Le carnet des droits humains de la Commissaire

Retour Les violences policières ne sauraient rester impunies

Point de vue
Dans plusieurs pays européens, les violences policières restent un problème grave. Au cours de mes missions, j’ai entendu de nombreuses allégations accusant les forces de police de violences spontanées avant, pendant et après des arrestations. Lorsque j’ai demandé aux victimes pourquoi elles n’avaient pas porté plainte, beaucoup ont répondu qu’elles redoutaient de nouveaux coups. Certaines ont toutefois introduit des recours devant la Cour européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg, qui a rendu cette année de nombreux arrêts condamnant des Etats pour usage excessif ou abusif de la force par la police.

Ce type de comportement illégal de la part de policiers est d’autant plus grave que, dans une société démocratique, le rôle même de la police est de défendre la population contre la criminalité, notamment lorsque celle-ci revêt des formes violentes. Quand les forces de l’ordre elles-mêmes enfreignent la loi, c’est toute la justice qui est discréditée.

En Europe, ce principe est naturellement admis par l’ensemble des gouvernements qui s’emploient à recruter et à former des policiers capables de maîtriser des situations difficiles sans sortir du cadre légal. Tout est fait pour prévenir la corruption et développer les codes de déontologie. Pourtant, les cas de violences policières demeurent.

La solution ne consiste pas à stigmatiser les membres des forces de police qui ne sont jamais que des êtres humains travaillant dans des conditions souvent difficiles. Toutefois, il est à noter que les violences policières sont rarement des incidents isolés mais résultent plutôt d’une mentalité. Dans plusieurs pays en transition, on estime encore que l’efficacité de la police se mesure à l’aune de sa capacité à « résoudre les affaires » en obtenant des aveux. S’ajoute à cela le fait que les tribunaux ont accordé trop d’importance à ces dépositions signées par rapport aux autres éléments de preuve, ce qui a encouragé l’obtention d’aveux par la contrainte.

Il faut, c’est certain, prendre des mesures concrètes pour prévenir les infractions et traduire les malfaiteurs en justice, les juger et les punir. Cependant, la fin ne justifie pas les moyens. S’il importe de défendre l’intérêt général, en l’occurrence la sécurité et la prééminence du droit, cela ne doit pas se faire au détriment des droits individuels fondamentaux. La Cour de Strasbourg a fixé des limites : « Consciente du danger […] de saper, voire de détruire, la démocratie au motif de la défendre, [la Cour] affirme que [les Etats contractants] ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre l’espionnage et le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée ».

Certaines situations justifient évidemment que la police ait recours à la force, pour endiguer une émeute ou arrêter un suspect, par exemple, mais il faudrait en fixer strictement les limites. Premier critère à respecter : la légalité. Dans ces situations, il importe particulièrement que la loi soit sans ambiguïté. La Cour de Strasbourg a d’ailleurs précisé que « […] les policiers ne doivent pas être dans le flou lorsqu’ils exercent leurs fonctions, que ce soit dans le contexte d’une opération préparée ou dans celui de la prise en chasse spontanée d’une personne perçue comme dangereuse : un cadre juridique et administratif doit définir les conditions limitées dans lesquelles les responsables de l’application des lois peuvent recourir à la force et faire usage d’armes à feu […] ».

Second critère : la proportionnalité. L’usage de la force ne se justifie qu’en cas d’absolue nécessité et devrait, même alors, s’exercer avec la plus grande modération. Pour cela, il faut que les opérations soient planifiées et conduites suivant ce principe. La répression policière retentissante des manifestations récentes de Tbilissi, par exemple, ne respectait pas ces critères.

La violence policière envers des personnes privées de liberté est inacceptable, sauf dans des cas extrêmes de légitime défense. Les détenus se plaignent souvent d’être frappés et de recevoir des coups de pied lors de leurs transfèrements. La sécurité du transport doit être assurée par d’autres moyens et ne saurait justifier ces agissements.

Les mauvais traitements infligés lors des interrogatoires sont encore monnaie courante dans un certain nombre de pays. Au cours de mes visites en Azerbaïdjan, en Arménie et en Albanie cet automne, la fréquence de ces cas m’a été signalée. Il faut impérativement que les autorités fassent le nécessaire pour mettre fin à ces pratiques.

La Cour de Strasbourg a bien précisé qu’obligation devrait être faite par la loi d’enquêter effectivement sur les allégations graves de telles infractions. Ces enquêtes devraient être conduites de manière indépendante, transparente, prompte et approfondie pour aboutir à l’identification des responsables et à leur comparution devant la justice. Tous les décès survenus en détention devraient systématiquement faire l’objet d’un examen impartial.

Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a publié des lignes directrices relatives à ce type d’enquête et souligné, entre autres exigences, qu’il fallait motiver toute absence d’enquête en cas d’allégations graves. En effet, une négligence de cet ordre peut constituer en soi une violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Pour ne pas discréditer l’enquête, il faut que ceux qui la mènent n’aient pas de liens avec les membres des forces de l’ordre impliqués. Plutôt qu’à la police, le ministère public devrait donc la confier à une équipe dépendant de lui et spécialisée dans ce type d’affaire. D’autres solutions consistent à faire appel à un médiateur, généraliste ou spécialisé dans les questions de police, ou à demander à des commissions comprenant des membres de la société civile de traiter les plaintes contre la police.

J'étais récemment en Irlande, où j'ai visité la Commission de médiation de la Garda Siochana (police irlandaise), un bureau du médiateur spécifiquement mis en place en mai dernier pour recevoir les plaintes du public et surveiller de façon effective l'exercice du maintien de l'ordre. C'est sans conteste une agence sérieuse et un modèle pour d'autres pays. Elle recrute actuellement plus de 80 personnes, dont environ la moitié d'enquêteurs parmi lesquels beaucoup ont été recrutés depuis l'étranger. Le Garda Ombudsman peut entamer une médiation, mais aussi recommander des actions disciplinaires ou des poursuites pénales quand la mauvaise conduite de la police est avérée.

Pour changer les mentalités, il ne faut rien moins qu’instaurer une nouvelle culture policière. A cette fin, la police doit disposer de lignes de conduite claires, élaborées dans le respect des principes internationaux des droits de l’homme. Cet outil existe : il s’agit du Code Européen d’éthique de la police. Dans le cadre de la formation initiale et continue des membres des forces de l’ordre, il est capital de les sensibiliser à la question très importante du respect des droits de l’homme.

Façonner une nouvelle culture de la police passe par la tenue d’un débat ouvert et public. La confiance dans la police nécessite en effet un débat libre dans les médias. La Cour l’a rappelé dans un arrêt récent : «dans un Etat démocratique fondé sur la primauté du droit, le recours [de la police] à des méthodes inacceptables est justement le type de question dont le grand public a le droit d’être informé». 

Thomas Hammarberg

Strasbourg 03/12/2007
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