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Le carnet des droits de l'homme
Les détenus devraient avoir le droit de vote

La Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que les détenus ne devraient pas être systématiquement privés du droit de vote lors d’élections générales. Cet arrêt n’a pas été très bien accueilli au Royaume-Uni ; la Cour avait déjà été saisie d’une requête portant sur le même sujet et dirigée contre cet Etat. Même des responsables politiques de premier plan se sont déclarés consternés par l’idée que des personnes condamnées à des peines de prison puissent avoir le droit de vote.

Il faudrait vraiment discuter de ce problème, et pas uniquement au Royaume-Uni. Un débat approfondi permettrait de soulever un certain nombre de questions essentielles, notamment : la raison d’être des condamnations pénales ; les droits de l’homme dont devraient continuer à bénéficier les personnes privées de liberté ; les moyens de favoriser la réinsertion des personnes condamnées ; la meilleure manière de traiter les détenus pour réduire au minimum les risques de récidive et lutter ainsi contre la criminalité.

La prestigieuse Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a estimé en 1999 que tous les détenus devraient avoir le droit de vote ; elle a affirmé que le vote de chaque citoyen est un symbole de dignité et d’identité individuelle et qu’il signifie littéralement que tout le monde est important. La Cour suprême du Canada a adopté une position analogue dans un célèbre jugement de 2002, où elle déclare que priver les détenus du droit de vote va à l’encontre du message « que tous sont égaux et que tous ont droit au bénéfice de la loi ».

Le suffrage universel, pilier de la démocratie

Il serait peut-être bon de se rappeler que, dès l’origine, la démocratie a été étroitement liée à l’idée de suffrage universel. Nos ancêtres ont accepté le principe selon lequel le droit de vote ne doit pas être réservé aux personnes de sexe masculin, aux nobles, aux proprétaires ou aux contribuables, mais être reconnu à tous les membres de la société, indépendamment de leur statut. Aujourd’hui, nous avons peut-être l’impression que certains des titulaires de ce droit ne méritent pas de l’exercer ; si nous les excluons du corps électoral, nous portons cependant atteinte à une dimension fondamentale de la notion même de démocratie, et donc aux droits de l’homme.

Le droit international des droits de l’homme prévoit d’ailleurs que le droit de vote lors des élections doit être accordé à tous les citoyens à partir d’un certain âge. Ainsi, selon la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis. Il est précisé dans ce texte que la volonté du peuple doit s’exprimer par des élections qui doivent avoir lieu au suffrage universel égal.

Les personnes détenues, quoique privées de liberté physique, ont des droits de l’homme. Il faudrait prendre des mesures destinées à éviter que l’emprisonnement porte atteinte à des droits qui sont sans rapport avec l’intention sous-jacente à la condamnation. De fait, les autorités doivent par exemple veiller à ce que tout détenu ait accès aux soins et puisse entretenir des contacts avec sa famille. Le droit d’étudier, d’être informé et de voter relève de cette même catégorie de droits à protéger.

Sentiment d’appartenance

La Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a mis en évidence un aspect important de la question : le droit de vote a cela de particulier qu’il symbolise l’appartenance. Etre privé de ce droit revient à être mis au ban de la société et privé d’identité. Une telle attitude ne correspond pas aux valeurs européennes de notre temps.

Bien entendu, cette stigmatisation ne favorise pas la réadaptation du détenu ni sa réinsertion dans la société. Elle ne contribue donc pas non plus à lutter contre le grave problème de la récidive.

L’Europe est divisée sur cette question. Les Etats qui ont décidé d’accorder le droit de vote aux détenus sont cependant plus nombreux que ceux qui maintiennent l’interdiction. Les premiers – le Danemark, les Pays-Bas et la Suisse, par exemple – n’ont eu aucun mal à intégrer les personnes détenues dans le corps électoral. Pour eux, il est naturel que ces personnes aient la possibilité de voter.

Thomas Hammarberg

Strasbourg 31/03/2011
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