« Les leçons à tirer de l’impact de la crise sanitaire de la COVID-19 sur les processus électoraux »

I. Introduction

L’année 2020 aura été inédite à de nombreux égards du fait de la pandémie de COVID-19, y compris concernant la tenue d’élections et de référendums. Alors que de nombreux scrutins, nationaux comme locaux et régionaux, ont été décalés afin de faire face à l’urgence sanitaire, d’autres se sont tenus dans les délais impartis, mais en aucun cas comme ils ont pu se tenir avant cette pandémie. Il s’est agi, pour les administrations électorales notamment, d’une véritable gestion de crise.

L’édition de 2020 des Conférences européennes des administrations électorales avait déjà partiellement traité de la tenue d’élections en périodes de crise. A la demande de plusieurs administrations électorales, la Commission de Venise a décidé de revenir sur ce thème en mettant en lumière les scrutins qui se sont tenus depuis la dernière conférence des 12 et 13 novembre 2020, et en tenant compte des travaux de la Commission de Venise sur le sujet[i]. L’objectif de la conférence est également d’élargir le débat à toutes formes de crises que pourraient connaître les Etats, leurs populations et leurs institutions dans le futur, afin d’anticiper la gestion de crises futures.

La 18e Conférence européenne des administrations électorales vise ainsi à dresser l’état des lieux des problèmes posés par la pandémie, ainsi que des solutions apportées par les administrations électorales pour la bonne tenue des scrutins et des campagnes électorales durant des situations d’urgence, dans le respect du patrimoine électoral européen.

II. Contexte et principes à prendre en considération

Cette conférence s’inscrit dans le contexte suivant :

L’urgence à laquelle les autorités ont eu à faire face était double : l’urgence due à la crise sanitaire elle-même, et l’urgence de trouver des solutions juridiques dans un domaine largement inexploré. Le défi a ainsi été considérable, d’autant que les scrutins ne sont pas un événement d’un jour, mais un processus complexe, de l’enregistrement des électeurs et des candidats à la résolution des litiges électoraux.

Le terme « mesures d’urgences » recouvre cependant des situations juridiques ou de fait très variées selon les Etats concernés. Certains Etats ont fait appel à l’état d’urgence de jure, tel que soumis aux règles de l’ordre juridique interne. D’autres Etats ont au contraire annoncé une situation d’urgence sanitaire sans pour autant enclencher le mécanisme constitutionnel d’état d’urgence, faisant appel à la législation ou à la réglementation ordinaire ou d’urgence déjà en vigueur – principalement le droit de la santé publique –, ou en adoptant de nouvelles règles sans proclamer l’état d’urgence.[ii]

Dans les deux cas de situations d’urgence (état d’urgence de jure ou de facto), les mesures prises ont eu pour conséquence un pouvoir accru de l’exécutif et des conséquences directes sur les droits fondamentaux, qui ont subi de nombreuses restrictions. Dans le domaine des élections, les libertés d’expression et surtout de réunion pendant les campagnes électorales ont été largement affectées. Lorsque les scrutins n’ont pas été reportés, l’organisation du scrutin, voir les modalités de vote proprement dites ont été affectées.

La question se pose donc de savoir si les mesures prises ont respecté les principes du patrimoine électoral européen. On pensera en particulier :

  • au suffrage universel, et à sa mise en cause par la limitation de l’accès au scrutin ;
  • à la libre formation de la volonté de l’électeur, et à l’impact sur celleci des restrictions de campagne ;
  • au caractère périodique des élections, qui peut être affecté par leur report ;
  • à la stabilité du droit électoral, malmenée par l’adoption de règles spéciales dans un délai très court[iii] ; et, évidemment
  • à l’exercice des droits fondamentaux, en particulier de la liberté d’expression et de réunion en matière politique, pendant le processus électoral.

A cela s’ajoute le respect des principes de la légalité et de la séparation des pouvoirs, notamment en cas de large délégation de compétences normatives aux administrations électorales.

Des principes essentiels sont donc en cause[iv]. Les débats viseront à examiner comment assurer leur respect dans des situations d’urgence, à la lumière de l’expérience acquise.

III. Questions à traiter

Les questions suivantes seront dès lors traitées :

a) Quelles solutions règlementaires et pratiques les administrations électorales ont-elles trouvées pour assurer la sécurité des processus électoraux en période d’urgence ?

b) Quel rôle les administrations électorales ont-elles joué pour assurer une bonne participation électorale, notamment des femmes et des groupes vulnérables ?

c) Quel rôle les administrations électorales ont-elles joué afin d’assurer la continuité des processus d’observation électorale et la transparence des campagnes électorales ? Les administrations électorales ont-elles pu organiser les scrutins dans les conditions requises pendant ces périodes d’urgence au regard de leur situation financière et matérielle ?

Sur la base de ces questions, les participants à la conférence seront invités à débattre des points suivants :

a) Quelles solutions règlementaires et pratiques les administrations électorales ont-elles prises pour assurer la sécurité des processus électoraux en période d’urgence ?

Sous-question :

▷ Quel cadre règlementaire les administrations électorales ont-elles mis en place pour assurer la sécurité des processus électoraux ?

Contexte

La bonne organisation des opérations de vote implique d’abord d’assurer la sécurité de ces opérations en périodes de crises, qu’il s’agisse de sécurité sanitaire ou d’un autre ordre. La pandémie de COVID-19 a obligé les administrations électorales à s’adapter, en urgence, pour garantir la bonne tenue des scrutins. Selon les pays, des solutions très différentes, souvent inventives et inédites, ont été trouvées. Ainsi, comme le souligne le Rapport intérimaire de 2020 de la Commission de Venise, parmi les éléments qui doivent être établis avant de retarder une élection, autorité doit être donnée aux administrations électorales pour qu’elles développent les cadres juridiques réglant la procédure applicable[v]. Cela implique que les administrations électorales puissent mettre en place de nouvelles règlementations et mesures pratiques suffisamment en amont des scrutins afin de garantir le respect du principe de stabilité du droit électoral.

Sous-question

▷ Quel cadre pratique les administrations électorales ont-elles mis en place pour assurer la sécurité des électeurs et du personnel électoral ?

Contexte

Assurer la sécurité d’un scrutin pendant une période de crise implique également une logistique solide et adaptée, à commencer par l’acquisition du matériel et les dispositions pratiques à mettre pour faire face, par exemple, à une crise sanitaire – masques, désinfectant, salles de vote plus grandes, voire installation de bureaux de vote à l’extérieur ou d’un plus grand nombre de bureaux de vote, centres de tests rapides à proximité des bureaux de vote, etc. Cela implique également que les forces de l’ordre soient aussi mobilisées et préparées, quel que soit le type de crise concerné.

Cela implique aussi d’assurer la sécurité des électeurs et un travail d’information auprès d’eux, en particulier à destination des groupes vulnérables, sur les nouvelles règles pratiques mises en place, et, autant qu’une crise le permet, l’introduction graduelle de méthodes de vote alternatives[vi]. Cela peut également impliquer une date différente des élections par rapport à celle prévue par la loi, l’étalement du scrutin sur plusieurs jours afin d’avoir moins d’électeurs en même temps, l’éventuelle dispense d’inscription ou de nomination des candidats, des modalités de vote et de dépouillement adaptées ou encore l’obligation de recueillir des signatures de soutien[vii].

Afin d’assurer la sécurité du personnel électoral, notamment le jour du scrutin et lors du dépouillement[viii], il convient de tenir compte du potentiel d’automatisation des procédures électorales et des mesures particulières qui peuvent être le cas échéant nécessaires : introduction de machines à voter ; allongement des différents délais, y compris pour le dépouillement des suffrages ; dépouillement automatique des bulletins ; exemption de certaines exigences pour les candidats, comme la collecte de signatures (si elle n’est pas possible en ligne) ; etc.[ix]. Les administrations électorales ont ainsi dû adapter les procédures de vote existantes, par exemple en raccourcissant le séjour à l’intérieur du bureau de vote pour éviter les contacts inutiles et les risques de contamination ; en prévoyant le dépôt les pièces d’identité sans qu’elles aient besoin d’être manipulées par le personnel du bureau de vote ; l’utilisation de gants ; l’établissement de voies d’entrée et de sortie ; etc.[x]. Comme le personnel électoral doit être protégé, un délai supplémentaire peut être nécessaire pour recruter plus de personnel – afin de remplacer au besoin le personnel tombé malade – et lui donner une formation appropriée, notamment sur les risques liés à la crise en question, sur le bon usage du matériel, etc.

b) Quel rôle les administrations électorales ont-elles joué pour assurer une bonne participation électorale, notamment des femmes et des groupes vulnérables ?

La conférence traitera aussi de la question de la participation électorale en temps de crise et notamment des femmes et des groupes vulnérables[xi].

Sous-questions

▷ Quelles mesures les administrations électorales ont-elles mises en place en faveur du maintien ou de l’accroissement de la participation électorale, notamment des femmes et des groupes vulnérables ?

▷ Quel est le retour d’expérience des administrations électorales qui ont organisé des scrutins avec des modalité de vote alternatives ?

Contexte

Nos démocraties souffraient déjà d’un déficit de participation avant la pandémie de COVID-19. La crise sanitaire a parfois accentué cette tendance, à la fois concernant l’engagement citoyen pendant les campagnes et la participation électorale le jour du scrutin. Comme l’indiquent les Réflexions 2020 de la Commission de Venise[xii] et l’IFES[xiii], la tenue d'élections lors de situations extraordinaires, telles que les pandémies, entraîne une baisse de la participation et donc de la légitimité des élections, notamment parce que les groupes les plus vulnérables risquent de ne pas participer aux élections et que la répartition des mandats pourrait donc différer des préférences de la société[xiv]. Qui plus est, s’il y a un seuil de participation, les entraves factuelles ou juridiques à la liberté de circulation dans le pays ou aux possibilités de vote depuis l’étranger doivent être prises en compte, puisque la situation pourrait entraîner l’invalidité des résultats.

Les modalités de vote ont une incidence directe sur la participation. Toutes les modalités de vote à distance – vote postal, par correspondance, par procuration, par internet ou par urnes mobiles – ainsi que le vote anticipé, augmentent la participation, notamment en cas de pandémie.

Cependant, si des modalités de vote à distance sont mises en place, le risque de « vote familial » ou groupé est accru et les possibilités de contrôle très réduites, ces phénomènes touchant plus particulièrement les femmes d’une part et les groupes vulnérables d’autre part. Les femmes, les personnes âgées et les personnes handicapées peuvent être particulièrement vulnérables à une coercition et leur droit au secret pourrait être compromis si l'introduction du vote par correspondance ou d'autres méthodes de vote alternatives n'était pas accompagnée de garanties adéquates[xv]. Le vote par procuration, régi par un cadre juridique clair, pourrait quant à lui offrir aux personnes âgées et membres de groupes vulnérables une autre possibilité de voter sans devoir se rendre dans un bureau de vote[xvi].

Si le vote en ligne n’est en temps normal qu’une modalité de vote parmi d’autres, ne prévoir que cette modalité pourrait entraîner la participation des seuls électeurs qui y sont habitués et une forte abstention chez les autres, notamment les électeurs âgés et appartenant à des populations vulnérables. Cela pourrait avoir un impact sur le résultat des élections et notamment favoriser les partis politiques soutenus par les électeurs des classes supérieure et moyenne supérieure. Les personnes qui votent en ligne et celles qui utilisent d’autres moyens peuvent en effet avoir des préférences politiques différentes[xvii].

c) Quel rôle les administrations électorales ont-elles joué afin d’assurer la continuité des processus d’observation électorale et la transparence des campagnes électorales ? Les administrations électorales ont-elles pu organiser les scrutins dans les conditions requises pendant ces périodes d’état d’urgence au regard de leur situation financière et matérielle ?

Sous-question

▷ Quelles solutions innovantes les administrations électorales et les organisations observatrices ont-elles trouvées pour assurer la continuité de l’exercice d’observation en période de crise sanitaire, notamment de l’observation des différentes formes de vote à distance ?

Contexte

Les débats aborderont également l'observation électorale et les solutions innovantes adoptées par les organisations observatrices nationales et internationales dans le contexte des périodes d'urgence. En l’absence d’observateurs et sans procédures transparentes, les possibilités de fraude et de manipulation des résultats peuvent nettement s’aggraver, y compris quand l’accès dans le pays des observateurs étrangers est restreint pour raisons sanitaires ou autres raisons de sécurité. De plus, l’observation peut s’avérer plus compliquée lorsqu’un scrutin est étalé sur plusieurs jours. Parmi les mesures à envisager, il peut être envisagé de réduire le nombre d’observateurs et de mandataires des partis assignés dans un même bureau de vote ou un même secteur sans réduire les possibilités d’une observation adéquate. L’équité du scrutin peut toutefois être plus facilement garantie si l’administration électorale a une longue tradition d’indépendance et s’il existe des possibilités d’observation en ligne.

Sous-question

▷ Quelles solutions les administrations électorales ont-elles trouvées pour assurer la transparence et l’équité des campagnes électorales, notamment dans les médias (publicité, débats), pendant les situations d’urgence ?

Contexte

La bonne tenue des campagnes électorales en périodes de crises suppose de garantir la transparence des campagnes en présentiel d’une part et sur les médias sociaux d’autre part, malgré l’état d’urgence. Dans une situation d’urgence, par nature exceptionnelle, la liberté de circulation pendant les campagnes électorales « en personne » ou encore la liberté d’expression subissent des restrictions et il peut être difficile de garantir le principe d’égalité des chances dans un contexte où la désinformation, la mésinformation et les infox sont plus faciles. Certains aspects de la campagne électorale, tels que les rassemblements ou les visites de porte-à-porte, peuvent être limités. Le gouvernement et les autres parties prenantes peuvent ainsi éprouver certaines difficultés à lutter contre la désinformation, la mésinformation et les infox, ce qui implique une coopération de tous les acteurs concernés, y compris le cas échéant les administrations électorales. En situation d’urgence, la désinformation, la mésinformation et les infox se répandent de façon accrue. Il convient donc d’accorder une attention particulière à ce problème lorsque des élections se tiennent sous état d’urgence.

De plus, dans une telle situation, les grandes préoccupations de la société risquent de s’éloigner des thèmes qui devraient être débattus pour élire l’assemblée législative notamment. Ainsi, si une campagne électorale peut rester possible pendant l’état d’urgence, une attention particulière doit être accordée au devoir de neutralité des autorités, ainsi qu’à l’obligation des radiodiffuseurs de couvrir les campagnes électorales de manière équitable, équilibrée et impartiale[xviii].

Sous-question

▷ Les administrations électorales ont-elles été dotées de moyens adéquats pour faire face à la crise sanitaire et organiser des élections avec toutes les garanties démocratiques requises ?

Contexte

La bonne tenue des campagnes électorales implique également un financement pérenne et au besoin adapté des administrations électorales ainsi que le matériel nécessaire dans un contexte de crise sanitaire. Organiser un scrutin en situation d’urgence pourrait s’avérer plus coûteux pour les institutions de l’État et les autorités locales et régionales, en particulier les municipalités, que de reporter les élections, compte tenu des mesures spéciales probablement nécessaires pour assurer la sécurité de toutes les parties prenantes. Sous état d’urgence, le budget de l’État doit servir au maximum à faire face aux circonstances extraordinaires, et la tenue d’élections risque de relever du luxe[xix]. Pour organiser des élections en période d’état d’urgence, des ressources financières sont donc nécessaires pour garantir la sécurité du processus de vote et notamment l’achat du matériel de protection et de nettoyage. Dans le même temps, il y a un risque élevé d’abus de ressources administratives dans une période où l’Etat va débourser plus que d’habitude notamment pour assurer la santé et la sécurité publiques.


[i] Voir en particulier Respect de la démocratie, des droits de l’homme et de l’état de droit en situation d’état d’urgence : Réflexions (« Réflexions 2020 ») et le Rapport intérimaire sur les mesures prises dans les Etats membres de l’UE à la suite de la crise de la Covid-19 et leur impact sur la démocratie, l’Etat de droit et les droits fondamentaux (« Rapport intérimaire).

[ii] Voir le Rapport intérimaire, Section III. C et Section IV. Voir en particulier para. 31.

[iii] Rapport intérimaire, Section VI. A.

[iv] Voir Respect de la démocratie, des droits de l’homme et de l’état de droit en situation d’état d’urgence : Réflexions (CDL-AD(2020)014 ; « Réflexions 2020 »), notamment para. 96, et le Code de bonne conduite en matière électorale, CDL-AD(2002)023rev2-cor.

[v] Rapport intérimaire, para. 113.

[vi] Voir à cet égard la Section II.1.D du rapport de l’OSCE/BIDDH intitulé OSCE Human Dimension Commitments and State Responses to the Covid-19 Pandemic (lien).

[vii] Rapport intérimaire, para. 119 et 136.

[viii] Voir document de l’IFES Guidelines and Recommendations for Electoral Activities During the COVID-19 Pandemic

[ix] Réflexions 2020, para. 115.

[x] Ibid., para. 39-142.

[xi] Dans un contexte de crise sanitaire, il s’agira en l’occurrence notamment de personnes âgées et donc fragiles vis-à-vis d’une épidémie et de personnes malades, indépendamment de leur âge.

[xii] Précitées, Réflexions 2020.

[xiii]  https://www.ifes.org/sites/default/files/ifes_covid-19_briefing_series_legal_considerations_when_delaying_or_adapting_elections_june_2020.pdf.

[xiv] Rapport intérimaire, Section VI. A. Voir en particulier para. 105. Voir aussi para. 112 des Réflexions 2020.

[xv] Rapport de l’OSCE/BIDDH intitulé OSCE Human Dimension Commitments and State Responses to the Covid-19 Pandemic, Section II.1.D (lien).

[xvi] Réflexions 2020, para. 108-109.

[xvii] Voir Mihkel Solvak, Kristjan Vassil (2016), E-voting in Estonia: Technological Diffusion and Other Developments over Ten Years (2005-2015).

[xviii] Réflexions 2020, para. 99 et 103 notamment.

[xix] Réflexions 2020, para. 114.