« Ces dernières années, l'Espagne a déployé des efforts importants pour améliorer la protection des droits sociaux. Des réformes législatives cruciales, qui sont en cours d’examen au Parlement, offrent la possibilité d'aligner la législation espagnole sur les normes internationales et européennes en matière de droits humains, notamment dans le domaine de la liberté d'expression et de la liberté de réunion ; elles devraient être adoptées sans délai. Toutefois, il reste beaucoup à faire pour garantir aux plus vulnérables l'accès aux droits et pour protéger les droits des réfugiés, des demandeurs d'asile et des migrants », a déclaré la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatović, après la visite qu’elle a effectuée en Espagne du 21 au 25 novembre.
Si la Commissaire salue la ratification par l’Espagne de la Charte sociale européenne révisée et de son mécanisme de réclamations collectives en 2021, elle souligne cependant que, pour remédier aux inégalités d'accès aux droits sociaux entre les différentes régions du pays, les autorités devraient allouer les ressources de manière transparente et durable, et adopter des normes communes pour satisfaire les besoins spécifiques des plus vulnérables, en étroite coopération avec toutes les autorités compétentes aux niveaux central et local. « La participation civile à la prise de décisions est indispensable pour concevoir des politiques sociales qui répondent aux besoins de la société. Les organisations de la société civile devraient être consultées et associées au processus de manière proactive à toutes les étapes », a affirmé la Commissaire.
« Le logement ne doit pas être considéré comme un bien réservé à certaines personnes. L'accès à un logement adéquat est un droit humain qui conditionne la pleine jouissance de la plupart des autres droits », a rappelé la Commissaire. Il est urgent de s'attaquer à des problèmes persistants, tels que la très faible proportion de logements sociaux, imputable à des années d'investissements publics insuffisants, les coûts élevés de location ou d'achat d'un logement, les expulsions forcées et l'augmentation du nombre de sans-abris. « La suspension temporaire des expulsions pour les familles vulnérables, instaurée en réponse à la covid-19, devrait être étendue et appliquée aux plus démunis, jusqu'à ce que soit trouvée une solution plus globale et stable de logement alternatif pour tous ceux qui en ont besoin. » Il importe que le projet de loi sur le logement, qui est examiné actuellement par le Parlement et qui traite de certains de ces problèmes, soit adopté dès que possible.
Il faut prendre des mesures supplémentaires pour renforcer l'accès universel à des services publics garantissant à tous des soins de santé de qualité dans toute l'Espagne. La Commissaire constate que les différences régionales sont particulièrement marquées dans la prestation des soins primaires et des soins spécialisés, ce qui s’explique notamment par la prédominance des cliniques privées dans certaines régions. « Les investissements consacrés aux soins primaires sont insuffisants. Un peu partout, le personnel de santé est épuisé et débordé. Les conditions d'emploi sont également préoccupantes car le secteur de la santé repose principalement sur des contrats courts », constate la Commissaire. Le taux de mortalité élevé des personnes placées en institution qui a été observé pendant l’épidémie de covid-19 dans certaines communautés autonomes doit encore faire l'objet d’enquêtes effectives et de réponses adéquates, auxquelles il convient d’associer étroitement les familles des victimes. La Commissaire se réjouit de l’initiative des autorités de réformer le système de prise en charge des personnes âgées. Cette réforme devrait être fondée sur une prestation intégrée de services sanitaires et sociaux, qui devrait garantir le plein respect de la dignité, de l’autonomie et de l’indépendance des personnes âgées.
« L’Espagne prend des mesures importantes pour protéger la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes et des filles. Elle devrait veiller à ce que les inégalités régionales ne compromettent pas cette évolution positive », a déclaré la Commissaire. Il est encourageant qu’un nouveau projet de loi prévoiede faciliter l'accès à l’avortement, entre autres, pour les filles à partir de 16 ans. De plus, le projet de loi renforcerait l’éducation complète à la sexualité dans les établissements scolaires, élargirait l’accès à la contraception moderne et permettrait de combattre différentes formes de violence obstétricale lors de l’accouchement, en donnant la priorité au droit des femmes à un consentement éclairé.
La Commissaire a appris avec préoccupation que la loi de 2015 sur la sécurité des citoyens continue d’avoir un impact négatif grave sur l’exercice des libertés d’expression et de réunion, notamment pour les défenseurs des droits humains et les journalistes, en créant un effet globalement paralysant sur la société. Les termes généraux et les formulations imprécises utilisés dans la loi laissent toute latitude aux forces de l’ordre pour interpréter ses dispositions et imposer des sanctions, d’où le risque qu’elle soit appliquée de manière disproportionnée et arbitraire. « Il n'y a pas de véritable sécurité sans droits humains. Le meilleur moyen d'assurer la sécurité des citoyens est de protéger et de garantir les droits humains de toutes les personnes, y compris leurs libertés d'expression et de réunion », a souligné la Commissaire, qui a ajouté que la révision de la loi de 2015 sur la sécurité des citoyens devrait être l'occasion de la mettre pleinement en conformité avec les normes européennes et internationales en matière de droits humains. En outre, la Commissaire reste préoccupée par les allégations de recours disproportionné à la force par les services répressifs, d'utilisation inappropriée d’armes antiémeutes et d'absence de numéros d'identification clairs et visibles, notamment lors des manifestations. Toutes les allégations d'abus de la part de la police doivent faire l'objet d'une enquête et être soumises à un contrôle judiciaire. De plus, il faudrait renforcer l’ensemble du système de responsabilisation des forces de l’ordre et assurer un contrôle adéquat de l'utilisation des pouvoirs coercitifs et de l'imposition de sanctions.
En ce qui concerne les droits humains des réfugiés, des demandeurs d'asile et des migrants, la Commissaire salue les mesures adoptées pour protéger et accueillir les personnes fuyant la guerre en Ukraine. Des dispositions ont aussi été prises pour améliorer les conditions d'accueil dans les îles Canaries, et davantage de fonds ont été alloués à la protection et à l’accueil des enfants migrants non accompagnés. Cependant, l'accès aux droits et à la protection varie considérablement d’une région à l’autre et reste très difficile pour de nombreux réfugiés et demandeurs d'asile. Parmi les problèmes rencontrés figurent les longues périodes d'attente précédant l’ouverture d’une procédure d'asile, les retards dans l'identification des vulnérabilités particulières et les obstacles entravant l'accès aux droits sociaux, notamment au logement et aux soins.
Sur la base des constatations qu’elle a effectuéesà Madrid et à Melilla, la Commissaire conclut à l’absence de possibilité réelle et effective de demander l'asile à la frontière entre Nador, au Maroc, et Melilla. « Dans la pratique, il ne semble pas y avoir d’autre moyen d’entrer à Melilla et de faire une demande de protection auprès des autorités compétentes que de nager ou d’escalader la clôture, au péril de sa vie. Il faut traiter cette situation de manière globale pour que les personnes ayant besoin d'une protection puissent pénétrer sur le territoire espagnol par des voies légales et sûres. » En outre, pour garantir une approche respectueuse des droits humains, il est indispensable de coopérer avec le HCR et les organisations de la société civile œuvrant pour la protection des réfugiés et des demandeurs d'asile.
Concernant les événements tragiques survenus le 24 juin 2022 lors de tentatives de franchissement de la clôture entre Nador et Melilla, où au moins 23 personnes ont trouvé la mort et de nombreuses autres ont été blessées, la Commissaire a salué l'ouverture d'enquêtes par le Procureur général et l’Ombudsman espagnol ; elle a souligné l’importance de faire en sorte que les responsables de toute violation des droits humains qui serait mise en évidence par ces enquêtes aient à répondre pleinement et effectivement de leurs actes. En outre, la Commissaire est préoccupée par les conclusions préliminaires de l’Ombudsman espagnol, qui a constaté que, ce jour-là, 470 personnes avaient été renvoyées au Maroc sans qu'aucune procédure légale n'ait été respectée. « Certes, tous les États ont le droit de contrôler leurs frontières et de coopérer avec d'autres États dans ce but, mais, ce faisant, ils doivent respecter pleinement les normes internationales applicables en matière de droits humains », a déclaré la Commissaire. L’Espagne, comme tout autre État membre du Conseil de l’Europe, doit se garder de contribuer, directement ou indirectement, à des violations des droits humains lorsqu’elle prend des mesures pour mettre en œuvre sa coopération avec des pays tiers dans le domaine migratoire. La situation aux frontières entre le Maroc et l'Espagne démontre une fois de plus l'urgence d'améliorer le partage des responsabilités et la solidarité entre les États membres du Conseil de l'Europe.
Au cours de sa visite, la Commissaire s’est entretenue avec la Présidente du Congrès des députés, Ana Meritxell Batet Lamaña, avec la Ministre de la Justice, Pilar Llop Cuenca, avec le Ministre de l’Inclusion, de la Sécurité sociale et des Migrations, Jose Luis Escrivá Belmonte, et avec le Ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares Bueno. Elle a aussi rencontré la Secrétaire d’État à la Santé, Silvia Calzon Fernández, la Secrétaire d’État à l’Égalité et à la Lutte contre la violence fondée sur le genre, Ángela Rodríguez, le Secrétaire d’État à la Sécurité, Rafael Pérez, la Secrétaire d’État au Programme 2030, Lilith Verstrynge, et le Secrétaire d’État à l’Union européenne, Pascual Ignacio Navarro Ríos. À Melilla, elle rencontré la Déléguée du gouvernement, Sabrina Moh, le Président de la ville, Eduardo de Castro, et des hauts responsables de la Guardia Civil et de la Police nationale. En outre, elle s’est rendue dans la zone frontière, y compris aux points de passage de Beni Enzar et du Barrio Chino, et a visité l’Office de l’asile et des réfugiés, le centre pour enfants migrants non accompagnés La Purísima, et le Centre d’accueil temporaire pour migrants (CETI). De plus, la Commissaire a rencontré l’Ombudsman espagnol (Defensor del Pueblo). Elle s’est aussi entretenue avec des membres de la société civile et d’organisations internationales.
Le rapport de la Commissaire sur sa visite en Espagne sera publié prochainement.