2007 - Carnet des droits de l'homme

Retour Prison à perpétuité : un réexamen de l’usage s’impose

Point de vue
On observe actuellement, en Europe, une tendance à infliger la réclusion à perpétuité à un nombre croissant de condamnés. Beaucoup de ceux qui ont à purger une telle peine sont privés de la possibilité d’être jamais libérés : ils sont détenus vraiment à perpétuité. Cette tendance vient en réaction à des manifestations extrêmement graves et violentes du crime organisé. Mais elle semble correspondre aussi à l’idée selon laquelle les membres de la classe politique doivent faire montre d’une forte détermination pour satisfaire à la demande populaire de châtiments plus durs. L’usage des peines de réclusion à perpétuité doit être soumis à un réexamen critique. Sont-elles nécessaires ? Sont-elles humaines ? Sont-elles compatibles avec les normes admises en matière de droits de l'homme ?

Au cours de mes visites dans les États membres du Conseil de l'Europe, j’ai pu rencontrer des individus détenus vraiment à perpétuité dans plusieurs prisons. Beaucoup d’entre eux sont soumis à des conditions très rudes. Trop souvent, les autorités les maintiennent sous un régime spécial, les traitant comme particulièrement dangereux et les coupant donc non seulement du monde extérieur, mais aussi – dans de nombreux cas – des autres détenus. De leur côté, les gardiens de prison ont pour tâche difficile de s’occuper de prisonniers que rien n’incite à bien se comporter.

Une distinction s’impose entre la durée de la peine imposée et le degré des restrictions jugées nécessaires pour motif de sécurité. Les individus concernés ne sont pas forcément plus dangereux que d’autres et ne doivent donc pas être maintenus automatiquement sous un régime de « sécurité maximum ». Chaque détenu est à évaluer individuellement en fonction de la menace qu’il représente pour la sûreté et la sécurité.

La question a été traitée dans la Recommandation adoptée en 2003 par le Comité des Ministres « concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée ». Ce document d’orientation énonce plusieurs principes directeurs importants :

Individualisation – Il doit exister, pour chaque détenu, un plan individuel d’application de la peine qui tienne compte des caractéristiques personnelles de l’intéressé.
Normalisation – La réclusion à perpétuité doit ressembler autant que possible à la vie dans la collectivité.
Responsabilité – Les détenus doivent avoir des possibilités d’exercer une responsabilité personnelle dans la vie quotidienne de la prison.
Sécurité et sûreté – Il convient d’établir une nette distinction entre les risques éventuels que la réclusion à perpétuité et les autres peines de prison de longue durée font courir au monde extérieur, aux détenus intéressés eux-mêmes, aux autres détenus et aux personnes qui travaillent en milieu carcéral ou y viennent en visite.
Non-ségrégation – Il faut éviter de pratiquer, au seul vu de la condamnation des intéressés, une ségrégation à l’égard des détenus qui purgent une peine de réclusion à perpétuité et des autres détenus condamnés à des peines de longue durée.

J’ai pu constater que ces principes n’étaient pas entièrement appliqués dans plusieurs États membres. La même conclusion peut être tirée des rapports publiés par le Comité européen pour la prévention de la torture, lequel a par ailleurs mis en lumière une série de problèmes psychologiques inhérents à cette catégorie de détenus, y compris la perte de l’estime de soi et la régression des aptitudes sociales.

À mon sens, la condamnation à un emprisonnement réellement perpétuel est une mauvaise pratique ; du moins devrait-on procéder à une révision de la peine dans un délai raisonnable. D’ailleurs, certains pays d’Europe n’autorisent pas la véritable réclusion à perpétuité, quel que soit le crime commis ; c’est le cas, par exemple, de la Norvège, du Portugal, de l’Espagne et de la Slovénie (bien que des peines de prison très longues et incompressibles puissent y être prononcées). Cela donne au moins au condamné une idée relativement claire de son avenir. D’autres pays autorisent la révision de la peine après une certaine période durant laquelle le comportement du détenu constitue normalement un critère. Dans ces cas, par conséquent, les condamnés peuvent avoir des perspectives de libération.

On relève toutefois un nombre croissant de détenus qui ne peuvent entretenir pratiquement aucun espoir d’être jamais libérés. Il ne faut donc pas s’étonner que soient signalés des cas de dépression grave et d’autres troubles psychologiques dans cette catégorie de détenus. Dans une prison que j’ai visitée dernièrement en Azerbaïdjan, j’ai pu me rendre compte de la tension provoquée par l’amertume et la frustration des détenus purgeant une vraie peine à perpétuité, qui avaient espéré que la durée effective de la peine pourrait être prochainement révisée, mais qui ont été informés que la chose ne serait possible qu’au bout de vingt-cinq ans. Les proches de ces personnes étaient désespérés aussi.

La réclusion à perpétuité sans possibilité de libération pose des problèmes de droits de l'homme. En effet, surtout lorsque s’y ajoutent des conditions de « sécurité maximum », elle peut équivaloir à un châtiment inhumain ou dégradant, violant ainsi l’Article 3 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.

Les peines de réclusion à une réelle perpétuité nient par ailleurs le principe humain selon lequel un individu peut changer. Bien entendu, il y a des criminels récidivistes, mais il y a aussi des exemples de détenus qui se sont amendés. Les condamnations judiciaires reposant sur l’idée que quelqu’un représente une menace permanente pour la société sont donc hors de propos. La réinsertion est une valeur à protéger, non à miner.

Il faut également se pencher sur le cas d’une nouvelle catégorie d’individus soumis à de vraies peines de réclusion à perpétuité : les délinquants qui n’ont jamais été condamnés à la prison à vie, mais qui pourraient bien, en fait, passer toute leur existence en prison. En vertu des nouvelles lois adoptées au nom de ce qu’on appelle la sécurité publique, des individus ayant commis des crimes graves se sont vu refuser non seulement la libération conditionnelle, mais aussi la libération définitive une fois leur peine entièrement purgée, pour peu que des experts les aient catalogués comme dangereux. Si le détenu se voit refuser la libération jusqu’à la fin de sa vie, cela équivaudra pour lui – de facto – à une réclusion à perpétuité.

Une telle législation ne laisse pas de soulever des questions quant à sa compatibilité avec la primauté du droit, le principe de certitude juridique et le droit de n’être pas jugé ou puni deux fois, principes importants de nos systèmes de droit pénal et des normes internationales en matière de droits de l'homme. Les détenus ayant pour perspective une détention indéfiniment prolongée ne se trouvent-ils pas dans une situation d’« angoisse croissante » condamnée par la Cour européenne en ce qui concerne les couloirs de la mort(1) ?

Deux importantes affaires de réclusion à perpétuité sont en instance devant la Grande Chambre de la Cour(2). Les décisions qui seront prises dans ces affaires orienteront l’interprétation de la Convention européenne en la matière.

J’ai la conviction qu’il faut remettre en question la tendance actuelle à infliger des peines de réclusion à perpétuité. Des châtiments sévère resteront nécessaires dans certains cas pour protéger la sécurité publique, mais avec de la volonté politique, il est possible de faire une place aux considérations humaines et de laisser aux détenus des chances de réinsertion.

Thomas Hammarberg
Strasbourg 12/11/2007
  • Diminuer la taille du texte
  • Augmenter la taille du texte
  • Imprimer la page