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Retour Droits de l’enfant : il est temps de passer des discours aux actes

Point de vue

Aujourd’hui, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant – l’un des plus célèbres traités internationaux en matière de droits de l’homme – bénéficie d’un large soutien. Presque tous les Etats du monde l’ont ratifiée, s’engageant par là même à en appliquer les dispositions. Politiquement, la situation des enfants y a gagné en importance. Toutefois, dans les faits, la mise en œuvre de la Convention a été en deçà des attentes, essentiellement parce que les droits de l’enfant ne sont pas considérés comme une priorité politique à aborder de manière globale et systématique.

Bien que les enfants forment une part importante de la population et représentent à bien des égards l’avenir de la société, leurs problèmes sont rarement des priorités politiques de premier ordre. Les ministres chargés de l’enfance, souvent peu expérimentés, sont rarement des personnalités de poids au sein du gouvernement. Lorsque l’on place les problèmes politiques sur une échelle d’importance, ceux qui concernent les enfants se situent tout en bas. Ils sont parfois même considérés comme non politiques, voire anecdotiques. L’image du candidat en campagne embrassant un bébé en est devenue le triste symbole.

Il ne suffit pas de gestes symboliques pour satisfaire aux obligations de la Convention : un débat politique sérieux et un véritable changement s’imposent. Le but premier de la Convention est l’amélioration du statut des enfants et de leurs conditions de vie. Tout Etat qui la ratifie s’engage à respecter ses principes et ses dispositions et à en faire une réalité pour tous les enfants.

Le retard dans l’application de la Convention pourrait s’expliquer par le fait que les décideurs ne comprennent pas bien ou n’acceptent pas les obligations qui en découlent. Peut-être ne font-ils encore pas tous la distinction entre la charité et une politique fondée sur les droits.

Les enfants dans le besoin, comme les personnes handicapées, ont longtemps été les « objets » privilégiés de la charité. L’aide qui leur était accordée ne l’était pas en tant que droit mais parce que d’autres avaient pitié d’eux. Or, c’est précisément à cette logique que s’attaque la Convention.

Elle considère l’enfant comme un sujet qui a le droit d’être scolarisé, de recevoir des soins de santé et de bénéficier d’un niveau de vie approprié. De plus, son point de vue doit être écouté et entendu. Cela vaut pour l’adorable bambin comme pour l’adolescent à problèmes.

L’idée même que l’enfant possède des droits est une idée révolutionnaire par rapport à la croyance dépassée selon laquelle, en atteignant leur majorité, les enfants acquièrent des droits jusqu’alors détenus par leurs parents.

Autre message important de la Convention : priorité doit être donnée aux enfants et à leurs intérêts. En effet, « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » en ce qui concerne toutes les mesures relatives aux plus jeunes, qu’elles soient prises par les pouvoirs publics locaux ou nationaux, les parlements, les tribunaux ou des organismes sociaux, y compris privés (article 3).

La Convention exige aussi une action concrète pour garantir sa bonne application. Elle dispose que les gouvernements doivent prendre les mesures législatives, administratives et autres et ce « dans toutes les limites des ressources dont ils disposent » pour que les enfants puissent jouir de leurs droits (article 4).

Les rédacteurs de la Convention, dont j’étais, avaient conscience du risque de produire un texte qui serait considéré par certains comme une liste de vœux pieux un peu idéaliste plutôt que comme une déclaration des droits de l’enfant. Tout l’enjeu était de donner une teneur claire aux obligations qui découleraient de la conception fondée sur les droits.

Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, organe élu chargé du suivi de l’application de la Convention, attache une grande importance aux méthodes et aux moyens employés pour la mettre en œuvre. Compte tenu de cela et de propositions de l’Unicef, d’organisations non gouvernementales et de certains gouvernements, il est possible de dresser une liste de mesures systématiques que devrait prendre tout gouvernement conscient de ses devoirs, notamment :

- élaborer un programme national complet pour les enfants ;

- veiller à ce que toutes les législations soient pleinement compatibles avec les droits de l’enfant, ce qui exige d’incorporer la Convention dans le droit interne et les pratiques, et de faire en sorte que ses principes et ses dispositions priment en cas de conflit avec la législation nationale ;

- faire apparaître les enfants dans le processus d’élaboration des politiques gouvernementales par la mise en place d’« études d’impact » ;

- effectuer une analyse budgétaire adaptée pour déterminer la proportion des dépenses consacrées aux enfants et garantir l’utilisation effective des ressources ;

- établir des mécanismes et des organes permanents visant à promouvoir la coordination, le suivi et l’évaluation des activités dans tous les domaines relevant des pouvoirs publics, y compris des collectivités locales ;

- veiller à recueillir suffisamment de données et à les utiliser pour améliorer la situation de tous les enfants dans chaque domaine de compétence ;

- faire un travail de sensibilisation et d’information sur les droits de l’enfant et ce qu’ils représentent dans les faits, en particulier en formant tous les agents de l’administration dont l’activité concerne directement ou indirectement les enfants ;

- associer les enfants et la société civile au processus de mise en œuvre et de sensibilisation ;

- créer par la loi des instances indépendantes de défense des enfants – médiateur, commissaire ou autre – pour promouvoir les droits de l’enfant ;

- faire des droits de l’enfant une priorité dans toutes les formes de coopération internationale, y compris les programmes d’assistance technique.

Ces dix recommandations, qui se renforcent mutuellement, ont plusieurs caractéristiques en commun : elles exigent un débat public et des procédures transparentes, elles mettent en avant le principe de la « priorité absolue aux enfants » tout en reconnaissant la nécessité d’une action coordonnée en faveur de l’intégration de leurs droits dans les structures administratives et enfin, elles posent comme principe la participation des enfants.

L’idée fondamentale est de sortir les questions relatives à l’enfance du domaine exclusif de la charité pour les politiser – fortement.

Plusieurs gouvernements européens ont mis en œuvre ces recommandations, par exemple en adoptant une stratégie nationale, en améliorant la coordination interne sur les questions relatives à l’enfance, en mettant au point des systèmes de collecte de données et en nommant un médiateur pour les enfants, rattaché ou non au médiateur général.

Pourtant, il reste manifestement des problèmes. Les gouvernements n’ont donc pas pris les choses assez au sérieux, comme en témoigne le manque persistant de protection des enfants.

Les politiques de scolarisation des enfants handicapés demeurent insuffisantes. Les enfants des minorités, à commencer par les Roms, sont défavorisés dans la plupart des domaines. Quant aux enfants délinquants, ils sont trop souvent placés en détention. Les enfants immigrés en situation irrégulière sont vulnérables et exploités. Les enfants réfugiés ne sont pas correctement traités. Les châtiments corporels existent encore dans à peu près la moitié des pays d’Europe et certains enfants subissent également la violence à l’école. A ce jour, ni la justice, ni l’école ni la ville ne sont adaptées aux enfants.

Si les hommes politiques influents ont tendance à faire des discours sur les questions relatives à l’enfance plutôt qu’à passer à l’action, c’est sans doute que leur vie est généralement à mille lieues de la réalité quotidienne d’un enfant. Les opinions des enfants ne sont pas prises au sérieux et leurs parents ou leurs tuteurs n’ont, dans bien des cas, guère le temps ou la possibilité de s’en faire l’écho.

Concrètement, les débats budgétaires en disent long sur le sérieux des engagements politiques. Dans le sillage de la crise actuelle, les économies budgétaires réalisées dans plusieurs pays ont déjà touché les enfants soit directement au niveau du budget de l’Etat, soit parce que les dotations des collectivités locales ont été réduites.

Le financement de l’éducation, de la santé et des prestations sociales pour les groupes vulnérables a été considérablement amputé dans certains pays. Et ce avant même que les gouvernements ne commencent à rembourser la dette qu’ils ont contractée pour juguler la crise financière et sauver les banques.

D’où un débat sur le sens concret de l’expression « toutes les limites des ressources dont ils disposent » employée dans la Convention. Il va de soi que, lorsque la société doit se serrer la ceinture, les intérêts de l’enfant en pâtissent. Cela étant, toute décision pénalisant ceux qui sont déjà vulnérables et creusant ainsi les inégalités est contraire à l’esprit même de la Convention.

Il importe particulièrement d’analyser les conséquences à court et à long terme pour les enfants avant l’approbation des prochains budgets. En Europe aussi, nous avons d’ores et déjà un problème grave de pauvreté chez les enfants. Elle est même d’une ampleur effrayante dans certains pays. De nombreux enfants naissent défavorisés. Il faut y remédier. La crise actuelle ne saurait servir d’échappatoire – au contraire.

On ne peut invoquer le manque de ressources pour se soustraire aux obligations de protection des droits de l’enfant et pour retarder l’application des mesures. Plus les difficultés sont grandes, plus il y a de raisons d’adopter une politique volontariste à même de régler les problèmes suivant une démarche systématique.

C’est d’ailleurs tout particulièrement en temps de crise que l’Etat doit réaffirmer ses engagements et respecter pleinement les droits de l’enfant – de tous les enfants.

Thomas Hammarberg

Strasbourg 16/11/2009
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