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Retour Les politiques homophobes sont lentes à disparaître

Point de vue

La Cour européenne des Droits de l’Homme vient de rendre une nouvelle décision significative à l’encontre des tendances homophobes. En Pologne il y a deux ans, un groupe non gouvernemental, la Fondation pour l’égalité, s’est vu refuser la permission d’organiser une manifestation à l’occasion de ses « Journées de l’égalité » à Varsovie. La Cour a conclu que les autorités locales avaient violé trois dispositions de la Convention européenne des Droits de l’Homme, à savoir la liberté de réunion, le droit à un recours effectif et l’interdiction de discrimination. Cette décision est un message adressé à toutes les autorités en Europe.

Il arrive encore que les parades de la fierté homosexuelle soient interdites ou interrompues par les autorités. Tel a été le cas l’année dernière à Chisinau, Moscou, Tallinn et Riga. Plus récemment, les autorités municipales de Chisinau ont encore interdit une telle manifestation malgré un arrêt de la Cour suprême moldave qui avait jugé illégale une interdiction similaire en 2006.

A Chisinau, les manifestants ont pris le risque de défiler en dépit de la permission refusée. Ce scénario s’est produit ailleurs, notamment à Varsovie en 2005. Ces parades se sont généralement déroulées dans une atmosphère pacifique et les problèmes, le cas échéant, sont venus d’attaques de la part de leurs adversaires et du manque de protection policière.

Il est attristant que la discrimination à l’encontre des individus au motif de leur orientation sexuelle soit encore répandue sur notre continent. Durant mes visites dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, j’ai observé à maintes reprises les expressions et les conséquences de tels préjugés. Les individus concernés sont traités de façon injuste dans leur vie quotidienne ; certains vivent dans la crainte perpétuelle d’être montrés du doigt, tandis que ceux qui ont révélé leur homosexualité sont victimes de discrimination, voire de harcèlement. Leurs organisations sont les cibles de discours de haine.

Peu de responsables politiques ont véritablement affronté le problème. Pire, certains ont même alimenté les préjugés en véhiculant des clichés dépeignant les homosexuels comme des propagandistes dangereux qui ne devraient être autorisés ni à enseigner ni même à afficher leur « mode de vie ». Au cours de discussions au sujet de ces manifestations, quelques maires et décideurs ont prononcé des déclarations publiques clairement homophobes et intolérantes. Or, cette forme de populisme très fâcheuse tend à « légitimer» la discrimination.

La déshumanisation des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) n’a pas disparu avec la fin du régime nazi qui a arrêté quelque 100.000 personnes en raison de leur orientation sexuelle présumée et envoyé plus de 10.000 d’entre eux dans les camps de concentration. Les groupes d’extrême droite continuent d’inciter à la haine et à la violence à leur égard. Dans les débats publics, les vieux « arguments » contre les homosexuels ont la vie dure. Dans ces conditions, il est extrêmement important que les hommes politiques, les chefs religieux et les autres guides d’opinion se battent pour le principe selon lequel tous les individus ont des droits de l’homme, quelle que soit leur orientation sexuelle.

Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a récemment adopté des recommandations sur la liberté d’expression et d’assemblée pour les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, que tous les décideurs, aux échelons local et régional, devraient étudier avec soin. La section européenne de l’Association internationale des lesbiennes et des gays (ILGA) a entrepris de faire circuler un appel urgent pour les mêmes libertés – à l’intention des maires des villes dans lesquelles les parades homosexuelles ou d’autres manifestations publiques ont fait l’objet d’interdiction, de restriction ou d’actes violents.

Les normes juridiques sont parfaitement claires. La Convention européenne des Droits de l’Homme – qui fait partie de la législation nationale dans tous les pays du Conseil de l’Europe – interdit la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identification sexuelle. Des garanties contre toute forme de discrimination sont prévues à l’article 14 de la Convention et dans le Protocole n° 12. Le Protocole, à présent en vigueur dans 14 pays, interdit la discrimination dans la jouissance de tout droit prévu par la loi ainsi que toute discrimination de la part d'une autorité publique quelle qu’elle soit.

Dans plusieurs arrêts importants, la Cour de Strasbourg a décidé que les relations sexuelles librement acceptées en privé et entre adultes de même sexe ne devaient pas être pénalisées ; qu’il ne devait pas y avoir de discrimination au moment de la fixation de l’âge du consentement pour les actes sexuels ; que les homosexuels devaient avoir le droit de servir dans les forces armées et que les partenaires du même sexe devaient avaient le même droit de prendre la succession d’un bail que les autres couples. Sur la question des droits relatifs à l’exercice de la responsabilité parentale, la jurisprudence a évolué puisque la Cour s’est prononcée contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans l’octroi de la responsabilité parentale.

La Cour s’est montrée plus prudente sur la question de l’adoption, laissant en grande partie aux Etats membres le soin de trouver un équilibre raisonnable. Bien évidemment, personne n’a le droit d’adopter, l’intérêt supérieur de l’enfant restant la considération décisive. Mais, l’approche la plus évidente sous l’angle des droits de l’homme est que les homosexuels devraient avoir les mêmes droits que les autres adultes d’être considérés comme des candidats à part entière lorsque sont prises des décisions quant au meilleur parent adoptif d’un enfant avec un tel besoin.

Telle est d’ailleurs aujourd’hui l’approche choisie par plusieurs pays européens, dont la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, l’Islande, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne, la Suède et le Royaume-Uni. Certains de ces Etats accordent même l’adoption conjointe par un couple homosexuel. Comme pour l’adoption individuelle par les partenaires non mariés, la législation dans la plupart des pays européens ne fait pas de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.

Le nombre de pays européens qui reconnaissent légalement les partenariats de même sexe en leur accordant une solide protection est en augmentation. La liste compte déjà l’Andorre, la République tchèque, le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne, l’Islande, le Luxembourg, la Norvège, la Slovénie, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni. Dans d’autre pays, le débat se poursuit. Le mariage offrant une pleine protection est déjà possible en Belgique, aux Pays-Bas et en Espagne. D’autres pays, comme la Suède, devraient leur emboîter rapidement le pas.

Autrement dit, les politiques homophobes sont en recul. Néanmoins, il n’y a pas lieu de verser dans la complaisance. Les préjugés qui subsistent ne disparaîtront pas d’eux-mêmes. Il faut prendre d’autres mesures pour protéger les droits de l’homme des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles :

• Dans plusieurs pays européens, il faut réformer la législation pour garantir aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles les mêmes droits qu’aux autres personnes ;

• Il faut des réactions plus sévères face aux responsables qui prennent des décisions en violation de la loi, comme l’interdiction de manifestations pacifiques, ou qui usent de leur position pour véhiculer des préjugés fondés sur l’orientation sexuelle ;

• Il faudrait revoir l’enseignement de l’histoire pour mettre sous un éclairage objectif les crimes nazis contre les membres de la communauté LGBT, de même que d’autres aspects du traitement injuste dont ils sont les victimes ;

• L’enseignement scolaire devrait inclure une information objective sur l’homosexualité et encourager le respect pour la diversité et les droits des minorités ;

• Les autorités devraient traiter les organisations qui font la promotion des droits des personnes LGBT avec le même respect qu’elles doivent aux autres associations non gouvernementales ;

• Les crimes de haine à l’encontre des membres de la communauté LGBT devraient être considérés comme des infractions graves ;

• Les tribunaux, les médiateurs et les autres institutions indépendantes de défense des droits de l’homme doivent s’attaquer en priorité à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.

Thomas Hammarberg

Liens

Cour Européenne des Droits de l´Homme : Baczkowski et autres c. Pologne, arrêt de chambre décision du 03.05.2007 (format .doc)
Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe : Recommandation 211 (2007) et Résolution 230 (2007) sur la liberté d’expression et d’assemblée pour les lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels

Strasbourg 16/05/2007
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