2006 - Carnet des droits de l'homme

Retour Lutter contre le terrorisme par des moyens légaux

Point de vue

Il est important que le Conseil de l'Europe enquête sur les activités en Europe des services de sécurité américains. Les arrestations illégales, le transport forcé de personnes détenues à tort, les lieux de détention secrets et les méthodes d’interrogatoire brutales constituent autant de violations des droits de l’homme. Les pays européens ne peuvent accepter de tels agissements et encore moins les faciliter.

Le terrorisme est un mal qui mine nos valeurs démocratiques et les droits fondamentaux de l’homme, en particulier le droit à la vie. Il importe donc de le condamner et de le combattre, mais – et j’insiste sur ce point – sans avoir recours aux mêmes méthodes que les terroristes. Cette lutte doit être menée avec des moyens légaux dans le respect total des droits de l’homme.

Or, depuis le 11 septembre 2001, ces normes ne sont plus toujours respectées. Les services de sécurité américains se sont vu attribuer des pouvoirs extraordinaires. Des étrangers ont été enlevés et conduits à Guantánamo ou dans des centres de détention secrets d’autres pays, ou encore livrés à des services de sécurité qui pratiquent la torture et travaillent en étroite collaboration avec la CIA, comme dans le cas des deux Egyptiens expulsés de Suède.

De plus, ces détenus n’ont aucun moyen de contester leur détention, ni même de communiquer avec un avocat. Ils se retrouvent en dehors de toute juridiction, dans une sorte de « trou noir » juridique. Certains ont été conduits dans des centres de détention secrets, mais le gouvernement américain ne reconnaît même pas l’obligation qui lui est faite de donner leur nom.

Les méthodes d’interrogatoire violent les règles internationales. Les images que nous avons vues de la prison d’Abou Ghraib en Irak ne représentent qu’un fragment de la vérité. Il est maintenant établi avec certitude que la torture est pratiquée dans d’autres centres américains en Irak, mais aussi en Afghanistan et ailleurs, sans parler de Guantánamo.

Qui plus est, cette « guerre contre la terreur » n’a pas donné les résultats que l’on en attendait, ce qui n’est guère surprenant, car on sait d’expérience que la torture n’est pas un moyen efficace pour recueillir des informations fiables. Au contraire, elle ne fait qu’encourager le terrorisme.

Mais, surtout, ces violations portent atteinte aux principes juridiques fondamentaux adoptés par la communauté internationale depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Il est d’ailleurs décevant de constater que ces pratiques n’ont pas suscité une plus forte opposition.

Les services de sécurité de plusieurs pays européens ont travaillé en étroite collaboration avec la CIA, notamment après le 11 septembre. Bien entendu, l’échange d’informations entre les agences de sécurité des diverses démocraties est un élément essentiel de la protection contre les extrémistes et les auteurs de violences et il n’est pas anormal qu’une telle collaboration soit, dans une certaine mesure, confidentielle.

Néanmoins, cette confidentialité ne doit pas servir à dissimuler des violations des droits de l’homme. Lorsque le Parlement suédois, par l’intermédiaire de sa Commission permanente des questions constitutionnelles, a voulu faire la vérité sur l’expulsion des deux Egyptiens, le gouvernement a délibérément occulté le fait que les deux demandeurs d’asile avaient été remis à des agents de la CIA dans un aéroport suédois.

Dans ce cas précis, c’est une équipe de journalistes d’investigation qui a mis au jour l’affaire. Malgré les critiques exprimées par la Commission parlementaire et par le Comité contre la torture des Nations Unies, le gouvernement suédois n’a toujours pas engagé de véritable enquête.

L’Europe a manifestement surmonté les premières années d’angoisse qui ont suivi le choc du 11 septembre. Toutefois, des principes fondamentaux jusqu’ici considérés comme sacrés ont été violés. C’est pourquoi il reste nécessaire d’appeler tous les gouvernements à faire preuve de transparence dans leur collaboration avec d’autres pays en matière de sécurité, dès lors que les droits fondamentaux de l’homme sont en jeu.

Thomas Hammarberg

Strasbourg 03/04/2006
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