Carnet de bord

La Commission de Venise du Conseil de l'Europe a organisé, en coopération avec la Section de l'administration publique du Ministère de l'Intérieur de la République slovaque et la Commission d'Etat pour les élections et le contrôle du financement des partis politiques de la République slovaque, la seizième Conférence européenne des administrations électorales à Bratislava, Slovaquie, les 27 et 28 juin 2019.
Le thème de la conférence était "Le traitement du contentieux électoral". Les participants ont plus précisément débattu de trois questions principales :

  • Contentieux électoral, problèmes récurrents ;
  • Jurisprudences internationales et nationales ; et
  • Comment rendre le traitement du contieux électoral plus accessible et plus efficace ? Vers des recommandations

Denisa Sakova, ministre de l'Intérieur de la République slovaque, Miroslav Lajčák, ministre des Affaires étrangères de la République slovaque et Gianni Buquicchio, président de la Commission de Venise du Conseil de l'Europe, ont ouvert la conférence.
Une centaine de participants venus de 37 pays ont assisté à la Conférence, représentant des administrations électorales et d'autres organes impliqués dans les processus électoraux, en particulier les juges chargés du règlement des différends électoraux.
Plusieurs institutions internationales ont participé à la Conférence, notamment l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe/Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (OSCE/BIDDH), l'Organisation des États américains (OEA), la Fondation internationale pour les systèmes électoraux (IFES), l'International Institute for Democracy and Electoral Assistance - International IDEA, l'Assemblée parlementaire de la Communauté des États indépendants (CEI).

 

Conclusions

La 16e édition de la Conférence européenne des administrations électorales (EMB) s'inscrit dans le prolongement d'une série réussie de conférences internationales dans le domaine électoral. Cette édition s'est tenue à Bratislava, en République slovaque, les 27 et 28 juin 2019 et était consacrée au « Traitement du contentieux électoral » (TCE), un sujet difficile à la fois pour les administrations électorales et pour les autres organismes ou institutions concernés par les élections dans le monde entier.

Les processus électoraux en Europe et au-delà comprennent une série complexe d'étapes successives qui nécessitent la participation de nombreux acteurs, principalement les électeurs, les candidats et les administrations électorales. Ces étapes conduisent inévitablement à des querelles, ce qui fait naturellement partie d'une vie politique intérieure animée, qui à son tour fait partie intégrante d'un système pluraliste solide.

L'évaluation des mécanismes de règlement des différends électoraux et de leur mise en œuvre fait partie intégrante des rapports publiés par les observateurs électoraux internationaux ainsi que des avis électoraux de la Commission de Venise et de l'OSCE/BIDDH. Tant l'expertise juridique international que l'observation des élections demeurent des outils essentiels pour garantir l'efficacité des systèmes de TCE, ce qui exige une législation claire et sa mise en œuvre de bonne foi.

Le traitement efficace du contentieux électoral est un élément essentiel du succès d'un processus électoral et devrait être assuré avant, pendant et après le jour du scrutin. Il a été observé à cet égard que des différends peuvent survenir à tout moment du cycle électoral, principalement pendant la période préélectorale, y compris pendant l'inscription des électeurs et des candidats, la campagne électorale et sa couverture par les médias. Les procédures du jour du scrutin, qui comprennent les phases d'ouverture, de vote, de clôture et de dépouillement, conduisent naturellement à des litiges. Les résultats des élections et leur dépouillement sont d'autres parties du processus qui font souvent l'objet d'un appel. A chacune de ces étapes, les administrations électorales sont directement impliquées et touchées par de tels litiges.

Le TCE est directement ou indirectement traité par les instruments internationaux et la jurisprudence internationale, interprétés et mis en œuvre au niveau national dans la législation électorale nationale et la jurisprudence qui en découle. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et, pour les Etats membres du Conseil de l'Europe, le premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme sont les instruments internationaux pertinents dans le domaine électoral, plus particulièrement pour le traitement du contentieux électoral. Ces textes ont été complétés en Europe par une jurisprudence développée de la Cour européenne des droits de l'homme par laquelle elle fournit son interprétation autonome de la Convention européenne et de ses protocoles. Les normes internationales ont également complété ces textes et la jurisprudence, en particulier le Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de Venise, les Documents de l'OSCE de Copenhague – 1990 et de Moscou – 1991. L'expérience latino-américaine en matière de TCE présente également un intérêt particulier en tant que source de bonnes pratiques.

Bien que le TCE puisse apparaître comme un sujet technique, la volonté politique nécessaire et la bonne application de la loi sont cruciales. Pour être efficace, le TCE exige également le respect des droits fondamentaux et des normes internationales, telles que l'indépendance du pouvoir judiciaire, l'existence d'un recours judiciaire effectif et le droit à un procès équitable et à une procédure régulière. La conformité avec les normes internationales doit être assurée, en particulier en ce qui concerne la compétence des organes traitant de tels différends, les motifs des recours et les décisions susceptibles de recours, les personnes ou catégories de personnes habilitées à porter plainte, les délais de dépôt des recours et de traitement de tels recours et la clarté du processus décisionnel. Plus précisément, si les délais sont trop longs ou trop courts ou si les règles pour soumettre de tels recours sont trop strictes, ils pourraient empêcher les requérants de bénéficier d'un recours effectif.

En ce qui concerne les organes compétents, il est recommandé de prévoir des procédures de recours claires et cohérentes afin d'éviter une complexité excessive. Il faut éviter les conflits de compétence entre les commissions électorales et les tribunaux et les possibilités de double dépôt d'un même recours. La législation électorale devrait prévoir que les organes judiciaires – tribunaux constitutionnels ou ordinaires – soient l'autorité finale pour statuer sur les litiges électoraux tout en évitant les risques de conflits de juridictions.

Les décisions dans le domaine électoral devraient pouvoir être contestées et la législation nationale devrait permettre de faire appel de tous les types d'erreurs. Les États devraient avoir l'obligation de prévenir et de sanctionner les irrégularités et les violations de la législation électorale. Il est recommandé qu'au minimum, les motifs d'appel ne se limitent pas aux violations des droits électoraux, des libertés fondamentales et des intérêts résultant des décisions et des actions de l'État, mais qu'ils incluent également l'inaction et l'application inadéquate de la loi électorale, ainsi que les violations de celle-ci par des acteurs non gouvernementaux. Cela inclut également les décisions prises par les commissions électorales à tous les niveaux.

La plupart des pays accordent le droit de déposer des recours électoraux sur le droit de vote et d'éligibilité, tant aux électeurs qu'aux candidats, alors que quelques pays prévoient également cette possibilité pour d'autres catégories de personnes. Le développement dans la loi des catégories de personnes habilitées à déposer des recours pourrait être envisagé pour renforcer les procédures de TCE et accroître la confiance dans les processus électoraux dans leur ensemble, à condition que des garanties soient en place pour empêcher que des recours frivoles ne soient déposés par des personnes qui souhaitent empêcher les organes compétents d'exercer leurs fonctions. Une distinction pourrait être faite en ce qui concerne la qualité pour agir, en fonction de l'objet de la décision à l'examen (par exemple, l'inscription des électeurs et des candidats, la campagne, les résultats des élections).

En ce qui concerne les délais, la conduite d'un processus électoral exige des décisions et des actions rapides dans un délai prédéterminé. La législation électorale nationale devrait donc prévoir des délais courts pour le dépôt de recours et la prise de décisions rapides par les organes compétents, en raison de l'urgence du TCE, sauf le cas échéant pour des décisions complexes sur la validité des élections, sans restreindre les droits et libertés des électeurs, des partis politiques et des candidats en matière de suffrage et de candidature. Parmi les problèmes observés dans les systèmes de TCE, il existe une tension entre, d'une part, les délais de dépôt des recours et de décision sur les recours et, d'autre part, la complexité des faits de certaines affaires électorales concernant l'examen des résultats des élections, les campagnes électorales et leur financement.

Concernant le pouvoir de décision, la plupart des systèmes de TCE laissent un pouvoir de décision large aux tribunaux ou aux commissions électorales, en particulier en ce qui concerne la question sensible de l'annulation des élections. Des améliorations sont possibles dans un certain nombre de pays où la loi ne prévoit pas nécessairement la possibilité d'annuler tout un processus électoral, décision qui peut être nécessaire dans certaines situations, car il peut être nécessaire de clarifier la législation en ce qui concerne les cas d'annulation partielle ou totale des résultats des élections. Lorsqu'il s'agit de l'annulation des résultats des élections, le rôle des tribunaux est essentiel dans l'examen de ces questions, en particulier dans l'interprétation de la loi. Cela est particulièrement important lorsque le juge apprécie dans quelle mesure les infractions à la loi ont pu influencer les résultats et, par conséquent, la répartition des sièges au parlement. Les candidats élus sont souvent les principales victimes de l'annulation des élections car ils peuvent ne pas être directement coupables d'une violation de la loi.

D'autres questions de procédure à examiner en matière électorale concernent l'efficacité des systèmes nationaux de TCE. Cela inclut l'exercice effectif du droit de vote et d'éligibilité des individus, toute restriction devant être interprétée de manière restrictive. La confiance dans l'administration de l'État et dans l'ensemble du processus électoral, ainsi que la nécessité de fournir des garanties juridiques concernant les preuves et la possibilité d'entendre les parties contester une décision dans le domaine électoral sont autant de garanties essentielles pour des élections démocratiques. Le système de TCE devrait être transparent, facilement accessible et dépourvu de formalisme. Les bonnes pratiques à cet égard comprennent un processus décisionnel participatif, l'introduction d'un registre des recours en ligne, l'audit du TCE, la sensibilisation, la formation des administrations électorales ainsi que d'autres parties prenantes, notamment les requérants potentiels. L'importance de décisions motivées et substantielles doit être soulignée, malgré l'exigence d'un examen rapide des recours électoraux.

Dans le courant de l'année, la Commission de Venise devrait adopter un rapport comparatif sur le traitement du contentieux électoral dans le but d'examiner les problèmes et tendances communs en matière de règlement efficace des différends électoraux, en tenant compte des différents systèmes juridiques existants. Les participants à la Conférence ont appuyé l'idée d'élaborer des directives visant à renforcer les mécanismes de TCE dans la législation de leurs États membres.