à la volonté de son conjoint. En d’autres termes, son corps ne lui appartenait pas.

 

La notion de « crimes d’honneur » relève du même ordre d’idée. Les autorités considéraient parfois certains crimes commis contre des femmes comme moins graves lorsque l’honneur de la famille était en jeu. Les victimes étaient le plus souvent des épouses, des filles ou des sœurs qui avaient voulu choisir librement les personnes qu’elles fréquentaient.

La pratique des mutilations génitales constitue une autre forme extrême de violence à l’encontre des femmes et des jeunes filles, dont le véritable objectif est de contrôler et de réprimer leur sexualité. Cette tradition inhumaine est toujours pratiquée dans certains pays africains, et il arrive encore que des jeunes filles vivant en Europe subissent ces mutilations au cours de « vacances » dans leur pays d’origine.

Il est vrai que certaines pratiques parmi les plus horribles commencent à disparaître, mais le principe évident selon lequel les femmes devraient être maîtresses de leur propre corps n’est toujours pas accepté par tous. La lenteur de la réaction devant les violences conjugales en est l’un des symptômes.

Cette question occupe une place essentielle dans une étude approfondie qui vient d’être publiée par les Nations Unies. Malgré les lois adoptées dans de nombreux pays, le rapport montre bien que la plupart des réactions au niveau national se sont avérées inadaptées et n’ont pas su mettre un terme à l’impunité dont les auteurs de violences bénéficient trop souvent.

L’étude des Nations Unies décrit les répercussions profondément nocives de cette criante discrimination sur l’ensemble de la société. Les violences domestiques ont notamment pour conséquence de traumatiser les enfants. Elles augmentent le risque que les comportements violents ne se transmettent à la génération suivante, alimentant ainsi un cercle vicieux.

Le rapport souligne que les violences domestiques à l’encontre des femmes devraient être classées comme une violation des droits fondamentaux. Il y a deux raisons à cela. D’une part, de nombreuses femmes sont victimes de mauvais traitements graves, qui seraient parfois considérés comme cruels, inhumains et dégradants – ou même comme des actes de torture – s’ils étaient perpétrés par des représentants de l’État.

D’autre part, il convient de reconnaître que la responsabilité ne pèse pas uniquement sur les particuliers, mais aussi sur les pouvoirs publics. Ces derniers devraient agir avec détermination pour prévenir les mauvais traitements, enquêter sur toutes les allégations crédibles de violations et poursuivre les auteurs des violences.

Le fait que des gouvernements puissent être tenus responsables de violations entre particuliers découle de la Convention européenne et a été confirmé par la Cour européenne des droits de l’homme. Par exemple, dans l’affaire M.C. c. Bulgarie, en 2003, la Cour a estimé que « les États [avaient] l’obligation positive, inhérente aux articles 3 et 8 de la Convention, d’adopter des dispositions en matière pénale qui sanctionnent effectivement le viol et de les appliquer en pratique au travers d’une enquête et de poursuites effectives. »

Les pouvoirs publics devraient offrir aux victimes des voies de recours et de réparation et assurer la protection des personnes qui courent un danger permanent. La loi devrait permettre de prononcer des mesures d’injonction à l’encontre des auteurs de violences.

Les politiques adoptées doivent aussi tenir compte du fait que les violences alimentent souvent la peur. Il arrive que des femmes battues n’osent tout simplement pas parler, et celles qui le font vivent parfois dans la terreur permanente de représailles de la part de leur partenaire ou de leur ancien compagnon.

Dans leur travail, la police et la justice doivent être sensibles à ces risques. Les travailleurs sociaux et le personnel de santé devraient également recevoir des instructions claires concernant la marche à suivre lorsqu’ils décèlent des signes de mauvais traitement. Là où c’est nécessaire, des centres d’accueil à même de fournir un soutien psychosocial devraient être créés.

Les violences domestiques sont aussi, dans de nombreux cas, une tragédie pour leur auteur. L’alcool, la pauvreté, les frustrations personnelles, les problèmes familiaux ou de santé peuvent parfois déclencher les abus. Il est donc important d’offrir un soutien social et des thérapies aux auteurs de violences eux-mêmes.

Bien que les services sociaux soient indispensables, ils n’éliminent pas la nécessité d’établir un consensus moral autour de l’idée qu’une telle violence est absolument inacceptable.

Les responsables politiques devraient être à l’écoute du mouvement féminin et contribuer à sensibiliser le public à l’importance d’une tolérance zéro face à la violence envers les femmes. Loin d’être uniquement « une affaire de femmes », elle constitue un objet de préoccupation pour l’ensemble de la société, notamment les enfants.

Oui, les politiciens hommes devraient se faire entendre. Et plus fort que jamais.

Thomas Hammarberg

Strasbourg 24/11/2006
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