2006 - Carnet des droits de l'homme

Retour La torture est totalement inacceptable

Point de vue

La torture fait l’objet d’une interdiction absolue en droit international. Quelles que soient les circonstances, nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ceci est clairement énoncé dans les traités des Nations Unies, les Conventions humanitaires de Genève et la Convention européenne des droits de l’homme. Aucune exception n’est tolérée et ne le sera jamais.

Le caractère absolu de cette interdiction lui a donné une dimension morale : la torture est devenue « impensable ». Ce principe est un élément phare du combat contemporain pour les droits de l’homme. Des mécanismes ont été créés pour veiller à ce que les personnes arrêtées ou emprisonnées soient traitées humainement.

Le Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l'Europe en est un exemple : il se rend dans des pays – parfois sans préavis – pour inspecter les lieux de détention. Les conseils donnés par le Comité sont d’une grande aide aux gouvernements soucieux d’assurer le respect des droits de l’homme.

Les traités européens et internationaux relatifs aux droits de l’homme disposent aussi que les gouvernements ont le devoir de protéger les individus contre les risques graves de torture. Renvoyer des demandeurs d’asile ou des migrants dans des pays où ils sont exposés à la torture constitue donc une violation des droits de l’homme.

Ces normes ont été sérieusement mises à mal depuis septembre 2001. Le gouvernement américain a introduit des techniques d’interrogatoire qui violent manifestement l’interdiction internationale de la torture. Certaines sont brutales, comme la technique dite du « water boarding » (sous-marin) qui consiste à maintenir le détenu sous l’eau.

L’humiliation religieuse ou sexuelle ou l'utilisation de chiens menaçants sont également des pratiques destinées à “intimider” les détenus. La privation de sommeil, la méthode du « hooding » (maintien de la tête dans un sac pendant une période prolongée), l'exposition à du bruit et à des températures extrêmes, ont été combinées de manière systématique. Les méthodes de “privation sensorielle” ont été utilisées une fois en Irlande du Nord mais jugées inacceptables par la Cour européenne des droits de l'homme et abandonnées par le gouvernement britannique.

Ces méthodes sont approuvées par l’actuel gouvernement américain au titre de ce qu’il appelle la « guerre contre le terrorisme ». Pour que ces mesures cadrent avec les normes contraignantes internationales, l’administration a tenté de modifier la définition même de la torture pour n’y inclure que les traitements provoquant de graves dommages corporels. La Commission des Nations Unies sur la torture a, à juste titre, refusé cette innovation.

Le fait que le gouvernement américain n’accepte plus les normes internationales sur la torture ne peut que raviver nos craintes quant à sa politique de détention secrète et de restitution extraordinaire. Ces pratiques sont par nature illégales même si les personnes concernées sont suspectées d’activités terroristes.

Telle est la substance du rapport du sénateur Dick Marty à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (Doc. 10957, disponible sur le site Internet de l’Assemblée). Il établit l’existence d’une complicité européenne dans ce qu’il décrit par un jeu de mots comme une « toile d’araignée » (“spider’s web”) d’arrestations, de transports et de détentions secrètes extrajudiciaires, qui s’étend à travers le monde.

Le rapport Marty ne prétend pas établir toute la vérité, et comment le pourrait-il avec tout le secret qui entoure l’affaire? Il présente en revanche des faits indiquant que des gouvernements ont coopéré à des activités illégales de la CIA, directement ou indirectement faute de les contrôler. Ces faits sont étayés par des rapports d’Amnesty International et Human Rights Watch. On ne peut plus se contenter désormais de démentis vagues et dépourvus de matière et faisant fi d’accusations précises ; les gouvernements doivent se justifier clairement. Ils ont l’obligation de le faire.

Il convient à présent d’en tirer des enseignements. Les gouvernements européens devraient veiller à ce que leur territoire ne serve pas de lieu de transit pour le transport illicite de détenus et à ce que nul individu ne soit livré à des agences de sécurité capables de le torturer ou de le faire « disparaître ».

“Les assurances diplomatiques”, selon lesquelles les Etats destinataires s’engagent à ne pas torturer des personnes renvoyées, ne sont pas la réponse au dilemme de l’extradition ou du renvoi vers un pays où la torture est pratiquée. Ces promesses ne sont pas crédibles et des cas bien documentés ont prouvé leur inefficacité.

Les gouvernements concernés ont déjà violé les normes internationales ayant force de loi et il est purement et simplement condamnable d’exposer quelqu’un au risque de la torture en se contentant d’une promesse de faire exception dans son cas. Autrement dit, le principe de non-refoulement ne devrait pas être remis en cause par des promesses faciles et non contraignantes.

Le terrorisme est une abomination. Le meurtre de personnes innocentes pour terroriser une société toute entière n’est en aucun cas défendable. Toutefois, riposter en utilisant des méthodes illicites revient à céder aux forces du mal. L’expérience montre que la torture et les détentions illégales ne servent pas l’obtention d’informations. Et quand bien même ces méthodes donneraient des résultats dans un cas précis, elles ne doivent pas être utilisées : elles ébranlent en effet les valeurs mêmes que nous voulons défendre dans une société bâtie sur le respect des droits de l’homme.

Thomas Hammarberg

Strasbourg 27/06/2006
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