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Retour Il faut accueillir des représentants des Roms au sein des organes politiques décisionnels

Point de vue

Les populations roms sont largement sous-représentées dans les assemblées et les administrations locales et nationales de tous les pays européens. C’est une grave lacune de notre démocratie, qui viole leur droit à la participation à la vie politique et perpétue une situation d’exclusion et de marginalisation touchant dix à douze millions de personnes.

Il existe plusieurs explications de l’aliénation politique des Roms, parmi lesquelles la longue histoire de discrimination et de répression de cette minorité en Europe. Même après le génocide des Roms par les nazis, il n’y a pas eu de véritable changement d’attitude au sein de la population majoritaire et il a fallu attendre des années avant d’envisager l’éventualité d’une compensation des membres survivants des familles de victimes(1).

La persécution n’a pas pris fin à la chute du régime d’Hitler. De nombreuses années après la Seconde Guerre mondiale, des familles roms ont été chassées d’une région à l’autre dans de nombreux pays d’Europe, personne ne souhaitant les accueillir. Les gouvernements concernés ont mis beaucoup de temps à présenter des excuses à la communauté rom pour ces violations des droits de l'homme.

Il n’y a rien d’étonnant à ce que cette histoire ait engendré chez les Roms de l’amertume et un sentiment d’exclusion et d’aliénation. Tous les efforts visant à encourager la participation des Roms à la vie publique doivent prendre en compte cette donnée fondamentale.

Les communautés roms sont très souvent socialement isolées et dispersées. Du coup, elles risquent d’être peu au courant des mécanismes politiques et électoraux et de ne pas disposer de certaines informations essentielles. Elles sont donc également vulnérables à des irrégularités électorales. Un autre obstacle majeur à leur participation tient au fait que beaucoup de Roms ne sont inscrits ni sur les registres de l’état civil ni sur les listes électorales, ne disposent pas des documents d’identité nécessaires et ne sont donc pas autorisés à voter. Une participation politique informée et responsable dépend souvent du niveau d’instruction. Le fossé dramatique existant dans ce domaine entre la population majoritaire et les Roms constitue encore un autre obstacle à leur participation.

Les partis politiques de la société majoritaire sont responsables de cette situation. D’une manière générale, ils se sont très peu intéressés au sort des communautés roms. Non seulement ils n’ont pas invité des représentants des Roms à figurer sur leurs listes de candidats aux élections, mais ils les ont très rarement consultés.

Etant donné que les Roms participent généralement très peu aux élections, on ne considère pas qu’ils constituent un électorat intéressant lors des campagnes électorales. Les partis politiques savent aussi que les campagnes en faveur des Roms risquent de compromettre leurs chances d’être élus. Par contre, des partis extrémistes ont pris les Roms pour cible dans des déclarations xénophobes afin d’exploiter les tendances réactionnaires de l’électorat. C’est une des raisons pour lesquelles certains des préjugés les plus pernicieux concernant les Roms sont si largement répandus.

Malheureusement, certains partis politiques en place n’ont pas reconnu clairement le caractère inacceptable de cet antitsiganisme. J’ai constaté avec un profond regret que même certains hauts responsables politiques ont fait des déclarations nettement racistes concernant les Roms, sans établir de distinction entre quelques individus à la conduite répréhensible et l’ensemble de la communauté ethnique. De tels propos n’incitent pas les jeunes Roms à s’intéresser à la vie politique.

Evidemment, il n’existe pas de solution simple et rapide à ces problèmes qui sont liés à des attitudes profondément enracinées tant dans la population rom que dans la population majoritaire. Nous pourrions cependant analyser les efforts accomplis dans plusieurs pays et en tirer des conclusions. La présence de deux députés roms au sein de la délégation hongroise au Parlement européen constitue un bon exemple. Il faut encourager l’inclusion de candidats roms sur les listes des candidats aux prochaines élections parlementaires européennes.

On peut également tirer des leçons et s’inspirer du travail de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui s’efforce depuis plusieurs années d’apporter des solutions dans ce domaine. Elle a mis en œuvre des campagnes comme celle intitulée « Roma, use your ballot wisely ! » (« Roms, votez utile !») et organisé des réunions qui ont élaboré des normes telles que les Recommandations de Lund en 1999 et les directives visant à aider la participation des minorités nationales au processus électoral, publiées en 2001(2). En février 2008, le comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales a adopté un commentaire sur la participation effective des personnes appartenant à des minorités nationales à la vie culturelle, sociale et économique, ainsi qu’aux affaires publiques.

Une leçon tirée de ces travaux est la nécessité absolue d’intervenir en amont des problèmes. Il ne suffit d’ouvrir des portes trop longtemps fermées, il faut compenser des siècles d’exclusion et de marginalisation par des actions positives.

A titre d’exemple, l’expérience menée en Bosnie-Herzégovine, en Croatie, en Roumanie et en Slovénie consistant à réserver des sièges à des représentants des Roms au sein des assemblées nationales ou locales, s’est avérée extrêmement positive. Lors d’une visite en Slovénie, j’ai constaté que l’habitude de réserver un siège à la communauté rom dans les assemblées locales avait ouvert dans certaines communes une voie de communication entre la communauté rom et les autorités. Un autre exemple de bonne pratique consiste à prévoir au niveau du gouvernement ou d’un ministère divers organes consultatifs pour les affaires des Roms ou pour les problèmes généraux des minorités, dont la minorité rom. Ce type de solution est particulièrement important dans les pays où les populations roms sont dispersées et peu nombreuses, comme la Finlande et la Pologne.

Nous avons également compris qu’il fallait concentrer notre attention sur le niveau local. On ne parviendra pas à assurer une participation des Roms au niveau national si elle n’est pas aussi encouragée au sein des municipalités. Les actions de promotion de cette participation doivent évidemment être entreprises avec le concours des Roms. Les Roms doivent représenter eux-mêmes les intérêts de leur communauté et faire connaître leurs préoccupations.

Sur la base de ces principes, il convient de développer une approche globale de responsabilisation des populations roms. Les actions à entreprendre doivent comprendre les éléments suivants :

• Les gouvernements doivent abroger toutes les lois et tous les règlements discriminatoires en ce qui concerne la représentation politique des minorités, y compris les Roms et les Gens du voyage.

• Il faut encourager les organisations non gouvernementales à soutenir les programmes d’éducation civique destinés aux communautés roms. Ces programmes doivent comprendre des éléments concernant les droits de l'homme et des informations pratiques sur le système électoral. Il est important que ces programmes de soutien touchent les femmes et les jeunes roms. Les documents écrits doivent être disponibles en romani.

• Il faut développer davantage les contacts en vue de garantir l’inscription des électeurs roms sur les listes électorales. Là encore, il est également important de toucher les femmes. Le problème fréquent d’absence de documents d’identité doit être résolu en toute priorité, notamment par des mesures effectives garantissant les droits des apatrides.

• La vie publique ne concerne pas seulement les élections. Participer à la vie publique, c’est aussi pouvoir influer quotidiennement sur l’action des pouvoirs publics. Il convient de renforcer les consultations organisées dans les collectivités locales entre la municipalité et la population rom en matière de logement et d’autres problèmes concrets. Ces consultations doivent être franches et constructives. Toute mesure purement symbolique produira des effets contraires à ceux attendus.

• Il faut mettre au point des mécanismes permettant une communication directe, franche et sur un pied d’égalité. Des organes consultatifs pourraient être mis sur pied pour assurer la continuité de ces consultations et promouvoir la légitimité des représentants roms. Les autorités doivent soutenir les centres culturels roms. Là où de tels centres ont été créés, ils ont toujours eu un impact positif sur les communications entre les communautés roms.

• Il faut intensifier les efforts visant à recruter des Roms dans la fonction publique aux niveaux local et national. Là encore, une politique de discrimination positive se justifie. Il est particulièrement important d’inciter les Roms à venir travailler dans la police et les services de l’éducation.

• L’impact de toutes ces mesures dépendra des progrès réalisés en vue d’éliminer l’antitsiganisme. Il faut adopter et mettre en œuvre une législation globale contre la discrimination et reconnaître les diverses communautés roms comme des minorités nationales.

• Il faut renforcer les efforts de sensibilisation des élus et des fonctionnaires et de la population. Tout discours ou propos xénophobe doit être visiblement sanctionné. Nos élus ont un rôle très important à jouer dans ce domaine.

Thomas Hammarberg

Notes

1. L’expression Roms/et ou Gens du voyage employée dans le présent texte se réfère aux Roms, Sintés, Kalés, Gens du voyage, et groupes apparentés en Europe, et vise à couvrir la grande diversité des groupes concernés, y compris ceux qui se considèrent eux-mêmes Tsiganes.
2. Au sein de l’OSCE, le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) et le Haut Commissaire aux minorités nationales (HCMN) s’occupent de défendre les droits des populations roms. On peut trouver les « Recommandations de Lund » à l’adresse http://www.osce.org/documents/hcnm/1999/09/2698_en.pdf et les lignes directrices pour aider la participation des minorités nationales au processus électoral à l’adresse http://www.osce.org/publications/odihr/2001/01/12347_129_en.pdf.

Strasbourg 01/09/2008
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