Dans un mémorandum contenant ses observations sur les évènements liés au mouvement dit des « gilets jaunes », la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, invite les autorités françaises à mieux respecter les droits de l’homme lors des opérations de maintien de l’ordre et à ne pas apporter de restrictions excessives à la liberté de réunion pacifique à travers la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations.
Tout en condamnant fermement la violence, les propos et les agressions racistes, antisémites ou homophobes de certains manifestants, la Commissaire rappelle que la tâche première des membres des forces de l’ordre « consiste à protéger les citoyens et leurs droits de l’homme ». Or, elle estime que le nombre et la gravité des blessures infligées aux manifestants « mettent en question la compatibilité des méthodes employées dans les opérations de maintien de l’ordre avec le respect de ces droits. »
La Commissaire encourage les autorités à publier des données chiffrées plus détaillées concernant les personnes blessées et à revoir au plus vite la doctrine d’emploi des armes de force intermédiaire. Dans l’attente de cette révision, les autorités devraient « suspendre l’usage du LBD dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre », a-t-elle déclaré, en rappelant également l’obligation des autorités de garantir la sécurité des journalistes.
Soulignant l’importance de n’admettre aucune impunité en matière de violences policières afin que tous les manquements à la déontologie et à la loi pénale de la part de membres de forces de l’ordre soient sanctionnés, elle invite les autorités à veiller à ce que toutes « les personnes se prétendant victimes de tels abus puissent non seulement les signaler à l’IGPN, l’IGGN et au Défenseur des droits, mais aussi saisir la justice d’une plainte et demander réparation. »
La Commissaire note que les opérations de maintien de l’ordre sont particulièrement complexes et que les représentants de la force publique mobilisés interviennent dans un contexte de grande tension et de fatigue. Elle condamne fermement les violences commises à l’encontre des membres des forces de l’ordre, déplore le nombre important de blessés dans leurs rangs et souligne l’importance de leur assurer un salaire et des temps de repos et de récupération suffisants, ainsi qu’un soutien psychologique approprié et une solide formation aux droits de l’homme tout au long de leur carrière.
La Commissaire invite également les autorités chargées des poursuites dans le cadre des manifestations de « gilets jaunes » à faire preuve de prudence et de retenue en matière de recours à la procédure de comparution immédiate et recommande de ne pas tenir des audiences la nuit.
Concernant les conditions d’exercice de la liberté de réunion pacifique, la Commissaire s’inquiète des interpellations et placements en garde à vue de personnes souhaitant se rendre à une manifestation sans qu’aucune infraction ne soit finalement caractérisée et ni aucune poursuite engagée à l’issue de ces gardes à vue. Elle estime que de telles pratiques constituent de graves ingérences dans l’exercice des libertés d’aller et venir, de réunion et d’expression et invite les autorités à respecter scrupuleusement l’obligation de s’assurer que toute restriction soit strictement nécessaire et à ne pas utiliser ces procédures comme des outils préventifs de maintien de l’ordre.
La Commissaire invite également le législateur à s’assurer que la loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations respecte pleinement le droit à la liberté de réunion. A cette fin, elle recommande de ne pas introduire une interdiction administrative de manifester car elle constituerait une grave ingérence dans l’exercice de ce droit, alors même que le code de la sécurité intérieure prévoit déjà que l’autorité judiciaire puisse imposer une interdiction de manifester.
Tout en partageant le souhait des autorités de permettre l’identification des auteurs de violences, la Commissaire recommande de renoncer à ériger en délit la dissimulation volontaire « sans motif légitime » de tout ou partie du visage au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation. Elle recommande aussi de renoncer à étendre le champ d’application de la peine complémentaire d’interdiction de manifester au délit de non-déclaration de manifestation et d’explorer la possibilité d’alléger les formalités de déclaration des manifestations.
Enfin, la Commissaire invite le gouvernement et les sénateurs à ne pas réintroduire la disposition, rejetée par l’Assemblée nationale, visant à permettre aux préfets de décider de fouilles et palpations dans le périmètre et aux abords d’une manifestation.
Les recommandations contenues dans le mémorandum sont basées sur la mission à Paris que la Commissaire a effectuée le 28 janvier dernier afin de recueillir davantage d’informations sur les circonstances de l’usage de la force par des membres des forces de l’ordre et par certains manifestants lors des mobilisations liées au mouvement des « gilets jaunes ».