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Retour Il ne faut pas nier les crimes contre l’humanité commis dans le passé, mais s’en souvenir et en tirer des leçons

Point de vue
Si l’Europe peut être fière d’avoir aujourd’hui une situation acceptable en matière de droits de l’homme, son histoire est sanglante. Au siècle dernier, notre continent a été le théâtre de quelques uns des pires crimes contre l’humanité. Il est important que ces violations délibérées des droits de l’homme soient dénoncées, rappelées et présentées ouvertement, avec honnêteté et impartialité aux jeunes générations d’Européens. Nous devons tirer des leçons de notre histoire douloureuse.

L’extermination par les nazis de plus d’un demi million de roms à la fin des années 30 et au début des années 40 n’a été reconnue qu’en partie. Le Porrajmos (Holocauste) est rarement souligné dans les descriptions des génocides commis par le régime hitlérien qui ont été également dirigés contre les juifs, les homosexuels et les polonais de souche. Très peu de monuments sont consacrés au souvenir des victimes roms et il a fallu attendre de nombreuses années avant même d’envisager l’idée d’une réparation pour les survivants roms.

Ce silence est en soi un message, que les membres des communautés roms ont certainement remarqué. Du fait de ce silence, il est aussi plus difficile aux nouvelles générations d’Européens de comprendre la situation des Roms aujourd’hui. Dans ce cas comme dans d’autres, l’expérience montre que le refus de reconnaître le passé compromet les efforts actuels en matière de défense des droits de l’homme.

C’est pourquoi il est particulièrement important que la génération actuelle des responsables politiques de l’Allemagne se soit beaucoup investie dans l’exposition de la vérité. Le nouveau mémorial de l’Holocauste au centre de Berlin est un monument stupéfiant en dessous duquel un musée impressionnant explique étape par étape ce qui s’est véritablement passé lorsque l’antisémitisme organisé s’est transformé en un génocide pur et simple.

Un autre musée que tous les jeunes Européens devraient visiter, selon moi, est celui d’Auschwitz-Birkenau en Pologne. C’est le lieu où le Mal était devenu une industrie, où des usines extrêmement performantes ont été construites dans le but d’exterminer efficacement des êtres humains – la chambre à gaz et le four représentant les deux dernières étapes. A peu près un million et demi de personnes, dont une majorité de Juifs, ont été assassinées dans ce camp. Rien ne pourrait être plus important que de garder vivant le souvenir de ces crimes, et de le transmettre de génération en génération.

Lors d’une visite récente à Kiev, je suis allé voir le nouveau monument érigé en commémoration de l’Holodomor (« l’extermination par la faim »), la famine sciemment orchestrée par le régime stalinien qui a tué des millions de personnes en 1932 et 1933 (entre quatre et sept millions selon les estimations). Les autorités ukrainiennes, estimant à juste titre que ce crime n’est pas assez connu dans d’autres régions d’Europe, préparent maintenant des activités d’information pour le faire connaître, initiative qui mérite d’être soutenue.

Cependant, j’ai également remarqué que la manière dont était présenté le souvenir de la grande famine faisait l’objet de quelques controverses politiques. Cela n’a rien de surprenant car les débats portant sur les crimes contre l’humanité donnent presque toujours lieu à des controverses.

Par exemple, certaines personnes, si leurs voisins étaient impliqués dans des crimes, préfèrent se taire pour ne pas les contrarier. D’autres, si les auteurs des crimes étaient des compatriotes, préfèrent oublier ou même nier la réalité de ces crimes parce que leur souvenir est trop douloureux. Il peut aussi se trouver des gens qui veulent écrire l’histoire autrement pour tirer parti de ce qui est dit des évènements passés.

La fierté nationale constitue souvent un obstacle majeur à la reconnaissance des crimes passés. Il n’est facile à aucune population d’aucun pays de reconnaître que ses ancêtres ont commis des atrocités dans des proportions massives – même si les responsables sont morts. En Allemagne, il a fallu attendre plusieurs années après la dernière guerre avant de pouvoir envisager une reconnaissance complète des crimes nazis.

Il semble que cette fierté ait joué un rôle dans le refus de la Turquie de faire la lumière sur tous les aspects des massacres des Arméniens il y a près de 90 ans. L’assassinat brutal du journaliste turc d’origine arménienne Hrant Dink le 19 janvier 2007 a vraisemblablement été motivé par une réaction nationaliste exacerbée concernant cette question.

Hrant Dink croyait que les Arméniens avaient été victimes d’un génocide, mais il souhaitait éviter de politiser la question et était opposé à la demande exprimée par les communautés de la Diaspora arméniennes que l’Union européenne fasse de la reconnaissance du génocide la condition préalable à tout nouveau pourparler avec Ankara. Il souhaitait l’établissement de la vérité sans conditions.

Je suis persuadé que le Gouvernement turc va comprendre maintenant qu’il est urgent et nécessaire de respecter son engagement d’encourager les recherches et les débats ouverts sur cette question, je l’espère, avec la coopération de l’Arménie – afin d’établir toute la vérité et de la diffuser. Il était encourageant de constater que les personnes qui manifestaient à Istanbul avaient comme slogan « Nous sommes tous des Arméniens ».

Le moyen essentiel d’empêcher que de tels évènements de sinistre mémoire se reproduisent est d’accepter la réalité des faits et de faire toute la lumière sur les crimes passés. Il faut donc entreprendre des recherches pour étudier de manière approfondie ce qui s’est vraiment passé et déterminer les responsabilités quand cela est possible. Si les auteurs des crimes sont encore en vie, ils doivent être traduits en justice. Il ne peut pas y avoir de prescription pour les crimes de ce type.

Les musées doivent pouvoir présenter ce volet sombre de l’histoire. Il faut respecter le droit des écoliers à connaître la vérité et à disposer de matériels éducatifs de qualité. Des lieux de souvenir et des mémoriaux en l’honneur des victimes sont nécessaires, notamment pour ceux qui ont besoin de pleurer, de se souvenir et de réfléchir.

De plus en plus d’organisations de défense des droits de l’homme ont compris qu’il faut regarder ainsi le passé en face pour pouvoir envisager sainement le présent et l’avenir. On peut citer en exemple l’association russe Memorial qui a fait un travail remarquable dans ce sens dans l’ancienne Union soviétique et a même monté son propre petit musée sur les crimes de l’époque stalinienne. Il devrait y avoir davantage d’initiatives de ce type.

Une présentation honnête et impartiale des évènements historiques est ce qui permet à l’humanité de progresser. Cela est particulièrement vrai dans le domaine des droits de l’homme où nous devons tirer les leçons des crimes atroces du passé pour éviter de les répéter.

Thomas Hammarberg
 
Strasbourg 05/02/2007
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