Conference « The Charter of Fundamental Right of the EU : assessing and responding to the training needs of legal practitioners and public officials »

Brussels, 17-18 December 2014

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi tout d’abord de remercier la Commission européenne et le directeur Paul Nemitz de m'avoir convié à cette importante conférence. J'ai été invité, en tant que représentant du Conseil de l’Europe, à introduire brièvement trois sujets : le premier, l'adhésion de l'Union européenne à la CEDH ; le deuxième, le dialogue entre les juges et, enfin, la formation aux droits de l'homme pour les professionnels du droit. J’envisagerai ces trois sujets dans la perspective d’assurer la cohérence et l’optimisation de l’impact des instruments de protection des droits de l’homme.

  1.  ADHESION DE L’UE A LA CEDH

L'adhésion de l'Union européenne à la CEDH constituera une étape majeure dans le développement de la protection des droits de l'homme en Europe. L'objectif de cette adhésion est précisément d'améliorer la cohérence de la protection des droits de l'homme en renforçant la participation, la responsabilité et l'opposabilité dans le système de la Convention. Ainsi, les actes, les mesures et les omissions de l'Union européenne, ainsi que des personnes agissant en son nom, seront soumis au contrôle externe d'un organe juridictionnel international indépendant, la Cour européenne des droits de l'homme. Cela est d'autant plus important que les Etats membres de l'Union européenne ont transféré des compétences considérables à l'Union européenne.

La Cour de Strasbourg sera ainsi appelée à assurer une application et une interprétation uniformes des droits fondamentaux et des libertés fondamentales pour l'ensemble du continent européen. Cette adhésion s'impose d'autant plus pour la cohérence des droits fondamentaux en Europe que la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne fait désormais partie du droit primaire de l'Union européenne. Les risques d'interprétations divergentes entre les deux Cours ne sont donc pas négligeables, surtout si l’on considère le nombre important de références à la Charte sur le plan national et par la CJUE.

Par ailleurs, d’un point de vue plus politique, cette adhésion va renforcer la crédibilité de l'Union européenne en matière de protection et de promotion des droits de l’homme face à ses Etats membres, qui sont tous parties à la CEDH, et face aux autres Etats, tout particulièrement dans sa politique de voisinage. Pour le Conseil de l'Europe, l'adhésion ouvrira des perspectives nouvelles de rapprochement institutionnel avec l'Union européenne.

Aussi est-ce avec le plus grand intérêt que nous attendons l'avis de la Cour de Luxembourg sur le projet d'accord d'adhésion, avis qui devrait être connu demain et qui permettra de définir la suite de la procédure.

  1. DIALOGUE ENTRE LES JUGES

Mon deuxième sujet, le dialogue entre les juges, me paraît fondamental afin d’optimiser l’impact des instruments de droits de l’homme.

Le défi consiste à savoir comment parvenir, par des moyens juridictionnels et non-juridictionnels, à renforcer la communication d’une part entre les juges des Cours nationales et les Cours de Luxembourg et de Strasbourg et, d’autre part, entre les deux Cours européennes.

La Cour de Strasbourg, pour sa part, s’efforce de renforcer un dialogue permanent avec les Cours suprêmes et constitutionnelles des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe. L’on sait, par ailleurs, que les Cours de Luxembourg et de Strasbourg, leur Président respectif, se rencontrent régulièrement. Je suis convaincu que ce dialogue est aujourd’hui plus que jamais indispensable pour renforcer la compréhension et la confiance entre les cours, compréhension et confiance qui ont été mises à mal dans plusieurs de nos Etats membres ces derniers temps.

J’ajoute de surcroît que les programmes de coopération permettent des visites et des mises à disposition à Strasbourg et à Luxembourg de juges des Cours suprêmes et d’autres juridictions.  Il s’agit de pratiques qu’il convient de saluer et d’encourager.

Le Protocole additionnel n° 16 à la CEDH – le protocole du dialogue – offrira la possibilité de renforcer l’effet interprétatif de la Convention en permettant aux cours nationales de dernières instances de demander des avis consultatifs à la Cour de Strasbourg. Même si les opinions divergent sur les potentialités de ce Protocole, des avis de la Cour de Strasbourg pourraient s’avérer précieux face à de potentielles lacunes systémiques dans les Etats membres, afin de prévenir une avalanche de recours à Strasbourg. Ces avis pourraient s’avérer utiles également, par exemple, face aux nouveaux défis posés par les nouvelles technologies d’information et de communication ou dans le domaine de la bioéthique, défis auxquels la CJUE est également confrontée de manière croissante. Les juges nationaux pourraient particulièrement apprécier que la Cour de Strasbourg leur apportent, en amont, une perspective européenne de ces questions nouvelles.

Le dialogue entre différents acteurs de la CEDH est également favorisé par d’autres acteurs du Conseil de l’Europe, notamment la Commission de Venise. Elle favorise le dialogue entre les Cours constitutionnelles et suprêmes sur le plan européen et le plan mondial, favorisant ainsi une interprétation harmonisée des principaux instruments internationaux protecteurs des droits de l’homme.

  1. FORMATION AUX DH DES PROFESSIONNELS DU DROIT

Ces observations m’amènent au troisième et dernier sujet de mon intervention, celui de la formation des professionnels du droit aux droits de l’homme ainsi que de leur accès à la jurisprudence des Cours européennes. C’est bien la formation qui permet aux juges et autres professionnels du droit non seulement d’acquérir des techniques et méthodes nécessaires à la compréhension et à l’application de la Convention et de la jurisprudence de la Cour, mais aussi de regagner une liberté de raisonnement sans laquelle ils ne seront jamais indépendants.

Le Conseil de l’Europe met au service des professionnels du droit des programmes de formation adaptés par le biais de notre fleuron dans ce domaine, connu sous le nom de HELP (acronyme anglais pour Human Rights Education for Legal Professionals). Il s’agit d’un programme pan-européen qui vise à intégrer la Convention, mais aussi la Charte des Droits Fondamentaux et d’autres instruments internationaux, dans la formation juridique nationale. La formation, en effet, joue un rôle de premier plan tant pour l’anticipation des violations que pour l’exécution des arrêts. Dans ce contexte, permettez-moi d’insister sur l’importance du statut réel de la CEDH en droit national, l’incorporation formelle de la CEDH en droit national n’est pas, à elle seule, déterminante : encore faut-il que cette incorporation se matérialise à un niveau suffisant et efficace, permettant une application directe par le juge national. Dans ce contexte, il serait souhaitable, afin d’assurer l’erga omnes, ou en d’autres termes, l’application par anticipation de la jurisprudence de la Cour, de compléter l’autorité de la chose jugée par l’autorité de la chose interprétée.

Assurer une formation de qualité pour les juges, les procureurs et les avocats européens est une priorité absolue pour le Conseil de l’Europe et ses Etats membres. L’objectif ultime d’un programme comme HELP est que le professionnel du droit européen acquiert le réflexe de se référer à la CEDH et à la jurisprudence de la Cour de manière pertinente, dans sa pratique professionnelle quotidienne.

HELP adopte une approche  horizontale, intégrant des thématiques abordées par d’autres entités du CdE, telles que les droits des enfants, les droits sociaux, ou les questions d’asile.

La Recommandation du Comité des Ministres (2004)4, sur la formation à la CEDH dans les programmes universitaires et la formation professionnelles, a été une étape clé afin de soutenir les Etats membres du CdE à établir des institutions de formation nationales stables qui intègrent les droits de l’homme de manière horizontale. Le CM revisitera cette Recommandation en 2015 pour prendre en compte les dernières tendances en termes de formation.

Une autre étape décisive a été la Déclaration de Brighton de 2012, dans laquelle les Etats membres du CdE ont exprimé leur détermination à assurer une mise en œuvre effective de la CEDH au niveau national. Suite à Brighton, HELP est devenu la plateforme pour toutes les initiatives de formation aux droits de l’homme au sein du CdE. 

Cela dit, il n’en demeure pas moins – et l’on insistera jamais assez sur ce point – que la responsabilité première de la formation se situe au niveau national. C’est pourquoi HELP est avant tout un Réseau d’institutions de formation pour juges, procureurs et barreaux des 47 Etats membres du CdE.

La principale valeur ajoutée de HELP est que les cours de formation offerts, principalement en ligne, sont traduits et adaptés à l’ordre juridique interne. Ceux-ci mènent à la certification par le CdE et l’institution de formation nationale concernée du cours donné au niveau national. Cette certification est primordiale pour assurer la motivation des participants de même que l’intégration de ces cours sur le long terme par les institutions nationales.

Enfin, je suis ravi de conclure mon intervention en mentionnant le projet « HELP dans les 28 » qui débutera en janvier 2015. « HELP dans les 28 », qui est subventionné par le Programme des droits fondamentaux et la citoyenneté de la DG JUST, permettra de développer des cours d’importance capitale pour les professionnels du droit dans les 28 Etats membres de l’UE. Les thèmes étudiés seront : le droit à l’intégrité de la personne ; la lutte contre toute forme de discrimination raciale et l’homophobie ; le droit du travail ; le droit à la protection des données. Le défi pour les professionnels du droit consiste à combiner les diverses sources de droit et de distinguer laquelle appliquer face à une violation potentielle des droits fondamentaux.  

La coopération avec le Réseau de formation judiciaire européen (EJTN), déjà partenaire clé du Programme HELP, dans ce projet sera une manière de renforcer les synergies entre l’UE et le Conseil de l’Europe, objectif permanent de nos deux Organisations.