Retour Ouverture de la Journée de débat « Les enfants confrontés à la pauvreté et à l’exclusion sociale en Europe »

Strasbourg , 

C’est un grand plaisir pour moi de m’adresser à vous ce matin.

Le Conseil de l’Europe est une institution intergouvernementale, fondée sur le droit. Nous sommes une Organisation peuplée d’ambassadeurs, de parlementaires, de juristes et de fonctionnaires, extrêmement compétents dans leur domaine, et fermement attachés à la cause des droits de l’homme et de la dignité humaine.

Mais nous savons tous, ici à Strasbourg, combien il est utile et même absolument nécessaire pour notre travail d’être tenus au courant de ce qui se passe sur le terrain, dans la vie quotidienne des Européens que nous voulons servir. Nous avons besoin de ce miroir. C’est là que vous, les OING, remplissez un rôle  particulièrement important. Vous êtes un pilier du Conseil de l’Europe, vous apportez à ce débat un regard particulier et pragmatique, concret, sur les questions qui nous préoccupent, et nous vous en sommes très reconnaissants. Un grand merci à tous, et courage pour votre travail.

Je vous remercie également d’avoir choisi ce thème important pour votre conférence. C’est un thème difficile.

La crise économique, et l’austérité qui lui fait suite, ont durement frappé les enfants et les jeunes en Europe.

Est-ce qu’il m’appartient de discuter de la façon dont des gouvernements démocratiquement élus gèrent leurs finances publiques ?

Faut-il que je condamne chaque coupe effectuée par un Etat membre dans ses dépenses publiques ?

Non, mais ce dont je suis convaincue, et c’est bien notre mission, c’est qu’il faut éviter que la génération à venir ait à payer les erreurs commises par la génération actuelle. En période de crise économique, toutes les sociétés doivent faire des sacrifices. Mais ce sont ceux qui ont les reins les plus solides qui devraient supporter le plus lourd fardeau.

Les faits et chiffres doivent nous inquiéter.  Quelques exemples:

Les statistiques de l’Union européenne montrent  qu’au cours de ces dernières années, dans tous ses pays membres les enfants ont été plus exposés au risque de pauvreté et d’exclusion sociale que tout autre groupe. Ce sont eux les plus vulnérables, plus que les adultes et même plus que les personnes âgées.

UNICEF confirme : ces dernières années, la pauvreté des enfants a augmenté dans 20 pays parmi les 32 Etats membres du Conseil de l’Europe examinés de près dans un rapport récent. 

Ce problème ne se limite pas aux pays les moins prospères. En Allemagne, en Autriche, en Belgique, en France et au Luxembourg, un enfant sur six est confronté à la pauvreté. Au Royaume-Uni, le rapport est de un sur quatre.

Certains groupes sont spécialement exposés, je pense aux enfants de migrants : leur situation pose un problème majeur compte tenu de l’afflux de réfugiés ces derniers mois. Nous avons les mêmes soucis pour les enfants de familles monoparentales. Et, bien sûr, les enfants roms, qui sont particulièrement concernés en raison de la ségrégation dont ils font l’objet.

Cette semaine, j’ai appris avec déception que l’ECRI, notre Commission contre le racisme et l’intolérance, a dû à nouveau attirer l’attention sur ce problème: cette fois-ci, il s’agit de la ségrégation que continuent de subir les enfants roms dans les écoles en République tchèque.

Les enfants qui grandissent dans la pauvreté risquent plus que les autres de devenir des parents qui vivent dans la pauvreté. De même que la prospérité et les chances de réussite se transmettent de génération en génération, comme un bien de famille de grande valeur, la pauvreté est un cercle vicieux qu’il est extrêmement difficile de briser.

Si nous ignorons ces tendances, si nous acceptons que des jeunes forment une génération perdue, il ne servira à rien de sauver nos banques, de résorber nos déficits et de rembourser nos dettes souveraines. Les dommages causés par la crise économique seront plus profonds et plus durables que dans nos prévisions les plus pessimistes.

Alors, changeons de cap. Agissons avec plus de fermeté pour garantir à tous les enfants la sécurité et la perspective de mener une vie décente.

L’approche du Conseil de l’Europe se fonde sur les droits de l’enfant : les enfants sont des détenteurs de droits de l’homme à part entière.

Notre action s’inscrit résolument dans le cadre général de notre Convention européenne des droits de l’homme et de notre Charte sociale européenne. Avec notre programme « Construire une Europe pour et avec les enfants », lancé en 2006, nous aidons les Etats membres à élaborer les politiques nécessaires pour tenir les promesses inscrites dans ces textes fondamentaux.

Laissez-moi souligner ici une chose très importante : dans le contexte actuel, la Charte sociale revêt une importance particulière. Son article 30 prévoit un droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale ; il s’applique à tous sans distinction d’âge.

La Charte contient des dispositions spécialement consacrées aux jeunes et destinées à garantir leur protection sociale, juridique et économique. Le Comité européen des droits sociaux aide les Etats membres à la mettre en œuvre. Il défend les droits des jeunes en matière d’emploi, mais agit aussi dans d’autres domaines essentiels tels que l’accès au logement, l’accès à l’éducation et à la formation professionnelle, et la protection économique de la famille, notamment par le biais des allocations familiales ou pour les enfants, pour ne citer que quelques exemples.

Ce qui est particulièrement pertinent pour votre travail est que le protocole additionnel relatif aux réclamations collectives, qui complète la Charte, est lui aussi extrêmement important pour les questions qui nous intéressent. 

Pourquoi ? La procédure de réclamation collective permet aux ONG internationales, aux syndicats, aux organisations patronales et autres organes de représentation, de soumettre des problèmes au Comité au nom des personnes directement concernées.

Ce mécanisme fonctionne : la Commission internationale de juristes, l’a utilisé précisément pour dénoncer des pratiques de travail d’enfants.

Les enfants concernés n’auraient pu s’adresser eux-mêmes à la Cour européenne des droits de l’homme, et leurs parents ne l’auraient guère fait à leur place. Mais le mécanisme de la Charte a permis à d’autres acteurs d’intervenir, de défendre les intérêts des enfants, et d’obtenir des changements dans leur situation. Plus qu’une justice rendue à un enfant particulier, ce sont les conditions de vie de tout un groupe qui ont été améliorées.

Dans le cadre de la nouvelle stratégie du Conseil de l’Europe sur les droits de l’enfant, qui couvrira la période 2016-2021, nous allons nous concentrer encore davantage sur la Charte sociale dans nos échanges avec les Etats membres, et prêter encore davantage d’attention aux mesures prises par les Etats, lorsqu’ils appliquent des conclusions et des décisions du Comité concernant les enfants. Le Secrétaire Général a placé la Charte au rang des priorités, et je vous appelle tous à nous aider à accomplir cette mission.

Le Conseil de l’Europe aide les gouvernements à remplir leurs obligations légales, mais il consacre aussi une grande partie de son activité à mettre en commun les expériences, à promouvoir les bonnes pratiques et à diffuser des lignes directrices dans tous les Etats membres. Par exemple, il aide à concevoir des services sociaux et de santé adaptés aux enfants, à faire en sorte que les enfants des groupes les plus défavorisés aient accès à l’éducation et vivent dans des logements décents, et à assurer l’intégration sociale des enfants qui vivent ou travaillent dans la rue.

Je conclus :

Eradiquer la pauvreté et l’exclusion sociale des enfants n’est évidemment pas facile. Nous avons besoin d’une approche multidimensionnelle qui vise à garantir une égalité de chances pour tous nos enfants et le plein respect de leurs droits fondamentaux.

Nous avons besoin de courage, et nous devons faire quatre choses en priorité :

  1. Investir davantage en faveur de l'enfance et de renforcer les actions de prévention ;
  2. Fournir une aide aux revenus, par exemple avec les allocations familiales, tout en évitant les pièges de l'inactivité et la stigmatisation ;
  3. Assurer l’égalité d’accès à des services essentiels pour l'avenir des enfants : les services d'accueil et d'éducation, l’élimination de la ségrégation scolaire et l’amélioration de l'accès aux services sociaux, de santé et de logement ;
  4. Trouver rapidement les moyens pour intégrer les enfants des migrants et réfugiés dans le système scolaire et ainsi favoriser ce qui sera un grand défi pour nous tous : leur intégration.

Dans tous ces domaines d’action, nous avons besoin de vous. Nous menons une coopération étroite avec les gouvernements, nous leur apportons aide et soutien, mais nous les confrontons aussi à des exigences. De même, nous attendons d’être confrontés à vos exigences.

Dites-nous quels leviers nous pouvons actionner ici, par le biais du Comité des Ministres et de l’Assemblée parlementaire, pour faire réellement bouger les choses sur le terrain.

Dites-nous quels sont les programmes les plus importants, à vos yeux, dans nos activités bilatérales avec les Etats membres.

Dites-nous comment travailler main dans la main, et le plus efficacement possible, avec la société civile.

J’espère que cette réunion nous vous permettra d’approfondir nos relations, et aussi de faciliter les partenariats entre vos Organisations.

Comme je l’ai dit au début de cette intervention, vous êtes ici parce que vous approchez les problèmes sous un angle particulier, pragmatique. Alors, n’hésitez pas à partager votre expérience. Je suis sûre que vous aurez d’excellents échanges et je me réjouis de connaître bientôt les résultats de vos travaux.