2006 - Carnet des droits de l'homme

Retour Demander l’asile est un droit, pas un crime

Point de vue

En Europe, le droit de demander asile n’est pas pleinement protégé. Si le nombre des demandes a tendance à baisser dans la plupart des pays – avec quelques exceptions, comme à Malte et en Grèce –, les politiques en la matière sont toujours restrictives. Les inquiétudes suscitées par les migrations irrégulières et les menaces terroristes semblent faire obstacle à un débat constructif sur l’asile et la protection des réfugiés, entraînant du même coup un déficit sur le plan des droits de l’homme.

Il est aujourd’hui plus difficile pour les réfugiés et les migrants économiques d’arriver jusqu’à nos frontières. Des pressions sont exercées sur les compagnies aériennes pour qu’elles refusent les passagers susceptibles d’être refoulés à l’arrivée. Des patrouilles maritimes longent les côtes méridionales de l’Europe pour intercepter et renvoyer chez eux les migrants venus d’Afrique. Parmi eux peuvent figurer des personnes dont la survie est menacée dans leur pays.

Par le passé, les demandeurs d’asile qui sont malgré tout parvenus à atteindre l'Europe ont acquis, de ce fait, le droit de déposer une demande, même s’ils sont arrivés avec des migrants mus par d’autres motivations. Le gouvernement espagnol s’est efforcé de garantir ce droit à ceux qui arrivent aux Canaries. Toutefois, il y a un risque que l'utilisation accrue des procédures accélérées d'asile conduisent de facto au refoulement de personnes ayant besoin d'une protection internationale. De plus, les propositions récentes visant à accélérer les procédures pour refouler en masse les nouveaux arrivants risquent, si elles sont adoptées, de saper totalement le droit à demander l’asile. Il est important d'identifier rapidement ces demandeurs dans la foule des arrivants et de leur garantir des procédures justes et équitables.

Le Règlement Dublin II permet à un pays membre de l'UE de renvoyer un demandeur d'asile en provenance d’un autre pays de l'Union dans ce dernier. Toutefois, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) met en garde contre cette pratique qui risque de diminuer les chances d’un réfugié d’obtenir l’asile, puisque les pays de l'UE n'appliquent pas tous les mêmes critères pour traiter les demandes.

De plus, il préconise une approche libérale et recommande que les liens familiaux et les précédents séjours dans le pays concerné soient pris en compte lors de la décision finale. Il me semble que ces recommendations devraient être prises en compte dans la révision du Règlement Dublin II, qui est actuellement discutée au sein de l'UE.

Plusieurs directives de l’Union visent à harmoniser la politique de ses États membres en la matière, ce qui est une ambition louable et nécessaire. Le HCR observe cependant que la tendance, dans plusieurs pays de l'Union, est de durcir au maximum les critères appliqués. La transposition des directives s’est accompagnée de l’introduction de dispositions législatives et réglementaires plus restrictives.

L’un des problèmes majeurs qui se posent en pratique est qu’un grand nombre de migrants n’ont pas de papiers. Dans de nombreux cas, il est clair que leurs passeports ou autres papiers d’identité ont été confisqués ou détruits par les passeurs, mais il arrive aussi que les migrants eux même préfèrent ne donner aucune information sur leur identité ou leur pays d’origine, dans l’espoir d’augmenter leurs chances.

Ce n’est toutefois pas une raison pour traiter ces vagues de migrants irréguliers comme des criminels. En tout état de cause, ils ont le droit à des procédures équitables. En effet, il se pourrait fort bien qu’il y ait de véritables réfugiés parmi eux : il n’est pas évident de demander un passeport aux autorités de son pays lorsqu'on tente d’échapper à de graves persécutions.

Les organisations non gouvernementales actives dans ce domaine ont décrit à de nombreuses reprises la manière dont les demandeurs d’asile sont interrogés par la police. Celle-ci fait souvent peu de cas de la vulnérabilité de ces demandeurs, qui ont parfois subi des épreuves extrêmement traumatisantes dans leurs contacts avec les autorités. Il leur est peut être difficile, sur le plan psychologique, de parler à un inconnu des tortures ou des humiliations subies par le passé.

Pourtant, on leur reproche souvent de ne pas être honnête dès le premier entretien, ce que de nombreux réfugiés prennent comme une insulte – on peut les comprendre. Bien sûr, il arrive que certains mentent. Il convient néanmoins d’éviter que les interrogatoires se déroulent dans un climat de suspicion généralisée. Il importe que le premier contact avec le pays hôte soit aussi humain que possible, ce qui ne signifie pas qu’il faille renoncer à obtenir les informations nécessaires.

La présence d’interprètes est capitale. Ils doivent être sélectionnés de manière à ce que les demandeurs n’aient pas craindre que leurs déclarations soient rapportées aux autorités de leur pays d’origine. L’interrogatoire des enfants nécessite des qualités et des compétences particulières ; il est important que leurs récits soient recueillis séparément.

Dans plusieurs pays, la qualité des centres de rétention suggère également que les demandeurs d'asile sont traités comme des criminels. Les gouvernements doivent s’interroger sur la réelle nécessité du placement en détention et sur les conditions de vie dans les centres de rétention. Dans plusieurs pays européens, la rétention des demandeurs d'asile se divise en deux étapes : la première, à l'arrivée, pendant que leur demandes sont déterminées et la deuxième, après refus, alors que les autorités du pays hôte négocient leur retour dans leur pays d’origine. Cette deuxième phase peut prendre beaucoup de temps. Dans cette situation, les réfugiés n’ont, souvent, qu’un accès restreint à une assistance juridique, si tant est que cette possibilité existe.

Les Européens que nous sommes ne peuvent-ils vraiment pas faire mieux ?

Thomas Hammarberg

Strasbourg 30/10/2006
  • Diminuer la taille du texte
  • Augmenter la taille du texte
  • Imprimer la page