2006 - Carnet des droits de l'homme

Retour Les migrants ne doivent pas être privés de leurs droits fondamentaux

Point de vue
L’immigration fait dans de nombreux pays européens l’objet de débats intenses. Certains de ces Etats sont, pour des raisons géographiques, submergés par l’afflux des migrants, et le « partage des coûts » entre les pays européens n’a pas fonctionné efficacement. La xénophobie semble progresser et les immigrés sont victimes de discriminations. Dans le même temps, de jeunes migrants se noient dans les eaux qui entourent l’Europe. Des politiques nouvelles sont nécessaires et elles devront être fondées sur les droits de l’homme.

Il doit être précisé clairement que tous les migrants disposent de droits fondamentaux, même lorsqu’ils n’ont pas la nationalité du pays où ils vivent. Les droits de l’homme énoncés dans les traités des Nations Unies, la Convention européenne et la Charte sociale s’appliquent aussi aux non-ressortissants.

La règle générale est que ces droits devraient être garantis sans discrimination entre les nationaux et les étrangers. L’égalité de traitement s’applique par principe, comme le montre l’utilisation des mots « toute personne » dans de nombreux articles des traités principaux. Les exceptions à ce principe concernent le droit à la participation politique et à la libre circulation.

Les non-ressortissants ne doivent par conséquent faire l’objet d’aucune ingérence arbitraire ou illégale concernant leur vie privée, leur famille, leur domicile ou leur correspondance. Ils doivent être égaux devant les tribunaux, être protégés contre la torture et les mauvais traitements et jouir de la liberté de religion ainsi que de la liberté d’opinion et d’expression. Le droit au regroupement familial est dans de nombreux cas d’une importance cruciale. Les migrants ont aussi des droits sociaux et doivent être traités sur un pied d’égalité avec les nationaux en matière de conditions de travail et de rémunération.Outre les traités généraux relatifs aux droits de l’homme, certaines conventions internationales portent spécifiquement sur la situation des travailleurs immigrés. La convention n° 97 de l’OIT concerne la rémunération, l’imposition et l’accès aux organisations syndicales. La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (CTM) est fondamentalement une compilation, par les Nations Unies, des droits déjà inscrits dans d’autres traités de protection des droits de l’homme – y compris pour les migrants dont le séjour dans le pays n’est par régularisé.

Le terme péjoratif « immigré clandestin » ne devrait pas être employé, car il assimile la personne ainsi désignée à l’auteur d’un délit. Le fait, pour une personne, d’être dans une situation irrégulière vis-à-vis des procédures d’immigration ne fait pas de cette personne un délinquant.

Les migrants en situation irrégulière ont eux aussi des droits, par exemple ceux qui sont énoncés dans la Convention de l’OIT mentionnée ci-dessus. Ils ne doivent pas se voir refuser des droits sociaux tels que l’accès aux soins de santé de base et à l’éducation.

En outre, ils doivent évidemment avoir le droit de demander un permis de séjour. Ils doivent être protégés contre la détention arbitraire, ne pas être renvoyés vers des pays où ils risquent de faire l’objet de mauvais traitements ou de torture, et ne pas être expulsés sans possibilité de recours juridique contre cette décision.

Ces droits ne sont pas toujours respectés. Il y a en effet un large fossé, y compris en Europe, entre les droits de l’homme dont bénéficient théoriquement les migrants et leur situation réelle. Un des domaines qui posent problème est la détention. La rapporteuse spéciale de l’ONU sur les droits de l’homme des migrants a fait état de décisions de détention arbitraire, de périodes de détention prolongées, de détentions concernant même des enfants et des victimes de la traite des être humains, de situations de surpeuplement et d’insalubrité, et de possibilités limitées pour porter plainte concernant des violences.

Etant nouvellement arrivés dans un pays, les migrants sont vulnérables et, pour des raisons évidentes, ont souvent plus de mal que d’autres à connaître leurs droits et à les faire respecter. Ils sont exposés à des discriminations en matière d’emploi et de logement. Leurs enfants peuvent être victime de discrimination à l’école. Le racisme et la xénophobie semblent avoir progressé ces dernières années et ils visent en particulier les migrants.

Naturellement, les migrants qui n’ont pas de permis de séjour et de travail sont encore plus vulnérables. Ils peuvent être victimes d’humiliations et de mauvais traitements et ne pas oser se plaindre. Ils sont parfois exploités par des employeurs ou des trafiquants sans scrupule. Les femmes qui sont dans cette situation sont particulièrement exposées.

Le contrôle strict des frontières, expérimenté dans certains pays, n'a pas produit les résultats attendus, entraînant au contraire l'apparition d’un marché pour la contrebande et la traite organisées. Les migrations irrégulières continuent sous des formes qui augmentent les pertes en vies humaines. Ce problème ne peut être résolu par un recours à l’armée.

Un rapport publié par l’ONU il y a quelques années indiquait que plus de 4 000 migrants clandestins s’étaient noyés entre le Maroc et l’Espagne. Même si ces chiffres sont discutables, les pertes en vies humaines sont considérables et elles exigent de la part de l’Europe une réponse humaine et de grande ampleur.

• Une action préventive doit évidemment être entreprise d’urgence. Il faut combattre les raisons qui poussent désespérément tant de personnes à entrer en Europe – parfois même au risque de leur vie. A cette fin, il faudra indubitablement apporter un soutien aux pays dont les jeunes citoyens n’ont d’autre choix que l’émigration. L’aide supplémentaire que l'UE a apportée à la Mauritanie est, à cet égard, un exemple positif.

• Il faut, en Europe, un plus grand partage des responsabilités, chaque pays apportant sa contribution dans un esprit de solidarité. Cette approche permettrait aussi de prendre en compte les aspects positifs de l’immigration, en liaison notamment avec le vieillissement de la population européenne. Après tout, il est souhaitable que les personnes puissent séjourner dans d’autres pays que le leur pour des périodes plus ou moins longues – quoique cela doive se dérouler dans des conditions telles que des vies humaines ne sont pas menacées.

• Les droits de l’homme devraient être respectés dans tous les aspects des politiques d’immigration. Les procédures d’accueil sont capitales : elles requièrent, pour fonctionner de manière à la fois efficace et humaine, l’octroi de moyens plus importants, une meilleure formation de la police des frontières et la mise en œuvre de politiques claires fondées sur les droits de l’homme. Les migrants doivent être traités comme des êtres humains. Beaucoup connaissent des situations extrêmement difficiles, et méritent notre respect.

La xénophobie n’est pas une valeur européenne ; les droits de l’homme doivent en être une.

Thomas Hammarberg

headline Strasbourg 30/05/2006
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